Multiplexe : Gilles Debetz dévoile son projet

Comment est parti ce projet de Multiplexe au Nord de Montpellier ?

Je travaille dessus depuis cinq ans. L’arrivée des multiplexes nous a fait perdre 50% de notre chiffre d’affaires au centre-ville. Pour être compétitif, il fallait s’agrandir. Nous avons essayé de racheter le garage Citroën du centre-ville, mais cela n’a pu se faire. J’ai aussi rencontré les acteurs pour une implantation à Juvignac puis nous nous sommes tournés vers St Gély où les conditions d’implantation nous ont paru plus favorables.

En termes financiers ?

Non, dans les deux cas on nous accordait des facilités pour l’emplacement mais il n’y a pas de soutien financier particulier. C’est l’implication de la communauté de communes du Pic St Loup et le résultat de l’étude marketing qui ont fait la différence. Le coût global est de
9 millions d’euros. On attend entre 400 000 et 500 000 spectateurs dès la première année.

Avec un fauteuil pour 29 habitants, l’Agglo se situe déjà au-dessus de la moyenne nationale. D’où viendra votre clientèle ?

D’un périmètre qui va des quartiers nord de Montpellier, s’étend de Vailhauques à Ganges et revient en passant par Castelnau. C’est un bassin de population qui concerne plus de 100 000 habitants. Les études réalisées dans cette zone indiquent que près de 50% des spectateurs ne vont plus au cinéma parce que c’est trop loin de chez eux. La création du Multiplexe Royal augmentera le nombre de spectateurs. Il faut aussi tenir compte de la croissance démographique. Enfin, et c’est un point important, nous comptons sur la qualité du service et de l’offre que nous allons proposer.

Votre projet qui émane de la chaîne Aubert, veut se distinguer des Multiplexes classiques ?

Cela fait 43 ans que je travaille dans le cinéma. J’ai commencé au Gaumont Palace de Clichy. Je vais souvent voir des films à Paris en tant que spectateur lambda, mais je ne fréquente pas les multiplexes parce qu’on ne s’y sent pas bien. Le pop-corn, les jeux, le bruit, les spectateurs qui sortent par les portes de secours, tout cela ne correspond pas à ma vision du cinéma. A Saint-Gély, nous allons construire un endroit où les gens auront plaisir à se retrouver. Il y aura notamment une grande salle de 600 places où nous organiserons des soirées à thèmes, des expos et des retransmissions de concerts en direct comme nous le faisons déjà. Le 9 décembre ce sera le concert d’Elton John à Paris.

Reste que la multiplication des salles ne joue pas en faveur de la diversité de l’offre ?

Je ne programmerai pas des films expérimentaux, mais je ferai de l’art et essai. Il y a un créneau à Montpellier pour cela, comme pour les œuvres en version originale. Aujourd’hui, il est fréquent que les distributeurs nous refusent des VO à cause de notre taille. Ce qui n’a pas de sens. On se retrouve avec deux versions françaises au centre-ville. Alors que le public me demande de la VO. Je suis le premier exploitant à avoir signé un contrat avec Gaumont pour projeter des classiques français en version originale numérique. Nous allons les programmer le premier jeudi de chaque mois.

On sait que l’impact des multiplexes contribue à la disparition des cinémas du centre-ville. Mais vous affirmez que le Royal ne fermera pas…

Oui. Pour nous l’acceptation du projet par la CNEC est une bouée de sauvetage. Sans cela nous aurions dû fermer. Avec cinq salles on ne pèse pas assez face aux distributeurs. Maintenant on fait n’importe quoi. Ici Gaumont prend tous les films qui sortent et les largue au bout d’une semaine. C’est la loi du fric. Avant, les distributeurs suivaient la vie des films. Ils les défendaient, ils demandaient dans quelle salle ils se jouaient. Aujourd’hui, le mercredi ils sont à Paris attablés à la table du Fouquet’s. On leur téléphone pour leur donner les chiffres globaux et ils débouchent du champagne. Moi je les appelle des … (nom de poisson de mer en dix lettres). Le multiplexe Royal va me donner une puissance que je n’avais pas pour accéder aux films. Avec les huit salles de St-Gély, on passe à treize salles et on est pas superstitieux !

recueilli par Jean-Marie Dinh

Le futur multiplexe Royal Pic-Saint-Loup


DM

Histoire de femmes pendant la guerre

le chant des marieesLe film Le chant des mariées conte l’histoire d’une amitié fusionnelle entre deux adolescentes, Myriam et Nour. Nous sommes à Tunis en 1942. Issues de communautés différentes, les deux jeunes filles partagent la même maison. Nour va se marier avec son cousin qui cherche du travail, Myriam l’envie. Mais en novembre l’armée allemande entre dans Tunis.

Après La petite Jérusalem, couronnée par le prix de la semaine de la critique à Cannes, le second long métrage de Karim Albou évoque une période méconnue de l’histoire. L’occupation allemande de la Tunisie, qui a durée six mois. Dès novembre 1940, l’Amiral Estena, résident général de France en Tunisie, édicte le statut applicable aux Juifs. Et les discriminations subies par les Juifs tunisiens diffèrent peu de celles de Vichy. Hormis les vichystes convaincus, les responsables français en Tunisie n’arrivent pas à choisir leur camp.

Le film de Karim Albou, algérienne par ses origines paternelles, ne se veut pas historique. C’est un film de femme intimiste. La guerre entre par l’extérieur, la radio, ce que l’on voit par la fenêtre, le bruit des bombardements… Tandis que la caméra reste proche des corps, de l’innocence, de la sensualité des deux jeunes filles. Mais la guerre s’infiltre dans leur quotidien et brise leur relation comme elle brise leurs rêves. Socialement frustré, le fiancé de Nour se laisse gagner par la propagande antisémite et accepte le travail que lui proposent les nazis. Myriam doit se marier avec un homme qu’elle n’aime pas. L’amitié entre les deux jeunes filles bascule. La force du film est de se mettre en équation avec le déterminisme de l’histoire sans y céder, comme une mise à nu qui conserve son mystère.

Jean-Marie Dinh

Le Chant des mariées, Cinemed, le 31 oct 2008

Voir aussi : rubrique cinéma Tunisie Les Secrets de Raja Ammari,

L’Égypte foisonnante

Une histoire tragi-comique sans tabou

Une histoire tragi-comique sans tabou

Est-ce qu’une nuit de plaisir peut effacer soixante années de douleur ? C’est la question que pose le réalisateur égyptien Adel Adeeb dans The baby Doll night. Sous les traits d’une banale comédie, le film fait le tour des problèmes touchant au Proche-Orient en enfreignant au passage tous les tabous imaginables, y compris celui de la Shoa, jamais abordé par le cinéma arabe.

A l’occasion de la Saint Sylvestre, Houssam, qui travaille à New-york, s’apprête à rejoindre sa femme au Caire. Séparé depuis un an, le couple n’a qu’un seul souhait : passer ensemble une nuit de rêve où ils concevront un enfant attendu depuis fort longtemps. Mais ce désir si pieux rencontre toute une série d’obstacles qui sont autant d’occasions d’évoquer : le 11 septembre et ses suites pour les Arabes aux États-Unis, le conflit israélo-palestinien, la guerre d’Irak et le camp dAbou Ghraib, la Shoa et la construction du mur israélien, le terrorisme et sa condamnation…

C’est le dernier scénario du grand scénariste Abdel Hay Adeeb, servi par les plus grands acteurs égyptiens. Un testament brillant et moqueur sur notre époque et sans doute une ouverture pour le cinéma arabe de demain. On est aux antipodes du non-dit puisque tout est dit ou presque (l’essoufflement du pouvoir égyptien est suggéré) dans ce film qui n’hésite pas à soulever les jupes de la statut de la Liberté.

Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Rubrique Rencontre Khaled Al Khamissi
 
 
 

 

« Ne pas toucher à la dignité »

Cinemed. Les Hors-la-loi, de Tewfilk Farès, film ovni du cinéma algérien

Les Hors-la-loi Tewfilk Farès

Les Hors-la-loi Tewfilk Farès

Tournée en 1969, Les Hors-la-loi est le premier film en couleur du cinéma algérien. C’est aussi le film qui a fait le plus d’entrée en Algérie et un très bon score en France, où il est resté à l’affiche une semaine avant d’être victime de la censure. Quarante ans plus tard, le film reparaît au Cinemed grâce à la sagacité du distributeur Splendor film. L’action se déroule en Kabylie autour de 1948. Le film conte l’histoire de trois bandits d’honneur qui jouent bien des tours aux administrateurs. Pour s’être opposés aux injustices subies par la population, ces redresseurs de torts sont demeurés de véritables héros populaires en Algérie. Ceux sont aussi les premiers à avoir rejoint le maquis, avant l’apparition de l’armé de libération nationale. « Quand j’ai tourné ce film en 1968, tous les réalisateurs algériens faisaient des films autour de l’indépendance. Moi je voulais faire à la fois un film historique et populaire. Je récuse l’appellation western qui me semble un peu réductrice, même si j’ai utilisé certains codes. Les Algériens qui étaient très cinéphiles à l’époque aimaient çà. Je me souviens les voir spontanément se lever et crier de joie à l’arrivée de la cavalerie, sans forcément réaliser qu’ils étaient du côté des indiens », explique Tewfik Farès. L’espace naturel, participe au vent de liberté qui se dégage de ce film rythmé par la guitare de Georges Moustaki. Le regard du réalisateur restitue subtilement l’organisation familiale où la femme tient un rôle de pilier. Il s’avère également remarquable dans la direction d’acteur, tous très convaincants Sid Ahmed Agoumi, Cheikh Nourredine, Jacques, Monod, Jean Bouise… Un film plein de respect, élégant, intelligent, drôle, qui n’a pas pris une ride. Peut-être parce que Farès se préoccupe de préserver la dignité. Après une expérience fructueuse à la télévision avec les documentaires de Télécité réalisés par les jeunes des quartiers en difficultés, on attend avec impatience son retour au cinéma : « Il ne faut pas que l’on fasse de ces gosses des hors-la-loi… » dit-il.

JMDH

Voir aussi : rubrique cinéma Féraoun une vision lucide, Cinemed 2009 un cinéma libéré,autour du film de Bouchareb, rubrique livre Laurent Mauvignier Des hommes, Todorov la signature humaine, rubrique politique locale le musée de la France en Algérie,


Cinemed, 30 ans d’ouverture et toujours de l’inédit

il_divo

En ouverture du festival le film de Paolo Sorrentino, Il divo

Une sirène assise sur le chiffre 30 sur fond de soleil couchant : « C’est une affiche signée Caza qui ne connaît pas la crise », commente le directeur du Cinemed, Jean-François Bourgeot. A l’aube de cette trentième édition, tout se passe comme si l’identité du festival et son âge respectable lui permettaient d’observer avec une certaine sérénité les bouleversements qui secouent la planète. Cette présentation de l’édition 2008 a permis aux pères fondateurs Pierre Pitiot et Henri Talvat de revenir sur le chemin parcouru depuis cette semaine consacrée au cinéma italien, initiée en 1979. « On n’est jamais prophète en son pays a souligné Pierre Pitiot, mais je me réjouis de la reconnaissance acquise autour de la Méditerranée. Et j’ai la certitude que le festival est devenu le phare de ce cinéma qui nous unit et nous fascine », a confié celui qui entame sa dernière présidence de l’événement.

Une identité essentielle

Voilà de quoi rassurer le public (85 000 spectateurs attendus) sur la question de l’identité de la manifestation qui conserve sa destinée. Le débat soulevé l’an dernier par le président de l’Agglo tendant à élargir la vocation du Cinemed en dépassant la dimension méditerranéenne ne semble plus à l’ordre du jour. Du moins en ces termes, car bien plus que de se poser en gardien de l’identité méditerranéenne, les organisateurs cinéphiles savent que le cinéma est un regard spécifique qui se nourrit d’autres apports. Le Cinemed offre un espace d’expression aux réalisateurs méditerranéens dont les œuvres renvoient à une multitude d’horizons. A cet égard on peut citer le film Baby Doll Night de l’Egyptien Adel Adeeb, qui donne, pour la première fois dans l’histoire du cinéma arabe, une représentation de la Shoa. Dans l’environnement mondial, il ne s’agit plus de rester circonscrit aux seuls territoires concernés mais de les dépasser. Et si le manque de visibilité nationale, dont peut souffrir le Cinemed, correspond à sa spécificité, le festival s’inscrit, comme l’a souligné Michaël Delafosse, dans la nécessaire volonté de « montrer des œuvres de l’esprit face à une industrie très concentrée. »

La richesse de la diversité

Avec 120 films inédits répartis dans la programmation et ses rétrospectives issues des sélections concoctées par ses nombreux invités, l’édition 2008 offre un panorama d’une riche diversité. 14 pays du bassin méditerranéen sont représentés dans la compétition longs métrages, dont le film turc Les trois singes de Nuri Bilge Ceylan, (Prix de la mise en scène à Cannes). Dans la section Panorama, la place importante accordée aux courts métrages participe pleinement à la révélation de nouveaux talents. Parmi les 21 courts en compétition, on trouve des points d’entrée percutants comme le film Insights du réalisateur israélien Dana Keidar, où un sniper observe une jeune palestinienne dans sa lunette. A cela s’ajoute un panorama des meilleurs courts métrages produits entre 2007 et 2008 et les 11 films de la compétition documentaire.

Les grands rendez-vous

La soirée d’ouverture s’annonce comme un clin d’œil à l’histoire du festival avec Il divo, projeté à Cannes cette année. Le film italien de Paolo Sorrentino dresse le portrait sans complaisance D’Andreotti, vieil homme politique rompu à la pratique du pouvoir qui prépare sa réélection. L’hommage qui sera rendu aux frères Taviani à travers la sélection d’une quinzaine de leurs films, comme celui consacré au réalisateur espagnol Jaime Camino pour son œuvre sur la fin de la guerre civile espagnole, renoue avec les thématiques politiques.

Autres temps forts, l’avant première de Mesrine de Jean-François Richet, un concert de musiques de film avec le compositeur algérien Safy Boutella et l’hommage à Youssef Chahine avec la projection de l’Emigré.

Jean-marie Dinh

L’agglomération de Montpellier est le premier partenaire financier de l’événement avec un financement de 455 000 euros.