INTERVIEW – La vague de froid rend encore plus aiguës les questions d’accession à l’énergie pour les ménages défavorisés. Jean Gaubert, le médiateur national de l’énergie, revient sur cette problématique qui est un véritable enjeu de société.
LE FIGARO. – Comment définir la précarité énergétique?
Jean GAUBERT. – Selon la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement: «Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat.» Afin de quantifier le nombre de personnes touchées par la précarité énergétique, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), présidé par l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), et dont le médiateur est partenaire depuis sa mise en place en 2011, utilise une combinaison de plusieurs indicateurs concernant les dépenses énergétiques, le niveau des revenus et le ressenti du froid. Les derniers chiffres publiés, à partir de la dernière enquête logement de l’Insee, font état de 5,6 millions de ménages en précarité énergétique, soit 12,1 millions de personnes, c’est-à-dire un Français sur 5.
Quels sont les éléments qui sous-tendent cette précarité?
De mon point de vue, la précarité énergétique est liée à trois facteurs qui sont indissociables: la fragilité des foyers disposant de faibles ressources financières, la mauvaise isolation des logements et le prix de l’énergie. Depuis une décennie, le revenu des catégories les plus modestes a peu évolué, et parfois pas à hauteur de l’inflation. Par contre les prix de l’énergie ont beaucoup augmenté. Selon les chiffres du dernier baromètre Énergie-Info, une enquête que je réalise chaque année, 33% des Français se sont privés de chauffage au cours de l’hiver 2015-2016, pourtant clément, afin d’éviter de payer des factures trop élevées. Par ailleurs, 8 % des personnes interrogées ont rencontré des difficultés pour payer certaines factures d’énergie et 2% d’entre-elles déclarent avoir subi une réduction de puissance en électricité ou subi une coupure d’électricité ou de gaz naturel. Les personnes les plus en difficulté sont souvent celles qui résident dans les bâtiments les plus vétustes, mal isolés, avec de ce fait des coûts énergétiques élevés. La précarité énergétique est un sujet majeur de préoccupation pour moi, car elle a un impact social et sanitaire important.
La libéralisation du marché de l’énergie a-t-elle intensifié la précarité?
Je pense qu’il ne faut pas faire d’amalgame et tout mélanger, même si selon moi, la libéralisation des marchés de l’énergie ne s’est pas faite, jusqu’à ce jour, dans l’intérêt des consommateurs. Pour autant, la création par le législateur, d’un médiateur national de l’énergie, au moment de l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz naturel à la concurrence, a permis de mettre en place un nouvel interlocuteur, neutre et indépendant, observateur privilégié du fonctionnement des marchés. Mes services, que ce soit lorsqu’ils interviennent en médiation pour résoudre des litiges, ou qu’ils informent et assistent les consommateurs dans leurs démarches, sont confrontés à des personnes qui sont dans des situations financières délicates, et parfois mêmes dramatiques. Les difficultés de paiement de factures d’énergie représentent, selon les années, entre 10% et 20% des sollicitations qui me sont adressées. C’est parce que des factures d’énergie très élevées, parfois de plusieurs milliers d’euros, peuvent faire basculer des familles du jour au lendemain dans la précarité, que je suis fier d’avoir obtenu, dans le cadre de la loi de transition énergétique, la limitation des rattrapages de facturation à 14 mois, une mesure qui est entrée en vigueur l’été dernier.
Quelles sont les propositions du médiateur national de l’énergie pour remédier à la situation?
J’ai soutenu plusieurs dispositions en faveur des consommateurs d’énergie les plus précaires, que le législateur a décidé d’adopter: par exemple, la trêve hivernale des coupures d’énergie du 1er novembre au 31 mars, l’interdiction des rattrapages de facturation remontant à plus de 14 mois – répétons-le – et la mise en place du chèque énergie qui, à la différence des tarifs sociaux, apporte une aide, quelle que soit l’énergie de chauffage utilisée. Ce sont des avancées considérables, mais il reste du chemin à parcourir! Le chèque énergie est pour l’instant en phase d’expérimentation dans quatre départements. Je suis très favorable à sa généralisation prévue le 1er janvier 2018, même si des ajustements me paraissent nécessaires pour améliorer son efficacité, en particulier son montant et la garantie du bénéfice des droits liés, lors de la trêve hivernale. Je plaide aussi pour la mise en place d’un fournisseur d’électricité universel de dernier recours, pour les consommateurs, particuliers ou petits professionnels, en situation financière délicate, qui ne parviennent plus à souscrire de contrat avec un fournisseur.
Et s’agissant plus précisément du logement….
Les mesures curatives précitées sont nécessaires mais elles doivent s’accompagner d’actions de rénovation sur l’habitat afin notamment de supprimer les «passoires énergétiques». Dans ce but, des mesures préventives avec des effets sur le long terme sont indispensables. Je pense notamment au renforcement du programme «Habiter mieux» de l’Anah (Agence nationale de l’habitat) et, pour les logements en location, à l’obligation d’un niveau de performance énergétique minimum. Seule la conjugaison de moyens d’action curatifs et préventifs permettra de faire reculer durablement la précarité énergétique. Pour ma part, fort des enseignements retirés des litiges individuels dont je suis saisi, j’ai le souci permanent de continuer à être force de propositions pour renforcer la protection des consommateurs d’énergie, et en particulier des plus fragiles.
Source Le Figaro 3/01/2017
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