Steven Cohen : Un travesti sans fard

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photo : Rédouane Anfoussi

Steven Cohen est un artiste d’Afrique du Sud, il s’est consacré pendant dix ans à la création d’œuvres plastiques exposées dans de nombreux musées internationaux. Il utilise son corps et parfois celui des autres, pour créer un « art vivant » qui empreinte des éléments à la fois à la sculpture, à la danse et au travestissement. Ses performances explorent plusieurs moyens d’expression traitant différentes questions identitaires liées à la judaïté, à l’homosexualité, au racisme et à l’identité ethnique. En résidence pour cinq jours au centre chorégraphique de Montpellier, Steven Cohen s’exprime sans réserve. Dans la vie comme dans l’art, il aborde les sujets de front.

« Votre expression artistique puise sa substance dans la fascination et les contradictions, qu’est-ce qui vous interpelle le plus en ce début de XXIe siècle ?

J’avais déjà commencé au XXe. La contradiction fait partie de la vie. C’est un besoin de l’art qui ne peut se satisfaire d’une pensée unique. Je suis fasciné par mes propres contradictions. Je suis un bon juif et un pédé, un Africain et un blanc. Mon sentiment se situe entre le narcissisme et la révulsion qui me traverse.

Qu’est ce qu’être un bon juif ?

Je suis croyant. Je me considère comme juif mais je suis pédé et dans l’ancien testament, il est écrit trois fois que nous sommes anormaux bref, qu’il faut nous faire disparaître. Je suis respectueux. J’essaie d’être honnête. En même temps, je m’interroge beaucoup sur mon honnêteté. En tant qu’Africain du Sud, j’explore le racisme qui est en moi. Cela dit, je trouve qu’en France les gens sont très racistes. La façon dont on considère les banlieusards est incroyable.

Dans la performance Chandelier qui sera projetée ce soir, on v,ous voit déambuler en chandelier tutu au milieu d’un bidonville en destruction à Johannesburg. Comment cette intrusion a-t-elle été perçue par la population ?

Le mot intrusion est juste parce que je suis blanc. Cependant, ce n’est pas une intrusion chez les gens mais dans l’espace public, là où la vie est en partage. Cela fait partie de mon travail parce qu’en Afrique, on ne va pas au musée. Je crois que les gens n’ont pas vraiment compris. Mais ils s’engagent. J’ai fait une expérience similaire à Lyon où les passants m’ignoraient. Ils faisaient semblant de ne pas voir. C’est vraiment terrible.

La souffrance qui traverse votre œuvre a-t-elle un statut différent en occident ?

En occident, on fuit la souffrance. Ce qui est impossible et donc très différent dans le reste du monde. Si on accepte la souffrance on a la possibilité de se transformer, pas si on la vit comme un déni.

Votre rapport à l’espace et au corps vous ouvre les portes du monde de la danse…

L’art est toujours visuel. Je ne suis pas un danseur, je suis plasticien et psychologue. La danse contemporaine est morte. Tout y est devenu vide et sec. Ils cherchent quelque chose pour se nourrir. Une nouvelle manière d’exprimer les choses. Moi je refais peut être ce qui se faisait dans les années 60 et que je ne connais pas. Quelque part cela m’effraie, mais mon ignorance m’innocente. En ce moment je passe mon temps entre Lille et Johannesburg. A Paris, je me sens comme une merde. Avec ces tours qui vous toisent, cette ville est faite pour ça. Je ne suis pas établi et ne cherche pas à l’être. Un critique a dit de moi que j’étais offshore ça me convient. Je suis établi en mer.

Golgotha, votre dernière création est en lien avec le suicide de votre frère vous y dénoncez les méfais du capitalisme…

Golgotha est le meilleur travail que j’ai fait. Un travail difficile, d’acceptation, c’est aussi un passage dans la sphère privée. Le rapport privé public, m’intéresse beaucoup parce qu’il touche à ce qui se passe derrière la porte. Si l’on parle de nous, on parle des autres. Les gens ont été choqués parce que je marchais sur des crânes humains. J’ai trouvé ces deux têtes asiatiques dans une boutique près de Wall Street. Ce qui est choquant c’est que ces têtes soient vendues avec l’aval de l’Etat qui perçoit des impôts sur ce commerce.

Pensez-vous que l’assassinat du néonazi Eugène Terre’Blanche peut réveiller de vieux démons en Afrique du Sud ?

Je ne suis pas sûr que l’affaire se soit passée telle qu’on l’a décrite. Il aurait été tué par deux de ses salariés esclaves qui gagnent 30 euros par mois. Qui avaient déjà fait de la prison et tué d’autres personnes ! Tout cela me paraît très confus. La position du président Zuma est aussi étrange… En Afrique du Sud rien n’est clair. En tous cas, je pense que c’est bien de parler de cela et pas de la coupe du monde qui occupe tous les esprits.

Quel est votre meilleur et votre pire souvenir ?

Le meilleur c’est quand j’avais six ans et que je me suis déguisé pour la première fois en fille. Mon père a pris une photo que j’ai conservée. Le pire c’était quand mon frère était en train de mourir. Il a dit sauvez-moi avant que je me suicide et je ne l’ai pas compris. Aujourd’hui ces deux souvenirs sont toujours au cœur de mon travail. »

Recueilli par Jean-Marie Dinh


 

cohen_web_thumbChandelier le 07 avril . 20h : Chandelier révèle à travers l’art de la performance, la danse et le film, les contradictions entre l’Europe et l’Afrique, les blancs et les noirs, les riches et les pauvres, l’ombre et la lumière, le privé et le public, les forts et les opprimés, la sécurité et le danger. Les images projetées durant la performance ont été réalisées en 2002 en Afrique du Sud au milieu des SDF noirs de Johannesburg pendant la destruction de leur bidonville par les employés municipaux de la ville dans un ballet où la violence est omniprésente. 

Le monde Khan

Le travail d’Akram Khan démontre autant qu’il affirme une évidence. Il ne faut pas laisser le champ mondial aux seuls politiciens. Donnée pour sa première en janvier à Pékin, la pièce Bahok, qui signifie transporter, évoque de simples aspirations humaines que la stricte notion de circulation des marchandises, expédie dans l’oubli.

Dans cette pièce où souffle le vent urbain, le chorégraphe londonien d’origine pakistanaise prend pour unité de lieu le hall d’un aéroport. Espace de transit et terrain d’action où l’horizon d’attente fait lien entre les passagers de provenances variées. Le temps rythmé est donné par les informations hypothétiques qui défilent sur le panneau d’affichage électronique. Avec humour, Akram Khan renvoie aux chapitres des attentes. Celles liées aux perturbations du système de contrôle, comme celles, plus profondes, des vagues mondiales qui submergent l’identité et ouvrent sur l’attente intérieure.

Espace de transit

La scénographie transdisciplinaire emprunte au théâtre, et notamment celui de Peter Brook avec qui Akram Khan a travaillé en tant que comédien. Comme dans le théâtre de Becket, on ne sait rien de la destination des huit danseurs. Le chorégraphe joue avec les représentations. Il n’y a pas de compétence commune du regard, juste des différences. Ici le théâtre ouvre sur les limites de la langue parlée. Lumière est faite sur les échanges stériles et les unités de séparation. Au-delà de leurs différences culturelles, l’impossible communication entre les êtres devient tension, et finalement chemin qui mène à la danse.

Un autre langage, fait de réciprocité mutuelle. Alliance dynamique de signes et de mouvements, issue de la danse traditionnelle indienne et chinoise croisée aux techniques classiques et contemporaines. Maîtrise de l’espace et de la vitesse, ampleur du geste, présence forte des bras, l’âme mise à nu par le corps forge un nouveau vocabulaire. Le mouvement fulgurant des danseurs surgit des êtres reconstruits. Et l’on perçoit d’emblée tout ce qui ne pouvait se dire. Les mouvements codifiés des pratiques traditionnelles muent vers une expression spontanée un peu répétitive. Mais les gestes traversent les couches épaisses de dogmes, socioculturels et religieux avec une fluidité apaisante.

Akram Khan qui s’est formé aux meilleures sources, de la danse traditionnelle, du ballet classique, en passant par la technique de Martha Graham et de Merce Cunningham, ouvre dans cette recherche, perméable aux expressions les plus différentes, une alternative à la concurrence. L’espace corporel prend la « parole » à partir de l’inhumanité du conditionnement extérieur. C’est spectaculaire et accessible. Un peu didactique, quand les danseurs se saisissent des commandes pour afficher sur le tableau d’affichage un retour au chez soi, à la mémoire … Mais l’invitation à la médiation par le corps interpelle.


Akram Khan à la recherche d’une identité qui dépasse les différences

Rankin