Corentin Coko : Poésie exaltée de la chanson populaire

Maison de la poésie. Le chansonnier et poète Corentin Coko célèbre les 140 ans de La Commune de Paris.

La Maison de la Poésie de Montpellier renoue avec l’esprit des goguettes du XIXe siècle en invitant  le chansonnier Corentin Coko. « C’est un jeune artiste qui se tourne vers l’histoire pour apprendre le présent, indique Annie Estèves la directrice artistique du lieu, je le suis depuis ses débuts. Corentin Coko dispose d’un talent vraiment original. Il se distingue par la qualité de ses textes qui ne donnent pas dans l’engagement bien pensant. Ici, on tient beaucoup à la poésie engagée qui fait appel à la mémoire du peuple, même si quelque part, la poésie répond toujours à un engagement

Armé de son accordéon, l’artiste célèbrera à cette occasion les 140 ans de la Commune de Paris. On le sait, l’espoir soulevé par le soulèvement de Paris et le bain de sang dans lequel le mouvement fut réprimé ont inspiré de nombreux poètes et auteurs, mais curieusement, ce 140e anniversaire aurait pu passer relativement inaperçu.

C’était sans compter sur ce vibrant artiste montpelliérain qui commença sa carrière à 16 ans en première partie d’Arthur H.  » On trouve souvent des amnésiques, chez les jeunes auteurs de chanson française que j’apprécie beaucoup par ailleurs. Recevoir une leçon sur le passé donnée par un jeune, c’est plutôt rare. Après le Domaine D’O et avant le Théâtre Jean Vilar, programmer Corentin Coko dans le cadre de la manifestation  » Les poètes n’hibernent pas » relève un peu de l’emblématique. Il a tout à fait sa place dans le travail de brassage des générations que nous avons entrepris. »

Un idéal d’humanité

Au travers des textes et chansons d’Eugène Pottier (auteur des paroles de l’Internationale), de Victor Hugo, Louise Michel, Jules Vallès, Jean-Batiste Clément, Emile Zola, Corentin Coko fera revivre ces quelques mois où Paris fut aux mains du peuple et de la révolution sociale.

Passionné par la chanson populaire, l’artiste n’ignore rien du climat de lutte et de misère qui furent à l’origine de la Commune. Mais c’est l’exaltation poétique qu’il retient surtout de cette tentative de rappropriation populaire : « Cet idéal d’une société nouvelle ne se construit pas seulement avec des armes, des canons, mais avec des discours, des mots, des textes, particulièrement emplis de poésie. Une poésie exaltée, vibrante, passionnée, venant de la masse populaire, de la terre rougie de sang, une poésie sortie tout droit des entrailles de Paris. »

Aujourd’hui, il ne reste pas grand chose de l’esprit des goguettes qui émaillaient les nuits françaises du XIXe. On s’y rendait pour boire et chanter. Considérée comme des réunions séditieuses, elles furent supprimées en 1851 par Napoléon III. Mais la chaleureuse ambiance de fête paillarde, propice à l’entraide et à l’amitié décrite notamment par Gérard de Nerval, n’a pas sombré dans l’oubli. Elle a traversé les siècles. On la retrouve encore au carnaval de Dunkerque. Corentin Coko a l’heureuse et riche idée de la faire resurgir près de chez nous. Il suffit de s’y rendre pour se trouver en bonne compagnie.

Jean-Marie Dinh

Maison de la Poésie, Moulin de l’Evêque 78,  av du Pirée.
Le nouvel album de Corentin Coko peut être commandé sur le site : www.corentin-coko.fr

Voir aussi : Rubrique Littérature Poésie, rubrique Musique, rubrique Histoire,

Frédéric Jacques Temple ou les forces élémentaires d’un homme du sud

F-J Temple : La gourmandise du naturel

Médiathèque Emile Zola. L’exposition consacrée à Frédéric Jacques Temple invite au parcours d’une expérience humaine jusqu’au 15 janvier.

La médiathèque Emile Zola, rend hommage à Frédéric Jacques Temple jusqu’au 15 janvier à travers une exposition permettant de découvrir une partie du fond légué par le poète à sa ville natale. Celui-ci vient enrichir les collections patrimoniales de la médiathèque centrale de Montpellier. Livres dédicacés, correspondances, photographies, tapuscrits, objets,  sont autant de traces d’une vie en contact permanent avec l’écriture. « L’écrit n’est qu’une des nombreuses formes du vivre » confie avec simplicité l’auteur montpelliérain.

L’exposition présente plus de 200 pièces et documents sur un total de plus de 5 800 documents que compte la donation.

Né en 1921 à Montpellier, Frédéric Jacques Temple vit aujourd’hui dans un village du Gard. Il entretient très tôt une passion pour la littérature américaine : Melleville, Whiteman, Dos Passos, Faulkner, Hemingway… Il traduit notamment Lawrence Durell, Haniel Long, et Henri Miller avec qui il entretient une solide amitié.

Une vie d’engagements

A Alger où il suit son père nommé préfet en 1942, il rencontre l’éditeur de Camus Edmond Charlot qui publiera son premier recueil de poèmes. En 1943-1944, Frédéric Jacques Temple participe aux combats contre l’Afrikakorps en Tunisie, à la campagne d’Italie, et au débarquement de Provence. Cette expérience le pousse à écrire. Le recueil « poèmes de guerre » (1996) réunit ses textes inspirés de cette expérience.

De retour à Montpellier en 1948, l’écrivain entreprend une carrière dans la Radiodiffusion-télévision française. C’est à cette époque qu’il se lie d’amitié avec Joseph Delteil et Blaise Cendrars.

Pour Temple, la vie compte davantage que la fréquentation des salons littéraires. Ses premiers recueils de poèmes ne sont réunis qu’en 1989 par Actes Sud dans une anthologie personnelle plusieurs fois rééditée, qui a obtenu le prix Valery Larbaud. Il a également publié cinq récits chez le même éditeur ainsi que des traductions et des essais. A l’instar de celle de son compagnon Max Rouquette, l’œuvre de Frédéric Jacques Temples se conjugue avec la nature méditerranéenne et une certaine nostalgie d’un paradis perdu.

En complément de l’exposition, une série de manifestations permettent d’approfondir  l’œuvre de cet artiste en prise constante avec son époque. L’attraction qu’exerce la folie du monde nourrit le poète montpelliérain. Elle exhume ses forces élémentaires, le pousse à explorer sans jamais rompre avec les amarres de ses origines.

La carte blanche cinématographique  offerte à l’auteur dans le cadre du Cinemed comme le colloque, ponctué d’un hommage musical organisé par l’université Paul Valéry, ont permis d’approcher l’univers de Frédéric Jacques Temple. La soirée Parcours d’écrits ouvrira prochainement une autre voie d’accès. Le comédien Julien Guill, le musicien Michel Bismut et le sound designer Armand Bertrand ont choisi avec l’auteur des extraits de son œuvre qui donneront lieu à une performance* forte et sensible.

Jean-Mari Dinh

* Le 14 décembre prochain à 19h à la Médiathèque Emile Zola.

Voir aussi : Rubrique Livre, Littérature Française, rubrique Poésie, rubrique Culture d’Oc,

 

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition au Musée Fabre

Par Jean-Marie Dinh

L’expo Gallimard, Un siècle d’édition accueillie au Musée Fabre, retrace une affaire de famille. Ce que donne à voir la première salle d’exposition en localisant les lieux d’implantation successifs de la maison d’édition le confirme. Les images évoquent plutôt le cadre chaleureux d’un foyer, où le bureau du directeur jouxte la salle des auteurs, que les centres d’affaires impersonnels où se façonnent aujourd’hui les grands traits de l’hégémonie culturelle.

Lors de l’inauguration de l’exposition à Montpellier, Antoine Gallimard, un homme en phase avec son temps, a fait cette remarque à propos de l’histoire de son entreprise : « J’éprouve tout à la fois un sentiment de proximité et d’éloignement. » Comme si le Pdg de Gallimard s’interrogeait sur le destin de la maison, une des dernières réellement indépendantes à cette échelle. Il s’est ensuite attardé sur l’amitié que  tissent à Montpellier Gide et Paul Valery en 1890. Cette relation se poursuivra dans les méditations entretenues par les deux jeunes auteurs sur le rôle de la littérature. « A l’heure du numérique, on dit la littérature menacée, mais elle résistera sous différentes formes parce qu’elle nous permet de vivre », affirme Antoine Gallimard.

Le patron de la librairie Sauramps, Jean-Marie Sevestre, qui entretient une complicité de longue date avec l’éditeur confirme : « Montpellier est une ville de lecture, une ville culturelle, une ville intellectuelle, si nous sommes là aujourd’hui c’est grâce à cet entourage. » Mais si le terreau de matière grise montpelliérain était fertile, il a aussi fallu la volonté politique de l’Agglo, qui prend en charge le budget de l’exposition (200 000 euros) et, à la différence de Paris, permet le libre accès à un siècle d’histoire littéraire.

 

L'inauguration à Montpellier

L’esprit Maison

La création de Gallimard en 1911 fait suite à la volonté de La Nouvelle Revue Française de prolonger l’aventure  intellectuelle de la revue en éditant des auteurs auxquels elle croit. Le 31 mai 1911, André Gide et Jean Schlumberger qui président à la destiné de la NRF signent avec Gaston Gallimard l’acte de naissance des Editions Gallimard.

La première partie de l’exposition est consacrée au  processus de l’édition. On découvre l’esprit d’ouverture de la maison, du premier livre de la collection blanche L’otage de Claudel au lancement de la série noire en 1945 par Marcel Duhamel avec les traductions  de La môme vert-de-gris de Peter Cheyney ou du célèbre Pas d’orchidée pour Miss Blandish de James Hadely Chase. Dès 1919, Gaston Gallimard se lance dans l’édition pour enfant avec  Macao et Cosmage dont l’histoire merveilleusement illustrée délivre un message écologique avant l’heure. Chez Gallimard, on a le goût du livre pour le fond et la forme.

La seconde partie du parcours donne à comprendre la complexité du métier d’éditeur. La stratégie éditoriale à long terme implique une gestion faite d’interventions multiples, des relations délicates avec des auteurs comme Camus, Céline, Giono, Sartre, Breton, Michaux… aux adaptations techniques, politiques et commerciales.

L’exposition fait sortir de la confidentialité des documents exceptionnels. A travers les extraits de correspondances, le visiteur trouvera des éléments clés pour approfondir les œuvres des plus grands auteurs du XXe et saisir le contexte de leur époque. A découvrir crayon ou iPhone en main.


Musée Fabre : Gallimard Un siècle d’édition jusqu’au 3 novembre

 

La bibliothèque de la Pléiade ici et maintenant

Musée Fabre. Gros plan sur les petites lettres d’une prestigieuse collection dans le cadre de l’expo Gallimard.

La bibliothèque de la Pléiade est une collection de référence qui rassemble les plus grandes œuvres du patrimoine littéraire. Abritée par les éditions Gallimard depuis 1933, le premier exemplaire est édité par Jacques Schiffrin qui publie le premier tome de l’œuvre de Baudelaire en septembre  1931. L’idée d’offrir au public des œuvres complètes d’auteurs classiques en format poche compact intéresse André Gide qui intercède en faveur de son ami Schiffrin auprès de Gaston Gallimard pour que celui-ci reprenne sa bibliothèque.

Dans la dernière salle de l’exposition Gallimard Un siècle d’édition, on peut appréhender l’impact de cette collection prestigieuse sur les auteurs à travers différentes correspondances. Deux ans après la disparition de Camus (1), René Char renonce à écrire la préface des œuvres de son ami (2) à paraître dans La Pléiade : « Je dois ajouter que l’affection fraternelle que j’éprouvais pour Camus fait encore écran à mes possibilités de jugement touchant son œuvre grande ouverte. »

Soucieux de la postérité de son œuvre, Céline manifeste dès avril 1951 le désir d’entrer de son vivant dans La Pléiade. C’est assez rare. Gide, Montherlant, Malraux y sont parvenus. Sa demande tourne à l’obsession. Un contrat est signé en 1959, mais le premier volume de ses œuvres ne paraît qu’en 1962. Quelques mois après sa mort.

A l’inverse, Henri Michaux prie son éditeur de ne pas le faire entrer dans La Pléiade. Le poète assimile cette reconnaissance imprimée sur papier bible à un enfermement, au fait de devenir définitivement un professionnel alors qu’il revendique son statut d’amateur. « Nous ne sommes pas un répertoire des monuments historiques de la littérature française ou internationale. Nous proposons des œuvres susceptibles d’être lues, ici et maintenant même si elles ont été écrites ailleurs, il y a trois, cinq ou vingt siècles », affirme aujourd’hui Hugues Pradier qui conduit cette Rolls-Royce de l’édition.

(1) Camus dispose à partir de 1946 d’une collection chez Gallimard qu’il baptise « Espoir »
(2) Concernant la relation Char Camus voir correspondance 1946-1957, Gallimard 2007.

Voir aussi : Rubrique Exposition, rubrique Edition, rubrique Livre,

Théâtre: Extinction parcours d’une décomposition

Théâtre. Extinction le dernier roman dévastateur de Thomas Bernhard.

Serge Merlin

Le dernier roman de Thomas Bernhard, « Extinction », était cette semaine à l’affiche du Théâtre des 13 Vents  dans une adaptation épurée de Jean Torrent, et une réalisation de Blandine Masson et Alain Françon. Edité trois ans avant la mort du sulfureux écrivain autrichien le texte prend l’allure d’un testament philosophique où s’ouvre béante la blessure d’une jeunesse baignée dans une idéologie nauséabonde. Ce spectacle fut créé dans le cadre d’une lecture radiophonique produite par France Culture en 2009 au Théâtre de la Colline. Le rideau s’ouvre sur une scénographie minimaliste. Assis derrière une table, le comédien Serge Merlin donne à entendre un monologue de 90 minutes interrompu par quelques cartes postales sonores d’où surgissent de placides paysages autrichiens.

Installé à Rome, Murau reçoit un télégramme de ses deux sœurs, lui annonçant la mort accidentelle de leurs parents et de leur frère aîné. Murau se lamente à l’idée de retourner dans le domaine familial de Wolfsegg dont la magnificence, symbolise dans son souvenir toute la monstruosité familiale. Le récit devient un travail où la libération intérieure du fils malvenu, touché au sein de sa propre cellule familiale*, prend une ampleur collective ; celle du rejet d’une Autriche gangrenée par le national-socialisme et le catholicisme. Ce retour contraint aux origines aboutit à une liquidation désespérée de l’héritage sous la forme d’une rédemption symbolique.

L’interprétation  de Serge Merlin joue sur l’exagération chère à l’auteur dans une gestuelle économe qui évoque Artaud. Sur le chemin lucide de son anéantissement, le comédien alterne des sautes d’humeur entre calme et tempête. La systématie du jeu et l’humour plus moliéresque que caustique nuit quelque peu à l’intensité dramatique. Le spectacle aurait sans doute gagné a être joué en petite jauge.

Jean-Marie Dinh

Voir aussi : Rubrique Théâtre,

*Thomas Bernhard (1931-1989) fut  envoyé dans le centre d’éducation national-socialiste à l’âge de 9 ans.

Beigbeder : Prince de l’irrévérence

Auteur. Frédéric Beigbeder était l’invité du Forum FNAC vendredi.

La personnalité de Frédéric Beigbeder peut agacer, surtout quand il n’arrive pas à l’heure. Son côté nombriliste exacerbé en fait un modèle des princes irrévérencieux de notre époque. Notre héros apocalyptique s’affiche moderne. Il cultive son image de dandy inspiré en dilettante mais serait plutôt du genre bosseur. Il n’appartient pas au clan des usurpateurs qui encombrent au mois de  septembre les gondoles des supermarchés culturels comme des stocks de parasols en solde.

Pour rire on le marierait volontiers à la sombre princesse Nothomb avec qui il a des points communs. « Nous avons dîné ensemble dernièrement. Elle s’améliore, elle ne mange plus n’importe quelle saloperie. Nous avions commandé un plateau de fruits de mer, elle a juste mangé les algues. » Voilà peut-être le début d’une histoire d’amour.

A son crédit, l’homme n’a pas que la mèche rebelle et il sait rire de lui-même. La foule de jeunes lycéens faisant le pied de grue devant la (trop) petite salle du Forum Fnac de Montpellier peut en témoigner. La préface en forme d’alibi, de son dernier livre Premier bilan après l’apocalypse  prend l’allure d’un augure sinistre où l’auteur annonce la mort du livre. Cette réflexion n’est pas infondée d’autant qu’elle se nourrit de son expérience dans l’édition, chez Flammarion. « Le livre c’est une aventure qui dure depuis six siècles. Ce serait dommage qu’elle disparaisse sans débat comme c’est arrivé avec le disque. » Il a raison. Ceux qui s’intéressent au monde du livre le savent, on court à la catastrophe.

Voilà pourquoi Super Beigbeder sauve dans son ouvrage les 100 œuvres qu’il souhaiterait conserver au XXIe siècle. Il parle de la littérature mais une fois encore, c’est une forme d’autobiographie. « En parlant des autres, je me retrouve encore à parler de moi ce qui est un enfermement terrifiant », dit-il.

Pour le lecteur c’est plutôt l’inverse car la liste évidemment subjective de l’auteur compte plein d’auteurs méconnus qui donnent envie de lire. On y trouve des auteurs classiques comme Paul-Jean Toulet, F.S. Fitzgerald, Jean Cocteau, ou J.D. Salinger. Mais on trouve aussi de grands auteurs contemporains, tels que, Régis Jauffret, Patrick Modiano, Jean-Jacques Schuhl, ou Philip Roth.

Il y a peu de femme et pas mal d’américains  comme Bret Easton Ellis qui figure en tête du hit parade de Beigbeder pour son roman déjanté Américan psycho. « C’est le meilleur roman du XXe siècle car il a digéré tous les autres. Mais la littérature n’a pas vocation à être toujours nihiliste. » dit l’auteur de 99 fr et il le prouve en classant  L’Année de l’amour de Paul Nizon en seconde position, un autre romantique dont toute l’implication littéraire consiste à écrire sur lui-même avec une grande liberté.

Jean-Marie Dinh

Premier bilan après l’apocalypse, éditions Grasset, 20,5 euros.

Voir aussi : Rubrique Livre, La comédie du Livre 2011,  rubrique Editions, rubrique Rencontre, Entretien Beigbeder,