Elections législatives en Turquie : après l’impasse, l’implosion ?

image: http://s2.lemde.fr/image/2015/10/30/534x0/4800276_6_6d29_au-moment-ou-les-citoyens-turcs-semblent-se_0a873808a45e970a681c09eca8fd7323.jpg Au moment où les citoyens turcs semblent se libérer de la domination paternaliste imposée par M. Erdogan, ce dernier se prend pour le successeur du dernier sultan ottoman et entend cadenasser le pays à tous les échelons du corps social. Au moment où les citoyens turcs semblent se libérer de la domination paternaliste imposée par M. Erdogan, ce dernier se prend pour le successeur du dernier sultan ottoman et entend cadenasser le pays à tous les échelons du corps social. Rémi malingrëy

Incapables de former un gouvernement stable depuis les élections législatives du 7 juin, les Turcs sont de nouveaux appelés aux urnes le 1er novembre pour renouveler leur Assemblée nationale. Contrarié par le vote des électeurs qui l’ont privé d’une majorité absolue au Parlement, le président Recep Tayyip Erdogan a montré qu’il était prêt à tout pour monopoliser le pouvoir, réformer la Constitution et imposer un régime présidentiel.

Car au lieu d’apparaître comme un arbitre au-dessus de la mêlée, le leader de l’AKP, à la tête du pays depuis 2002, a multiplié les provocations et mis les Turcs sous pression, prenant le risque d’abîmer au passage le processus démocratique en Turquie et de bloquer la vie politique en rejetant toute idée de gouvernement de coalition.

L’avenir suspendu à trois défis

Pour sortir de cette impasse, ce qui se joue actuellement à Ankara n’est rien d’autre que l’avenir de la démocratie, suspendu à trois défis.

Le premier défi est institutionnel. Les Turcs donneront-ils cette fois-ci une majorité absolue à M. Erdogan ? Rien n’est moins sûr. La société turque a changé en une génération. Les classes moyennes se sont enrichies et les Turcs sont ouverts à la mondialisation. Or, au moment où les citoyens turcs semblent se libérer de la domination paternaliste imposée par M. Erdogan, ce dernier se prend pour le successeur du dernier sultan ottoman et entend cadenasser le pays à tous les échelons du corps social.

Le deuxième défi est politique. Singularité turque, la Constitution a fixé à 10 % le seuil d’entrée au Parlement. M. Erdogan n’a toujours pas digéré le fait que le Parti démocratique des peuples (gauche et prokurde) l’ait déjà franchi une première fois en juin. Il n’est pas le seul, les élites turques ont du mal à accepter l’idée de partager le pouvoir.

Dans son histoire, impériale ou républicaine, la Turquie a toujours considéré que le pouvoir politique relevait du domaine réservé des élites turques centralisatrices. Il est arrivé dans l’histoire qu’un individu issu d’une minorité nationale ou religieuse non musulmane occupe des places prestigieuses dans l’appareil d’Etat.

Métastases de la guerre en Syrie et en Irak

Mais le fait d’entrer en force au Parlement en tant que groupe constitué – en l’occurrence en tant que parti de la gauche démocratique prokurde – représente pour la nouvelle « Sublime Porte » une sorte de crime de lèse-turcité. Peu d’observateurs en Turquie ou à l’étranger relèvent cette pratique arbitraire et antidémocratique proprement turque.

Enfin, le dernier défi est stratégique et soulève de graves questions pour le développement économique de la Turquie en toute sécurité : quelle que soit l’issue du scrutin, rien ne dit que les fractures ouvertes entre le régime et le PKK, mais aussi les tensions entre Ankara et les djihadistes de Daech, qui multiplie les attentats sur le sol turc, se refermeront. D’autant que les métastases de la guerre en Syrie et en Irak peuvent à tout moment ronger le territoire turc et la stabilité du régime. Ce qui ne sera pas sans effet sur la position de la Turquie par rapport à ces conflits périphériques, ni sans incidence sur le processus d’adhésion – déjà bien compromis – d’Ankara à l’Union européenne.

En juin, les électeurs ont dit non à l’ambition ultraprésidentielle de M. Erdogan. En véritable ingénieur du rapport de force, il a riposté en bloquant la vie des institutions républicaines. Le 1er novembre, les électeurs peuvent sortir le pays de l’impasse, satisfaire ou non le projet de leur président et se réveiller au lendemain du scrutin dans une Turquie au bord de l’implosion.

Source : Le Monde.fr 31/10/2015

Voir aussi : Actualité Internationale, Rubrique Turquie, rubrique Politique, Politique Internationale.

Turquie. Si la guerre pouvait résoudre le problème, « ce serait fait depuis longtemps »

L’Agence France Presse a obtenu une interview exclusive du chef du PKK et du KCK, à l’abri des bombardements du régime Erdogan depuis les montagnes de l’extrême-nord du Kurdistan irakien.

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Depuis trois mois, les combats font à nouveau rage entre l’armée turque et les rebelles kurdes. Pourtant, de son repaire irakien, leur chef Cemil Bayik se dit prêt à faire taire les armes, et prévient que la « logique de guerre » d’Ankara risque d’étendre le conflit.

« Nous sommes prêts à cesser le feu dès maintenant », assure le dirigeant du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). « Mais si (le gouvernement turc) persiste dans cette logique de guerre (…) le conflit va s’étendre à toute la Turquie, à la Syrie et à tout le Proche-Orient », menace-t-il. Dans son impeccable « battle dress » vert pàle, Cemil Bayik a accordé un entretien à l’AFP au cœur des monts Kandil, dans l’extrême nord du Kurdistan irakien. Dans ce dédale de vallées étroites, le PKK règne en maître absolu. Les flancs des montagnes y sont recouverts de portraits du fondateur historique du mouvement, Abdullah Ocalan, qui purge depuis 1999 une peine de réclusion à perpétuité dans une prison turque. A l’entrée de chaque village, des combattants rebelles, Kalachnikov à l’épaule, filtrent le trafic. Mais l’essentiel de leurs unités reste caché dans les montagnes, pour se protèger des bombardements réguliers des F16 turcs.

Légitime défense

Dissimulé sous un bosquet d’arbres, assis devant deux drapeaux kurdes frappés de l’étoile rouge, Cemil Bayik accuse le Président islamo-conservateur turc Recep Tayyip Erdogan d’être le seul responsable de la reprise des hostilités. « Nous ne voulons pas la guerre (…) Nous avons tenté jusque-là par une voie politique et démocratique de faire avancer le dialogue », affirme le chef de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), qui regroupe tous les mouvements de la rébellion. « Mais Erdogan a empêché ce processus-là (…) il n’y a jamais cru ». Le PKK dément également alimenter la récente escalade de violence déclenchée par un attenta de l’EI qu’Ankara est accusée de soutenir. Il évoque la « légitime défense ». « La guérilla n’est pas encore entrée en guerre », se défend Cemil Bayik. « Ce que l’on voit, ce sont plutôt les jeunes qui sont montés au créneau, qui se protègent et protègent le peuple et la démocratie ».

Racines politiques

De plus, pour ce vétéran de la lutte kurde, ce retour aux « années de plomb » a des racines purement politiques. « Erdogan a perdu aux élections la majorité absolue, c’est pour ça qu’il a commencé à faire la guerre ». Le 7 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Erdogan a de fait perdu le contrôe qu’il exerçait depuis treize ans sur le pays. En raflant 80 sièges de députés, le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), a largement contribué à ce revers. A l’approche des législatives anticipées du 1er novembre, l’homme fort du pays a concentré ses attaques sur le HDP, accusé d’être complice des « terroristes ». Si le HDP répugne à reconnaître tout lien avec le PKK, Cemil Bayik, lui, affiche sans complexe sa proximité avec le parti. Il promet même une « initiative » pour le soutenir. « Il est nécessaire d’aider le HDP », juge-t- il. Un autre dirigeant du KCK, Bese Hozat, a même laissé entendre cette semaine dans la presse que le PKK pourrait suspendre ses opérations « pour contribuer à la victoire du HDP ». Cemil Bayik se dit in fine prêt à reprendre les discussions avec la Turquie, mais à condition qu’un « cessez-le-feu bilatéral » soit imposé et qu’Ankara libère des prisonniers kurdes dont Abdullah O calan.

Soutien occidental

Il compte aussi sur le soutien des Occidentaux. Américains et Européens « ont compris que les Kurdes étaient devenus une force stratégique dans la région », se réjouit-il. « Si la communauté internationale retire le PKK de la liste des organisations terroristes, la Turquie sera obligée d’accepter la réalité du problème kurde et acceptera le dialogue ». A 64 ans, le dirigeant du PKK, un modèré du mouvement, affirme avoir toujours « l’espoir » d’une « solution pacifique ». « S’il était possible de résoudre le problème par la guerre », dit-il, « ce serait fait depuis longtemps ».

Source AFP 10/10/2015

Voir aussi ; Actualité Internationale, Rubrique Moyen Orient, Kurdistan, Irak, Turquie,

En Turquie, Erdogan voit son rêve de sultanat lui échapper

4649155_6_e57e_le-president-turc-recep-tayyip-erdogan-dans-un_a561cc0e014e99adfbdf7e561ba83e49Les législatives du 7 juin en Turquie sont un sérieux revers pour le parti de la Justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) qui, pour la première fois depuis 2002, perd la majorité absolue au Parlement. Avec 40 % des suffrages, soit 254 députés sur 550, l’AKP reste le premier parti politique du pays mais sa défaite est cinglante.

Pour la première fois en treize ans, les islamo-conservateurs vont être contraints de former un gouvernement de coalition. Ils ne régneront plus en maîtres absolus sur le pays. « Si Dieu le veut, la décision de la nation est la bonne », a déclaré le premier ministre Ahmet Davutoglu à l’annonce des résultats. Le président Recep Tayyip Erdogan ne s’est pas exprimé.

Le tableau des résultats par région montre combien la désaffection est grande, en premier lieu dans les régions kurdophones de l’Est et du Sud Est, mais aussi sur toutes les côtes (Marmara, Méditerranée, Egée) où le vote en faveur de l’AKP a reculé par rapport aux législatives de 2011.

Avant tout, il s’agit d’un revers pour M. Erdogan qui se voyait déjà en hyperprésident. En mettant son projet de « sultanat » au centre des législatives, il en a fait un référendum sur sa personne. La réponse de l’électorat est sans appel. Il imaginait avoir 400 députés de l’AKP au Parlement ? Il ne les a pas. Il rêvait de modifier la Constitution pour renforcer son pouvoir ? Il ne le pourra pas. Non seulement, son projet de super-présidence est mort-né mais son étoile a considérablement pâli.

Autoritarisme sans limite

En se jetant à corps perdu dans la campagne — en dépit de la neutralité due à la fonction présidentielle — en polarisant la société dans ses discours (laïcs contre religieux, sunnites contre alevis, Kurdes contre Turcs) M. Erdogan a perdu l’adhésion d’une bonne partie de son électorat. On est loin du Tayyip de 2002, qui captait l’attention des foules en parlant de pluralisme, de liberté et de réformes. En 2015, les mots « complot » « terrorisme » et « structure parallèle » sont au centre de chacun de ses discours.

Son autoritarisme est sans limites. La presse, la justice, la police ont été placés sous son étroit contrôle. Engagé, depuis décembre 2013, dans une vaste purge contre la confrérie de son ancien mentor, l’imam Fethullah Gülen exilé aux Etats-Unis, il a fait muter, destituer ou arrêter policiers, juges et procureurs.

Un journaliste émet une critique ? Il est brimé, au mieux licencié, au pire accusé de « terrorisme » ou de « complot contre l’Etat ». Une vidéo qui ne lui plaît pas court sur You Tube ou Twitter ? Il les fait bloquer. Ses opposants sont des « traîtres » et M. Demirtas, le chef du parti démocratique du peuple (HDP), qui lui a fait de l’ombre pendant toute la campagne, est un « athée ».

Poussée à son paroxysme lorsqu’il s’est installé dans un palais de plus de 1 000 pièces à Ankara après son élection à la présidence en août 2014, sa folie des grandeurs lui a valu le surnom de « sultan ». La création d’une garde présidentielle en costumes dignes de la série « Game of Thrones » a ajouté le ridicule à la mégalomanie.

Jusque-là, les Turcs avaient tout avalé, y compris les révélations de corruption qui avaient éclaboussé en décembre 2013 son entourage familial et son gouvernement — M. Erdogan était alors premier ministre. Une conversation malheureuse avec son fils, Bilal, incapable de « remettre les compteurs à zéro » (faire disparaître le liquide) au moment où des perquisitions menées chez les fils de plusieurs ministres avaient révélé des boîtes à chaussures remplies de devises, laissa un goût amer à ceux qui croyaient en la blancheur immaculée du parti AK (en turc Ak veut dire blanc, propre).

Mais cela n’empêcha pas le « parti de l’ampoule » (le symbole de l’AKP) de remporter haut la main les municipales de mars 2014 et son chef historique la présidentielle d’août 2014. En revanche, lorsqu’il s’est agi de donner à M. Erdogan les pleins pouvoirs, les électeurs ont dit non. Piégé par son rêve de grandeur, l’étoile filante de la scène politique turque a été stoppée dans son ascension par les urnes.

Tournant dans l’histoire du pays

Et si 88 % des électeurs se sont déplacés pour aller voter, ça n’était pas tant pour élire leurs députés que pour dire non aux visées autocratiques du chef historique de l’AKP. Mission accomplie, puisqu’il n’a pas d’autre perspective que de retourner à son rôle de président sans grands pouvoirs, comme le stipule l’actuelle Constitution.

« C’est le triomphe de la paix sur la guerre, de la modestie sur l’arrogance, de la responsabilité sur l’irresponsabilité », a déclaré Sirri Süreyya Önder, député du HDP, dès l’annonce des résultats, dimanche soir. En remportant 13 % des voix, la petite formation kurde de gauche a brisé net le rêve du chef historique de l’AKP. Tout s’est joué sur ces voix-là.

En Turquie, le seuil nécessaire pour qu’un parti soit représenté au Parlement est de 10 %. Le pari était risqué pour le HDP car en cas d’échec, il aurait favorisé son adversaire, ses voix étant automatiquement portées au crédit de l’AKP, selon le système proportionnel en vigueur.

L’entrée d’un parti pro-kurde au Parlement marque un tournant dans l’histoire du pays. Elle a été possible grâce à Selahattin Demirtas, un avocat charismatique de 42 ans, qui l’a habilement conduit à la victoire. Sous l’impulsion de cet ancien militant des droits de l’Homme, né dans une famille kurde modeste de Elazig (est du pays), le HDP a estompé son aspect pro-kurde, prenant ses distances avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, interdit en Turquie) pour élargir sa base aux déçus du « tayyipisme ».

Bon tribun, doté d’un solide sens de l’humour, M. Demirtas, qui avoue « repasser ses chemises », s’est imposé comme le porte-parole d’une autre Turquie, celle des minorités ethniques et religieuses, des femmes, des homosexuels, des écologistes. Sa victoire est aussi un puissant message à l’adresse du PKK, indiquant qu’il est temps de penser aux élections et d’oublier les armes.

Marie Jégo

Source Le Monde.fr |07.06.2015

Voir aussi : Actualité internationale Rubrique Europe, Turquie, rubrique Livres , La société politique turque, On Line : Entrée en force des Kurdes du HDP au Parlement turc, Elections législatives en Turquie : l’hyper-présidence de M. Erdogan en question , Les Kurdes de Turquie se détournent d’Erdogan

Turquie: Erdogan élu président dès le premier tour

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Selon des résultats partiels, le chef du gouvernement islamo-conservateur, au pouvoir depuis 2003, a obtenu près de 52% des voix.

Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a été élu dimanche président de la République turque dès le premier tour du scrutin disputé pour la première fois au suffrage universel direct, ont rapporté les chaînes de télévision.

Le chef du gouvernement islamo-conservateur, 60 ans, au pouvoir depuis 2003, a obtenu près de 52% des voix, contre près de 39% au principal candidat de l’opposition Ekmelettin Ihsanoglu et plus de 9% à celui de la minorité kurde, Selahhatin Demirtas.

Sûr de sa victoire, le favori a voté en début d’après-midi en famille à Istanbul et a répété devant la presse sa volonté de garder les rênes du pays. «Le président élu et le gouvernement élu œuvreront main dans la main», a-t-il dit.

A la manière d’un rouleau-compresseur, le Premier ministre a écrasé la campagne par son charisme et la toute-puissance financière de son Parti de la justice et du développement (AKP) qui n’ont laissé que peu de chance à ses deux rivaux. Le candidat des deux partis de l’opposition social-démocrate et nationaliste, Ekmeleddin Ihsanoglu, un historien réputé de 70 ans qui a dirigé l’Organisation de la coopération islamique (OCI), n’a pu opposer qu’une image de grand-père rassurant mais sans relief.

«La campagne a été injuste, disproportionnée mais nous avons confiance dans le bon sens de notre nation», a déploré Ekmeleddin Ihsanoglu en votant. «Nous allons remporter facilement le premier tour», a-t-il pronostiqué contre tous les sondages.

Répression

Candidat des kurdes, le troisième candidat de ce premier tour, Selahattin Demirtas, un avocat de 41 ans au sourire photogénique, a fait des droits et des libertés sa priorité, mais ne devrait guère mordre au-delà de cette communauté de 15 millions d’âmes.

Paradoxalement, d’Erdogan intervient au terme d’une année politique très difficile pour son camp. En juin 2013, des millions de Turcs ont dénoncé dans les rues sa dérive autoritaire et islamiste. La sévère répression de cette révolte a sérieusement écorné l’image du régime.

L’hiver dernier, c’est un scandale de corruption sans précédent qui a éclaboussé le pouvoir. Erdogan a dénoncé un «complot» de son ex-allié islamiste Fethullah Gülen, avant de purger la police et de museler les réseaux sociaux et la justice.

Mais, même contesté comme jamais, Recep Tayyip Erdogan a remporté les élections locales de mars et reste très populaire dans un pays qu’il a débarrassé de la tutelle de l’armée et dont la majorité religieuse et conservatrice a profité de la forte croissance économique sous son règne.

Source  : AFP 10/08/145

Voir aussi :Actualité internationale, Rubrique Turquie,

Le parti d’Erdogan largement en tête aux élections municipales

Photo AFP

Photo AFP

Ankara — Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a proclamé dimanche soir sa victoire aux élections municipales et promis à ses adversaires de leur faire «payer le prix» des critiques et des accusations qui le visent depuis des mois.

«Le peuple a aujourd’hui déjoué les plans sournois et les pièges immoraux […] ceux qui ont attaqué la Turquie ont été démentis», a lancé M. Erdogan devant des milliers de partisans réunis devant le siège de son Parti de la justice et du développement (AKP) à Ankara.

Après le dépouillement de près de 80 % des bulletins de vote, l’AKP était nettement en tête du scrutin avec 44,9% des suffrages, bien devant son principal rival, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche) qui recueillait 28,4% des voix, selon les chaînes de télévision.Sauf grande surprise, la formation de M. Erdogan, au pouvoir depuis 2002, devrait conserver les deux premières métropoles, Istanbul et Ankara.

L’AKP, qui a remporté tous les scrutins depuis son arrivée au pouvoir en 2002, avait obtenu 38,8 % des suffrages lors des précédentes élections locales de 2009, et presque 50 % lors de son triomphe aux législatives de 2011.

Large victoire

Ce vote de confiance constituerait une très large victoire pour le Premier ministre, défié dans la rue, contesté par ses opposants et éclaboussé depuis des mois par un scandale de corruption sans précédent.

Sûr du soutien d’une majorité de Turcs, M. Erdogan a exprimé sa confiance avant même les premiers résultats, en glissant dimanche son bulletin dans l’urne à Istanbul.

« En dépit de toutes les déclarations et de tous les discours prononcés jusque-là pendant la campagne, notre peuple dira la vérité aujourd’hui », a-t-il déclaré. « Ce que dit le peuple est ce qui est, et sa décision doit être respectée ».

L’ampleur de la victoire qui se dessine devrait déterminer la stratégie à venir de M. Erdogan, dont le troisième et dernier mandat de Premier ministre s’achève en 2015.

Selon les analystes, ce score pourrait le décider à briguer en août la présidence de la République, disputée pour la première fois au suffrage universel direct. Un score plus serré l’aurait incliné à prolonger son mandat à la tête du gouvernement lors des législatives de 2015, au prix d’une modification des statuts de l’AKP.

Charisme

Après douze ans de règne, M. Erdogan, 60 ans, reste le personnage le plus charismatique du pays mais est aussi devenu le plus controversé : acclamé par ceux qui voient en lui l’artisan du décollage économique du pays, mais peint par les autres en « dictateur » islamiste.

Encore au faîte de sa puissance il y a un an, le « grand homme », comme l’appellent ses partisans, le « sultan », comme le moquent parfois ses rivaux, a subi une première alerte en juin 2013, lorsque des millions de Turcs ont exigé sa démission dans la rue.
Et depuis plus de trois mois, il est à nouveau sérieusement mis à mal par de graves accusations de corruption qui éclaboussent tout son entourage.

M. Erdogan a contre-attaqué en durcissant son discours pour mobiliser son camp. Et il a déclaré la guerre à ses ex-alliés de la confrérie de l’imam Fethullah Gülen, des « traîtres » soupçonnés d’avoir formé un « État parallèle » et de distiller sur Internet des écoutes téléphoniques pour nuire à son régime.

Malmené par ces révélations, le gouvernement a répondu par des purges et des mesures autoritaires, notamment le blocage de Twitter et de YouTube qui lui a valu une avalanche de critiques, en Turquie comme à l’étranger.

Renforcement de la démocratie

« Notre démocratie doit être renforcée et nettoyée », a répété en votant Kemal Kiliçdaroglu, le président du Parti républicain du peuple (CHP), le principal mouvement d’opposition. « Nous allons construire une démocratie apaisée », a-t-il promis.

Dans ce climat hypertendu par l’enjeu, les 52,7 millions d’électeurs turcs ont très largement voté mais restent très divisés. « Nous sommes ici pour montrer par nos suffrages qu’Erdogan peut résister à toutes les attaques », a assuré une électrice d’Istanbul, Nurcan Caliskan. « Je ne pense pas qu’il ait croqué de l’argent sale. Et même s’il l’a fait, je suis sûre que c’était pour le bien du pays ».

« Erdogan a démontré qu’il était […] prêt à tout pour rester au pouvoir », s’est indigné en écho Arif Dokumaci, un étudiant de 22 ans. « Aujourd’hui nous avons une chance de dire adieu à l’autocratie, mais c’est peut-être la dernière ».

De l’avis des analystes, le scrutin de dimanche ne devrait toutefois pas signer la fin de la crise politique. « La légitimité d’Erdogan restera posée après les élections, quels qu’en soient les résultats », estimait le journaliste réputé Hasan Cemal.

Burak Akinci

Source : Le Devoir AFP 31/03/14

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