François Hollande a renoncé, mercredi 30 mars, à l’issue de quatre mois de controverse, à la mesure qu’il avait appelée lui-même de ses vœux face au Congrès réuni à Versailles au lendemain des attentats du 13 novembre. « J’ai décidé de clore le débat constitutionnel mais je ne dévierai pas des engagements que j’ai pris pour assurer la sécurité du pays », a déclaré le président de la République. C’est donc l’abandon de l’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux et de la constitutionnalisation de l’état d’urgence.
Un renoncement dont le président a tenté de faire porter la responsabilité à l’opposition : « Une partie de l’opposition est hostile à toute révision constitutionnelle. Je déplore profondément cette attitude. » Il a par ailleurs tenu à rappeler « l’efficacité » de l’état d’urgence et les engagements qui ont été pris pour augmenter les moyens de la police, de la gendarmerie, de l’armée, de la police des douanes et des services pénitentiaires.
Pression des parlementaires
Depuis vingt-quatre heures, les différents acteurs parlementaires ont multiplié les déclarations et enterré peu à peu l’hypothèse d’une réunion du Congrès, même si la révision était réduite à l’article 1 sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, seul aspect de la mesure qui faisait consensus entre les parlementaires. Echauffés par une nouvelle attaque du premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis – « la balle est dans le camp de la droite » –, les dirigeants du parti Les Républicains (LR) ont été à la manœuvre en rejetant toute la journée de mardi l’idée d’une révision limitée. « Tout ça n’a pas de sens, l’état d’urgence fonctionne déjà très bien, expliquait ainsi au Monde Bruno Retailleau après la réunion des sénateurs LR. Nous mettons François Hollande face à ses responsabilités, c’est sa majorité qui s’est divisée, sa ministre qui a démissionné, ce n’est plus notre problème. » Son homologue à l’Assemblée, Christian Jacob, a lui expliqué qu’un « Congrès a minima ne présente aucun intérêt ».
Histoire d’accentuer encore un peu plus la pression, Gérard Larcher a, lui, envoyé un courrier au président de la République pour lui demander de renoncer au Congrès ou d’engager une navette sur les deux articles tels qu’ils avaient été réécrits par le Sénat. Dans l’expectative, Bruno Le Roux a continué à défendre cette révision tout en accusant la droite. « Oui, nous avons besoin de cette révision constitutionnelle, a expliqué le président du groupe socialiste à l’Assemblée sur France Info avant d’accuser la droite. La raison qui peut bloquer aujourd’hui c’est qu’une partie, et je dis bien une partie, de la droite ne veut pas que le président de la République puisse se prévaloir d’une révision constitutionnelle, même sur des questions qui sont des questions essentielles pour notre pays et des questions essentielles. »
Parcours chaotique
Annoncé lors du Congrès du 16 novembre par le président de la République, l’article 2 sur la déchéance de nationalité a subi dès son annonce la contestation d’une partie de la majorité socialiste. Une notion a irrité en particulier. Dans le « projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation », présenté mercredi 23 décembre au conseil des ministres, l’extension de la déchéance de nationalité ne concerne que les binationaux. Ce texte grave dans le marbre de la Constitution deux classes de Français, selon les opposants, notamment la ministre de la justice, Christiane Taubira, qui finit par démissionner, le 27 janvier. Le même jour, mis sous pression, Manuel Valls est alors contraint de proposer une nouvelle rédaction devant la commission des lois de l’Assemblée. Cette fois-ci, la déchéance peut concerner tous les Français et le gouvernement étend cette peine aux délits. L’Assemblée nationale finit par adopter cette version par 317 voix pour, 199 contre et 51 abstentions, le 10 février. La réécriture a permis de ramener quelques députés socialistes dans le camp du oui (165 pour, 83 contre, 36 abstentions). « Je ne doute pas un seul instant que le Sénat fera preuve de la même responsabilité », déclare après le vote M. Valls à la presse.
C’était sans compter sur le désir d’indépendance du Sénat et de sa majorité de droite. A la manœuvre, Gérard Larcher, président du Sénat, Bruno Retailleau, président du groupe LR, et Philippe Bas, président de la commission des lois, avaient répété dans les médias que la création d’apatrides est une « ligne rouge » à ne pas franchir. En commission, les sénateurs réintroduisent la notion de binationalité en écrivant que la déchéance « ne peut concerner qu’une personne condamnée définitivement pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation et disposant d’une autre nationalité que la nationalité française ». Ce nouveau texte est adopté, mardi 22 mars, par 176 voix pour, 161 contre et 11 abstentions. Entre la majorité de l’Assemblée rétive à la notion de binationalité et celle du Sénat très attachée à son texte qu’elle estime plus proche du discours de François Hollande fait devant le Congrès, la synthèse était donc impossible.
Source : Le Monde.fr 30.03.2016
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