Un coup de fusil dans le champ

Ron Rash photo DR

Un pied au Paradis, le premier roman traduit en français de l’auteur américain Ron Rash, est arrivé dans la chaleur de l’été. Ce qui tombe plutôt bien parce qu’il sent la poussière et le climat lourd du Sud des États-Unis. L’auteur est un enfant du pays qui a grandi en Caroline du Nord. Sa famille vit depuis plus de deux siècles dans les montagnes Appalaches. Il commence par écrire des nouvelles et de la poésie avant de venir au roman. Ron Rash se définit lui-même comme un poète descriptif. L’impact du paysage, celui de la mort et de l’effacement d’une culture, sont les traits caractéristiques de son œuvre qui rencontre un succès tardif mais certain outre-atlantique.

Deux termes gouvernent ce récit à cinq voix : la mort et le paysage. L’action se situe au début des années 50 dans un coin montagneux de la Caroline du Sud. Là où l’esprit du lieu côtoie obstinément celui des hommes. On baigne dans la culture obsessionnelle de cet état réputé conservateur. Dans ce coin d’Amérique qui instigua la guerre de Sécession après avoir arraché sa terre aux Indiens Cherokee et qui vient récemment de créer la surprise en assurant une large majorité au candidat démocrate lors des dernières élections.

La sécheresse règne dans cette petite vallée. Maïs et tabac grillent sur place sous les yeux des agriculteurs. Un jour, l’un d’eux a disparu. On a cherché le cadavre, en vain. Il se pourrait qu’il ne soit pas mort… Mais tout cela n’a plus d’importance. Peu importe le résultat des récoltes et le reste. Comme le dit grossièrement l’employé de Carolina Power : « Peu importe que vous soyez vivants ou morts. Votre place n’est plus ici. Vous autres les péquenauds, vous serez chassés de cette vallée jusqu’au dernier comme de la merde d’une cuvette de chiottes. » En amont, la compagnie d’électricité à construit un énorme barrage dont les vannes sont encore fermées. Bientôt les eaux recouvriront tout. C’est une certitude. L’employé discipliné se trompe bien sûr, car les rares personnes qui vivent encore ici sont toujours hantées par les ombres que ni l’eau, ni le temps, ne sauraient faire oublier.

Le pied au paradis ne se sépare pas de son alter ego qui marche en enfer. Un peu comme ce livre qui pourrait bien refuser le divorce entre littérature blanche et roman noir.


Un pied au Paradis, éditions du Masque, 21,5 euros, Parution le 26 août.

L’élégance engagée de Don Winslow

Don Winslow : « Je m

Ancien détective privé, Don Winslow figure parmi les grands auteurs de roman noir américain. Il était accueilli au FIRN pour la première fois cette année.

« Vous répondez au précepte « Ecrit à partir de ce que tu sais » et avez écrit un livre* de référence sur le monde de la drogue. D »où provenaient vos connaissances sur le sujet ?

J »ai grandi dans un quartier près de New York où il y avait énormément de drogue. Ca trafiquait et ça consommait partout. J »avais un ami proche qui se déplaçait tout le temps avec sa seringue. Plus tard, j »ai habité San Diego près du Mexique où les barons de la drogue utilisent les gangs de jeunes, de part et d »autre de la frontière, pour faire leur sale boulot. Le roman dont vous parlez, je l »ai écrit après que 19 hommes et femmes se soient fait massacrer pour une affaire de drogue dans un village près de chez moi.

Que vous évoque l »idée de frontière ?

Les frontières ne sont pas fixes. Lorsque vous avez d »un côté de la frontière une marchandise et que de l »autre côté de cette frontière, le prix de cette marchandise est multiplié par 100, le produit n »est plus la drogue mais la frontière qu »il faut traverser.

Vos personnages sont souvent borderline ?

Pour ce livre, un personnage principal ne pouvait à lui seul décrire l »univers complexe de la drogue. [Il montre une tasse de café sur la table]. C »est une banale tasse de café [la déplace au bord de la table en laissant une partie suspendue dans le vide]. Maintenant la situation est devenue intéressante…

On connaît les implications économiques et politiques du trafic de drogue, vous mettez aussi le doigt sur les implications sociales…

Plus j »ai exploré l »aspect social du phénomène, plus j »ai été attristé et plus ma colère à augmenté. J »ai même senti le poids de la responsabilité sur mes épaules. En tant que romancier, je devais parler de ce que je voyais. Ne le prenez pas pour vous, mais je crois qu »un romancier est plus à même d »approcher certaines réalités qu »un journaliste. Le journaliste rend compte au lecteur qui lit une information. L »écrivain travaille sur la pensée intérieure de son lecteur. Il rend compte d »une situation qui le pousse à une réflexion.

Vous avez été détective, quelle différence faites-vous entre votre ancien travail et celui casino autorizzati de l »auteur, lorsque vous cherchez votre matière première ?

Il y a beaucoup de points communs dans les méthodes de recherche. On interroge les gens, on consulte les déclarations dans les dossiers judiciaires, les interrogatoires de police. Avec l »expérience, on développe un détecteur de connerie qui provient le plus souvent du pouvoir légal.

Concernant les problèmes de drogue, l »arrivée d »Obama est-elle porteuse d »espoir  ?

J »ai rarement désiré une chose si forte en matière politique que la victoire d »Obama. L »assassinat de Kennedy m »a brisé le cœur. J »ai eu très peur pour Obama. C »est un type vraiment intelligent qui avance pas à pas. On observe un début de changement dans la politique de lutte antidrogue qui, pour l »instant, réduit l »aide aux victimes à la portion congrue. Obama a écrit sur le fait qu »il avait consommé lui-même de la drogue. Ce qui était il y a peu une chose impensable. Malgré l »image qu »il donne, Obama est un homme qui garde la tête froide. Il pratique sa politique comme s »il jouait aux échecs. Il calcule et finit par réussir. Les républicains tentent de le diaboliser mais ils paniquent devant sa tactique progressive.

Sur quoi travaillez-vous ?

Comme beaucoup d »écrivains, j »alterne dans mes sujets les phases de restriction d »espace avec celles d »élargissement. J »ai fini un livre sur le monde du surf et je voudrais m »attaquer à un sujet beaucoup plus vaste sur les changements du langage. J »expérimente et transporte cela dans le roman noir autour de la question des mots, de leur tempo, de ce que disent les silences. Je m »intéresse au vide. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh

La griffe du chien éditions Fayard Noir


Conspiration d’aristocrates

Ecrivain, Anne Perry, alias la reine du polar victorien, bénéficie d’une notoriété internationale due au succès de deux séries : les enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt (vingt-cinq titres) et celles de William Monk, qui comptent aujourd’hui seize titres. Elle est née à Londres en 1938. Signe particulier : esprit libre. A vécu une jeunesse perturbée en Nouvelle-Zélande par ce qu’elle conçoit aujourd’hui comme  » une énorme erreur de jeunesse « … A seize ans, la jeune fille est poursuivie et condamnée, pour le meurtre de la mère d’une amie très proche, accompli avec celle-ci. Mineure au moment du drame, elle bénéficie de mesures de clémence.

L’auteure venue récemment à Montpellier célébrer le 20e anniversaire des éditions 10/18, vit actuellement en Ecosse, et se contente d’assassiner les gens dans ses romans. Elle pèse 20 millions d’exemplaires, vendus dans le monde entier. Ce qui la libère d’un certain nombre de concessions. Cette grande dame de la littérature anglo-saxonne mène une démarche d’écriture ambitieuse en choisissant de faire évoluer ses personnages dans des environnements à la charnière de l’histoire.  » A l’ombre de la guillotine « , avait pour cadre le Paris de la Révolution française. L’intrigue de  » Les anges des ténèbres « , qui vient de sortir, se situe dans le contexte de la première guerre.

Avec  » Long Spoon Lane «  inédit en France, on retrouve l’enquêteur Thomas Pitt. Le chef de la Spécial Branch découvre le cadavre du fils d’un Lord influent, impliqué dans le mouvement anarchiste. L’enquête le conduit à l’intérieur d’un vaste réseau de corruption au sein de la police et s’ouvre sur une conspiration d’aristocrates qui cherchent à s’emparer du pouvoir. La dimension politique du livre n’est pas sans rapport avec les fondements de la démocratie sécuritaire qui nous menace. Resitué avec une précision croustillante de réalité et un suspens efficace, le climat délétère de l’époque victorienne fait bizarrement écho.

Long Spoon Lane éditions 10/18, 7,9 euros

leg  : Un nouveau Perry plus politique.
 

 

DR

Une aventure littéraire qui touche

Maupin Connu comme l’un des chefs de file de la nouvelle génération des auteurs gays, l’écrivain américain Armistead  poursuit son curieux destin. Au début, ses chroniques décrivaient le terrain des expériences sexuelles et amoureuses dans le San Francisco des années 70 et 80. Elles ont évolué des pages d’un journal local vers six romans à succès et de nombreuses adaptations télévisées.

L’effet Maupin, c’est un peu comme si la maison bleue de Maxime Le Forestier se décrochait de sa colline idyllique pour s’ancrer dans le quotidien loufoque et profond des habitants de San Francisco. Dans le récit, auquel il vient de donner suite, ses personnages crèchent au 28 Barbary Lane. Le lieu mythique des Chroniques de San Fransisco, (six volumes vendus à des millions d’exemplaires) sert de théâtre à toute une galerie de personnages dont l’extravagance ne doit rien à la fiction.

Dans le dernier volume qui vient de paraître, on retrouve Michael Tolliver. Homosexuel un peu déglingué, qui après de nombreuses tentatives malheureuses, avait formé un couple avec le gynécologue de son amie lesbienne. Vingt ans plus tard, les années sida sont passées par-là. L’homme d’âge mûr porte un regard de survivant sur son entourage. Par moments, on frise la conscience ontologique. Le cadre de l’action n’a rien du plat du jour à 8,90 euros sans café, ni dessert. Sur la carte variée de l’écrivain, figure l’obsession, la quête d’amour, les orientations sexuelles plus ou moins assumées, le regard des autres, et d’autres légères complications…

Maupin décrit les membres d’une société marginale avec saveur. C’est drôle et grave, comme quand les êtres humains s’efforcent de donner un sens à leur vie. Quand la vie dérape, le passé remonte mais l’émotion reste quelque part, intacte, nous dit l’auteur. La force narrative des grands écrivains américains alliée au pouvoir d’attraction des talk show, fait mouche.

 » Michael Tolliver est vivant « , éditions de L’Olivier, 21 euros.

Armistead Maupin

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Larry Beinhart: Le bibliothécaire

bibliothecaireLe dernier Larry Beinhart est un thriller politique qui se déroule en pleine campagne présidentielle. L’auteur explore les coulisses du parti républicain téléguidé par une poignée d’intérêts privés. Le candidat ressemble furieusement à Georges W Bush. En devenant par hasard le bibliothécaire privé d’un industriel multimillionnaire, David Goldberg va découvrir à son insu que rien n’arrête l’influence exagérée des intérêts privés surtout quand les bailleurs de fonds s’apprêtent à désigner leur candidat. L’ouvrage s’inscrit dans la lignée d’une œuvre qui décortique les ramifications complexes et les alliances de circonstance de la démocratie américaine. Selon la logique des joueurs de poker, le président paie sa dette à ceux qui l’on fait roi. Sous la plume de Larry Beinhart, l’ambiguïté et les étranges coalitions de la vie politique américaine se prêtent à merveille à l’univers du roman noir. « J’aime la politique, confie l’auteur, les hommes politiques sont des gens intéressants. Ils ont le pouvoir de tuer les gens. N’importe quel chef de gouvernement peut tuer beaucoup plus que les serial killers. » Le Bibliothécaire a été écrit juste avant la réélection de G W Bush en 2004. « Je me suis amusé à prédire le résultat. Finalement les républicains ont volé l’élection et cela a été très peu contesté dans les médias. Depuis cette élection Bush a tué beaucoup de monde. Je ne suis pas inquiété à cause de mon engagement. Je ne fais que mentionner ce qui se passe. » En attendant les élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre aux Etats-Unis, Larry Beinhart a commencé son prochain livre. Il y sera question d’une affaire d’espionnage en Iran.

Jean-Marie Dinh


Le Bibliothécaire 24 série noire chez Gallimard

Voir aussi : Rubrique roman noir, L’évangile du billet vert,