Nathalie Garraud et Olivier Saccomano : « il ne s’agit pas seulement diffuser des œuvres mais aller vers le public »

La metteure en scène Nathalie Garraud et l’auteur Olivier Saccomano prendront leurs fonctions en janvier 2018. photos DR

Ils viennent d’être nommés par la ministre de la Culture Audrey Azoulay  pour diriger le Centre dramatique national (CDN) de Montpellier.

La metteure en scène Nathalie Garraud et l’auteur Olivier Saccomano ont été nommés à la tête du CDN de Montpellier. Ils prendront leur fonction en janvier 2018 et évoque leur projet d’une seule voix.

Comment avez-vous appréhendé la nouvelle de votre nomination ?

Nous nous sommes sentis très honorés de cette nomination. C’est une grande étape dans notre travail de construction. Celui des dispositifs qui nous occupent de longue date autour de la création, au service des artistes, des oeuvres et du public. Cela va nous permettre de repenser le rapport avec la troupe associée et les habitants du territoire. De renouer avec la mission d’origine des CDN qui était de faire vivre la relation entre l’art théâtral et un territoire dans la durée. A nos yeux, il ne s’agit pas seulement de diffuser des oeuvres mais d’aller vers les publics. Le théâtre doit sortir de lui-même pour que les gens puissent y revenir.

Quel regard portez-vous sur les enjeux politiques de cette nomination ?

Au cours de cette période, nous avons défendu un projet. Les enjeux politiques sont inévitables. Ce type de nomination en comporte toujours. Mais nous n’avons pas eu à en faire l’expérience dans les faits. Les différentes tutelles ont prêté une oreille attentive et respectueuse à notre proposition. Nous avons conscience d’arriver à la suite d’une expérience singulière. Ce sont les contrecoups, mais cela n’a pas entravé ni fait dévié notre projet.

Vous évoquez la notion de troupe très présente au sein de la Compagnie du Zieu, comme celle de sa direction par un auteur et une metteure en scène. Quelle est votre méthode de travail ?

Nous mettons en présence les différentes pratiques à partir desquelles se construit notre processus de création. L’écriture, le jeu, la mise en scène fonctionnent dans un développement permettant des associations d’idées. Cela ouvre des dimensions très intéressantes. On avance chacun dans notre pratique, il nous semble important de maintenir la différence dans chaque discipline, mais on passe le relais. Cela crée une vraie dialectique. Nous sommes dans un rapport d’ajustement de nos pensées qui contourne l’opposition classique entre acteurs et metteur en scène.

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Comme le statut d’auteur et les conditions d’écriture…

Oui, l’écriture prend des formes variables selon les textes. Il peut y avoir un primat du texte sous forme de séquences, dialogues, poèmes… dont les acteurs s’inspirent. A partir de là, nous laissons se construire des situations qui traversent de part en part le texte en fonction de ce qui se passe. A l’inverse, une séquence d’acteur, l’incidence d’éléments scéniques, peut générer de nouveaux rebondissements textuels. Nous ne nous soucions pas des statuts de l’auteur ou du metteur en scène qui se trouvent modifiés par notre construction. On se méfie de ces places, qui sont des places de pouvoir, pour donner plus d’importance à l’énergie.

A l’instar du premier épisode de votre dernier cycle de création « La beauté du geste », donné à Montpellier, vous accordez aussi un espace de débat avec le public à l’issue des pièces. Est-ce une pratique habituelle ?

Ce n’est pas systématique, nous l’avons initié avec notre cycle les Spectres de l’Europe qui était une forme d’enquête théâtrale sur la façon dont l’Europe se construit, dans la matérialité de ses frontières, la texture de son idéologie, et l’obscurité de ses fantasmes, vis-à-vis de ceux qu’on appelle les étrangers. Le débat en cercle avec le public après les représentations nous semble un bon support, il casse un peu la frontière bord plateau. Il faut réinventer le théâtre citoyen très à la mode, mais très difficile à initier. On tombe vite dans des modèles qui relèvent davantage de la communication que de l’évidence pratique.

Comment entendez-vous répondre à l’objectif principal des CDN, celui d’offrir un accès à la création théâtrale pour tous les publics ?

Le public est le premier de nos partenaires. On s’adresse à lui avec confiance, amitié, fraternité. Ce qui ne veut pas dire lui donner ce dont il a envie. D’ailleurs, beaucoup de gens présument de l’attente du public.

On constate aussi l’affirmation d’une attitude de consommation au sein du public régulier lié aux effets sociétaux…

Oui, le rapport à la consommation traverse l’ensemble de la société. Le modifier suppose d’impulser des stratégies internes aux oeuvres elle-mêmes. On peut ainsi s’engager dans des schémas inattendus, plus inconnus. Pour être opérant, le travail en direction des publics est toujours profond et de longue haleine. On ne fait évoluer les gens que sur le temps long. Cela nous l’avons expérimenté à Amiens en direction d’un public qui ne fréquentait pas le théâtre. Nous sommes allés vers eux. Cela a provoqué différents types de réactions, certaines personnes étaient intimidées, d’autres carrément hostiles mais nous avons été persévérants. Et quand nous y sommes retournés, pas seulement pour montrer des pièces, ils nous ont dit, « ah vous êtes quand même revenus… » C’est ainsi que les relations s’établissent et que l’on peut les développer. Le théâtre peut susciter du goût et du dégoût. C’est comme la terre, il faut la travailler.

Comment entendez-vous faire rayonner le CDN ?

Le rayonnement peu s’entendre à plusieurs échelles. Olivier Py parlait de la décentralisation des trois kilomètres qui est une composante. Nous allons également travailler avec un ensemble associé d’artistes dont une metteure en scène montpelliéraine. Un autre axe concerne le rapport du CDN avec la Région. Au niveau international, nous nous attacherons à faire circuler les oeuvres méditerranéennes. Nous travaillons à la mise en place d’une Biennale des arts de la scène de la Méditerranée. On ne niera pas les difficultés du temps. Nous sommes dans une logique qui ne sépare pas les types d’oeuvres, de publics et d’artistes. On doit penser plus large.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Source : La Marseillaise 22/04/2017

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