Gabriel Monnet, figure emblématique de la décentralisation théâtrale, partage avec Char la puissance sauvage des militants de l’art, de l’esprit entier. Sans concession. Monnet a répondu présent à l’invitation de La Maison de la Poésie de Montpellier . « J’ai découvert Char au lendemain de la guerre avec « Le soleil des eaux » un texte fascinant avec 40 personnages. Le texte est bâti avec un mode d’écriture en escalier. Il faut du temps pour le monter, un temps que je n’ai jamais rencontré. Mais le texte m’a ouvert sur l’œuvre. Je me souviens du livre de Georges Monin « Avez-vous lu Char ? » qui s’interrogeait sur son prétendu hermétisme ! ».
La rencontre entre Monnet et Char dure le temps d’une journée.
« A mon insu, ma femme lui a écrit pour nous ménager une rencontre. J’ai passé ainsi une journée dans son grenier. Nous avons beaucoup ri échangeant et buvant du vin du Ventoux. Je ne l’ai jamais revu. Il tenait farouchement à sa solitude. Et il était tellement imprévisible. Cela m’impressionnait beaucoup ».
Toute l’œuvre théâtrale de Char est regroupée dans Trois coups sous les arbres. La langue de Char se prête-t-elle au théâtre ?
« C’est un théâtre très rare. Un théâtre intermédiaire entre la lecture, le jeu et la all slots représentation d’une très grande pureté et simplicité. Planchon a créé Claire en 1951. « Soleil des Eaux » a été donné à la radio avec le concours de Jacques Dupin. Char fait parler les personnages de tous les jours autour de la rivière menacée par une usine. Les pêcheurs de la Sorgue s’expriment dans un univers écologique. Mais l’auteur déborde le caractère écologique pour en faire une fable tellurique ».
La place de la poésie ici et maintenant ?
« A l’école bien sûr, mais pas seulement ; la place de la poésie doit être première dans la république. La poésie doit trôner au ministère de la culture qui devrait être autre chose que la cinquième roue du carrosse. Elle doit se trouver en lieu et place de la religion, construire des cathédrales. Il faut comme le souhaitait Char arracher au divin les mots qui se sont englués, pour faire autre chose ».
Nahal Tajadod est née en Iran. Elle descend d’une famille liée à l’histoire de son pays. Elle vient vivre à Paris en 1977, sinologue, elle a travaillé sur les relations entre l’Iran et la Chine.
Votre dernier livre « Sur les pas de Rûmi » suit les traces de ce grand poète universel…
Oui, pour faciliter la lecture des poèmes de Rûmi qui regorgent de paraboles et de références à la culture persane, j’ai choisi d’extraire 36 récits de son célèbre chant d’amour le Masnavi. Cette œuvre que l’on appelle aussi le « Coran mystique » compte six épais volumes. J’introduis aussi le personnage d’un relieur qui suit le parcours du poète et devient narrateur.
Sur quels critères avez-vous sélectionné les récits ?
Le livre est composé en trois parties qui retracent la vie et les étapes mystiques vécues par Rûmi. Je dois dire que ma collaboration avec Federica Matta qui a illustré le livre a été déterminante. Elle avait lu et apprécié mon roman » Roumi le brûlé « . Elle est venue me voir pour travailler avec moi et elle m’a donné les mots clés en me disant simplement « étonne-moi ». Cela m’a servi de fil conducteur pour choisir les poèmes. Par exemple le premier poème est une lettre d’amour que satan envoie à dieu.
A un moment de sa vie Rûmi brise tout lien avec le monde pour suivre un derviche errant. Il fait le choix de se perdre pour exister ?
Le soufisme est une essence sans forme. En s’identifiant totalement à l’être aimé, le derviche Shams de Tabriz, Rûmi accomplit une annihilation mystique. Il y a un passage dans le livre où le relieur frappe à la porte de Rûmi en lui disant c’est moi. La porte reste close. Il revient frapper un peu plus tard en disant c’est toi et la porte s’ouvre.
Rûmi s’émancipe de la philosophie et de la théologie, comment le situer par rapport à l’islam ?
Pour les adeptes du soufisme, plusieurs voix mènent à dieu. De son vivant, on lui a reproché son insouciance à propos du vin qu’il buvait volontiers ou de la danse qu’il pratiquait au lieu de prier. Il répond que certains sont élus et qu’une cruche de vin que l’on verse dans l’océan ne suffit pas à le contaminer. J’ai cherché à mettre en valeur sa pensée et son non-conformisme. Il est l’incarnation de tous les paradoxes. Il était poète mais son nom signifie silence. Il était fou amoureux mais provoque le départ de son aimé…
les sentiments et les passions de l’amour
C’est sous la menace de l’invasion mongole au XIIIe siècle que Rûmi (1207-1273) prend le chemin de l’exil qui le conduira à traverser la Perse d’est en ouest, de Bath, au nord de l’Afghanistan, à Konya en Turquie, où son mausolée est aujourd’hui encore vénéré par tout l’Orient. Ce ne sont pas les ravages mongols qui incitent le poète à partir mais ceux, plus brûlants encore, de l’amour, qui le pousseront à chanter les extases mystiques de sa ferveur irraisonnée pour un derviche. Et exalter ainsi sa passion pour dieu. Son amour rayonnant, et à la fois sa perte, trouvent leur expression dans le Mathnawi.
Avec Sur les pas de Rûmi, Natal Tajadod opère un choix dans l’œuvre majeure du poète soufiste pour poursuivre le dialogue entre les cultures. Cette proposition spirituelle empreinte d’une grande tolérance religieuse, s’inscrit en stricte opposition avec les théories du clash des civilisations qui nous dépossèdent de nos facultés de respect et d’altérité depuis 15 ans. Elle permettra peut-être de renouer avec les témoignages empathiques ramenés par Gérard de Nerval dans son Voyage en orient.La douceur et la maîtrise des moyens plastiques de Federica Matta qui illustrent l’ouvrage préfacé par Jean-Claude Carrière s’inscrivent pleinement dans cette démarche d’ouverture.
Le livre se compose de trois parties correspondant aux étapes de la vie de Rûmi : J’étais cru, période initiatique où le poète est un simple disciple. Je devins cuit, où il devient maître et porteur de sagesse pour les autres. Et, je fus brûlé, phase de perdition après sa séparation avec l’être aimé. Période où le maître spirituel n’est ni ceci, ni cela, mais seulement le fou mystique. L’écriture de Rûmi reste toujours très attachée à la subtilité et à la concision, pour exprimer au mieux les sentiments et les passions de l’amour. Mais ses textes restent très accessibles. » Je lui demande : As-tu visité ce pays ? Il répond : Celui qui l’a vu ne peut le montrer. Il déplie son turban et en extrait un baume qu’ilapplique sur sa main gercée. Puis il saisit le creux de ma main et y verse une goutte. Elle pénètre dans ma chair. Mon corps entier tremble ». La liberté de Rûmi pour décrire les beautés de la nature et de l’amour donnent à ces poèmes un intérêt qui transcende largement leur époque.
JMDH
Nahal Tajadod « Sur les pas de Rûni », 25 euros, Albin Michel.