Il est question de la Réforme dans Michael Kohlhass, d’Arnaud des Pallières tourné en Cévennes. Photo DR
Les films tournés en Languedoc-Roussillon génèrent de nombreuses retombées économiques et mettent en valeur le territoire, ce qui fait l’objet de quelques tractations…
Cinq films tournés en Languedoc-Roussillon seront présentés dans les différentes compétitions et sélections du festival de Cannes qui s’ouvre demain. « C’est exceptionnel. Nous vivons un peu ces sélections comme une consécration. Cela montre la dimension qualitative et la diversité de notre travail. Nous le vivons comme un encouragement », se réjouit Marin Rosenstiehl de l’équipe Languedoc-Roussillon Cinéma.
Au sein de la commission du film, Marin oeuvre toute l’année pour faciliter et faire connaître les tournages dans la région. Grâce à cette politique de soutien à la production audiovisuelle, 553 jours de tournage ont eu lieu ici en 2012.
Les cinq films sélectionnés* au grand rendez-vous du cinéma mondial arrivent à point nommé pour démontrer que l’objectif n’est pas seulement quantitatif. L’équipe de Languedoc-Roussillon cinéma se rend chaque année à Cannes pour faire son marché. ?« Le festival est une grand-messe incontournable pour donner de la visibilité à notre potentiel régional. Il y est plus facile de rencontrer les professionnels qu’à Paris. On est assuré d’y trouver les producteurs, les réalisateurs et les journalistes spécialisés. Sur place, on enchaîne sept à huit rendez-vous par jour et généralement on va à l’essentiel », explique Marin.
L’essentiel est de mettre en valeur les atouts de la région comme l’ensoleillement, la variété des décors et des lieux de tournage, ou le travail de valorisation de communication auprès des diffuseurs et autour des films après leur sortie. Il faut aussi tenter de venir à bout des handicaps qui résident surtout dans les coûts. ?« Tourner à 800 km de Paris coûte cher en frais de déplacements. C’est un facteur déterminant pour les producteurs. Nous disposons d’un fonds aide à la production de 1,3 M d’euros à répartir sur une quarantaine de projets. L’autre solution c’est l’association de deux régions comme dans le cas du dernier film de Christophe Honoré qui à lieu en L-R et en PACA.»
Avec cinq films à l’affiche du Festival, l’édition 2013 du Festival de Cannes s’annonce plutôt comme un bon cru pour l’équipe Languedoc-Roussillon Cinéma qui rêve de faire des petits un peu partout sur le territoire.
JMDH
*Michael Kohlhass, long métrage d’Arnaud des Pallières, (en compétition officielle), long métrage de Suzanne de Katell Quillévéré, (en ouverture de la semaine de la critique), Un voyageur de Marcel Ophüls et Le Guepa sur la vilni de Yann Le Quellec, (à la quinzaine des réalisateurs), et Ô heureux jours ! documentaire de Dominique Cabrera (programmé par l’Acid).
Actuellement sur les écrans, le film de Margarethe von Trotta Hannah Arendt ne retrace pas la vie de la philosophe allemande. Pour se borner à l’essentiel et le rendre accessible, il ne s’attarde pas non plus sur l’élucidation des concepts de pouvoir et la théorie politique d’envergure qu’elle a posé face à l’émergence du totalitarisme. L’action se situe au début des anneés 60, au moment où Arendt se rend à Jérusalem assister au procès hyper médiatisé d’Eichmann pour le compte du New Yorker. Les extraits des enregistrements au tribunal exercent toujours un pouvoir de fascina- tion, d’autant plus que soixante ans plus tard les mécanismes qu’elle décrivait comme le refus de penser par soi-même sont, dans un autre contexte, plus que jamais d’actualité.
Face à l’idéologie sioniste et au choc émotionnel suscité par ce procés, la philosophe met le doigt sur le déni d’intelligence qui s’impose de manière plus ou moins calculé à tous. Pour développer sa pensée, Arendt s’en tient à la raison. Un des mérites du film est de montrer la grande humanité qui l’habitait par ailleurs.
Le scandale provoqué par ses articles où elle affirme le concept de « banalité du mal »* allant jusqu’à souligner que nombre des dirigeants de la communautés juives ont, pour de complexes raisons, participé au processus d’extermination, est largement abordé. Il est bien sûr question de la violente controverse que ses propos ont provoqué au sein de cette communauté juive qui l’a accusée d’antisémitisme.
On peut voir dans le rapport à l’histoire qui nous est proposé dans le film un moyen d’apaiser les mémoires blessées et une bonne manière de vaincre l’oubli en se prémunissant des excès mémoriels. Mais le fond de sa pensée était de décrire un système monstrueux et de ne pas considérer l’homme comme un monstre. Pour la philosophe, comme pour son maître à penser Heidegger, dont elle condamne les erreurs politiques, l’homme est un homme. Hannah Arendt recherche les fondements et dévoile des impensés en se confrontant aux problèmes existant.
Jean-Marie Dinh
* Eichmann à Jérusalem, Folio histoire, éditions Gallimard.
Source : La Marseillaise L’Hérault du Jour, 28/04/13
Le montage est l’organisation des plans d’un film dans certaines conditions d’ordre et de durée (Marcel Martin). Le montage est « productif » : il assure la mise en présence de deux éléments filmiques, entraînant la production d’un effet spécifique que chacun de ces deux éléments, pris isolément ne produit pas.
Le montage a trois fonctions : syntaxique, sémantique et rythmique.
1/ FONCTION SYNTAXIQUE : c’est le montage-découpage. Il s’agit d’articuler les plans les uns par rapport aux autres pour donner de la continuité, de l’unité. D’où l’utilisation de raccords, par un geste, un mouvement de caméra, etc. qui amène en douceur le plan suivant. Ces raccords doivent donc nécessairement être prévus à l’avance. Ce montage-découpage ne crée pas de lecture du monde, il reste dans l’évidence. Il assure entre les éléments qu’il assemble, des relations indépendantes du sens du sens qui ne se révèle qu’en examinant le rythme global du film. Les relations syntaxiques sont essentiellement de trois sortes :
Effet de liaison : La production d’une liaison formelle entre deux plans successifs, le raccord, qui renforce la continuité de la représentation elle-même.
Effet de ponctuation et de démarcation : la figure du fondu enchaîné marque la plupart du temps un enchaînement entre deux épisodes différents d’un film.
Effet d’alternance : L’alternance peut être fondée sur la simultanéité temporelle. On parle alors de montage alterné. L’action peut se dérouler dans un lieu identique (poursuivant / poursuivi) ou dans des lieux différents (Dans Idle class sont décrits alternativement l’arrivée du vagabond à la gare et le réveil de riche mari de Edna). Marcel Martin réserve le terme de montage parallèle au rapprochement symbolique entre deux situations. Ainsi Eisenstein dans la séquence de La grève, juxtaposant le massacre des ouvriers par l’armée et une scène d’égorgement d’un animal à l’abattoir.
On a ainsi une première fonction de production de sens dénoté, essentiellement spatio-temporel, production d’un espace filmique, et de façon générale de l’histoire.
Ce montage que Marcel Martin qualifie de narratif est le plus transparent possible et ne produit aucun signe en direction du spectateur. Mais chacun de ces trois effets porte en germe une source de montage expressif : l’effet de liaison peut être perturbé par un faux raccord, l’effet de ponctuation d’un fondu-enchainé peut entraîner un flash-back
2/ FONCTION SÉMANTIQUE : production de sens connoté, le montage met en rapport deux éléments différents pour produire des effets de causalité, de parallélisme, de comparaison, etc. La production de sens connoté est omniprésente dans le montage parallèle dont le but est de rapprocher symbolique deux situations. Ainsi Eisenstein dans la séquence de La grève, juxtaposant le massacre des ouvriers par l’armée et une scène d’égorgement d’un animal à l’abattoir.
Des effets de sens retardés sont à l’oeuvre dans des raccords dans l’axe ou des raccords dans l’axe inversés. Aprile s’ouvre sur un plan du présentateur de la télévision. Lui succède un plan plus large révélant le vrai contexte de la scène avec le cadrage de Giovanni et sa mère commentant ces résultats politique de la soirée du 28 mars 1994.
Le second exemple utilise le raccord dans l’axe inversé. Giovanni, dans son bureau demande à ses collaborateurs de filmer la campagne électorale de Berlusconi en plans fixes. Il se retrouve lui-même, seul, face à l’écran. Il se met à prononcer des mots plus extravagants les uns que les autres et qui se révèlent être – lorsqu’il est filmé au plan suivant, de derrière et dans un cadre plus large découvrant un kiosque à journaux – des titres de quotidiens ou de magazines.
L’image modifiée : est le nom donné par Gilles Deleuze à un procédé qu’il a repèré dans deux westerns de John Ford : une image est montrée deux fois, mais la seconde fois, modifiée ou complétée de manière à faire sentir la différence entre la situation de départ et celle d’arrivée. Dans Liberty Valance, la fin montre la vrai mort du bandit et le cow-boy qui tire, tandis qu’on avait vu précédemment l’image coupée à laquelle s’en tiendra la version officielle (c’est le futur sénateur qui a tué le bandit). Dans Les deux cavaliers, on nous montre la même silhouette de shérif dans la même attitude mais ce n’est plus le même shérif. Il est vrai que entre les deux S et S’, il y a beaucoup d’ambiguïté et d’hypocrisie. Le héros de Liberty Valance tient à se laver du crime pour devenir un sénateur respectable, tandis que les journalistes tiennent à lui laisser sa légende, sans laquelle il ne serait rien. Et, comme l’a montré Roy (Pour John Ford, édition du cerf), Les deux cavaliers ont pour sujet la spirale de l’argent qui, dès le début, mine la communauté et en fera qu’agrandir son empire. »
Ce motif de l’image modifiée était déjà présent, magnifiquement, dans La prisonnière du désert. D’une part avec l’image de Debbie, qu’Ethan élève au dessus de lui au début du film pour marquer la reconnaissance de sa filiation et à la fin lorsqu’il résout enfin la question du racisme et renonce à la tuer bien que « souillée » par sa vie avec un indien. L’autre image modifiée est celle de l’embrasure de la porte, signe d’espoir d’intégration au début, signe du retour à la vie solitaire à la fin.
Au début de Citizen Kane la caméra monte au dessus d’une grille sur laquelle figure « No trespassing » et transgresse l’espace personnel de Kane au moment de sa mort, moment intime par excellence. A partir du dernier mot prononcé, « Rosebud » va s’enclencher une enquête, une chasse comme celle de Ethan dans La prisonnière du désert. Seul le spectateur apprendra ce que signifie ce mot car l’enquête menée dans le film échoue. Dans les milliards de caisses laissées à la mort de Kane, des ouvriers viennent faire du vide et jettent des caisses au feu : sous une luge, sur laquelle jouait Kane enfant on distingue le mot « Rosebud ». La luge est brûlée et l’on suit le parcours des flammes et la fumée qui s’échappe. Se clôt ainsi la vie d’un homme et l’on repasse à l’extérieur du domaine. On ne peut deviner la vie d’un homme en essayant de mieux connaître son intimité. Seul l’art permet de l’approcher.
Dans La nuit du chasseur , on a bien la même scène au début et à la fin. Le père, le vrai puis celui qui a incarné le mal en pourchassant les enfants, est arrêté par les flics. Cette arrestation est filmée les deux fois dans les mêmes conditions : sur une pelouse où le père est jeté à terre par les flics. A chaque fois, l’enfant se donne un coup de poing sur le ventre. Ainsi selon Bill Khron : à la place du serment monstrueux, accepté par le fils au début du film de ne pas révéler où se trouve l’agent, l’enfant, à la fin, éventre la poupée en criant : « No, no, it’s too much ». Comme libéré du secret, il peut accéder à l’âge adulte.
3/ FONCTION RYTHMIQUE : rythmes temporels (bande son), ou plastique (répartition dans le cadre des intensités lumineuses). Gilles Deleuze distingue quatre écoles de montage : la tendance organique de l’école américaine, la dialectique de l’école russe, la quantitative de l’école française d’avant-guerre, l’intensive de l’école expressionniste allemande. En reprenant le terme de Vincent Amiel, on leur ajoutera le montage collage.
Le montage organique :
Un film de Griffith est conçu comme une grande unité organique. L’organique c’est d’abord une unité dans le divers, c’est à dire un ensemble de parties différenciées : les hommes et les femmes, les riches et les pauvres, la ville et la campagne, le Nord et le Sud, les intérieurs et les extérieurs. Ces parties sont prises dans des rapports binaires qui constituent un montage alterné parallèle, l’image d’une partie succédant à celle d’une autre suivant un rythme.
Mais il faut aussi que la partie et l’ensemble entrent eux-mêmes en rapport, qu’ils échangent leur dimension relative. L’insertion du gros plan, en ce sens n’opère pas seulement le grossissement d’un détail mais entraîne une miniaturisation de l’ensemble, une réduction de la scène à l’échelle d’un personnage. En montrant la manière dont un personnage vit la scène dont il fait partie, le gros plan dote l’ensemble objectif d’une subjectivité qui l’égale ou même le dépasse.
Enfin, il faut encore que les parties agissent et réagissent les unes sur les autres, à la fois pour montrer comment elles entrent en conflit ou restaurent l’unité. De certaines parties émanent des actions qui opposent le bon et le méchant, mais d’autres parties émanent des actions convergentes qui viennent secourir le bon : c’est la forme du duel qui se développe à travers toutes ces actions et passe par différents stades.
En effet il appartient à l’ensemble organique d’être toujours menacé ; ce dont les noirs sont accusés dans Naissance d’une nation c’est de vouloir briser l’unité récente des Etats-unis en profitant de la défaite du Sud. Les actions convergentes tendent vers une même fin, rejoignant le lieu du duel pour en renverser l’issue, sauver l’innocence ou restaurer l’unité compromise, telle la galopade des cavaliers qui viennent au secours des assiégés. C’est la troisième figure du montage, montage convergent, qui fait alterner les moments des deux actions qui vont se rejoindre. Et plus les actions convergent, plus la jonction approche, plus l’alternance est rapide (montage accéléré)
Le montage dialectique :
La loi du processus quantitatif et du saut qualitatif : le passage d’une qualité à une autre et le surgissement soudain de la nouvelle qualité. L’un qui devient deux et redonne une nouvelle unité, réunissant le tout organique et l’intervalle pathétique.
Eisenstein fait un reproche majeur à Griffith : les parties différenciées de l’ensemble sont données d’elles-même comme des objets indépendants. Il est dès lors forcé que lorsque les représentants de ces parties s’opposent ce soit sous forme de duels individuels où les motivations collectives recouvrant des motivations étroitement personnelles (par exemple une histoire d’amour, élément mélodramatique). Griffith ignore que les riches et les pauvres ne sont pas donnés comme des phénomènes indépendants, mais dépendent d’une même cause qui est générale qui est l’exploitation sociale. Ce qu’Eisenstein reproche à Griffith, c’est de s’être fait de l’organique une conception toute empirique, sans loi de genèse ne de croissance ; c’est d’en avoir conçu l’unité d’une manière toute extrinsèque, comme unité de rassemblement, assemblage de parties juxtaposées et non pas unité de production, cellule qui produit ses propres parties par division, différenciation ; c’est d’avoir compris l’opposition de manière accidentelle, et non comme la force motrice interne par laquelle l’unité divisée reforme une unité nouvelle à un autre niveau.
L’organique est une grande spirale conçue scientifiquement en fonction d’une loi de genèse, de croissance et de développement. La spirale organique trouve sa loi interne dans la section d’or, qui marque un point césure, et divise l’ensemble en deux grandes parties opposables mais inégales. On a un montage d’opposition et non plus un montage parallèle.
La composition dialectique ne comporte pas seulement la spirale organique, mais aussi le pathétique ou le développement. Il n’y a pas seulement unité organique des opposés, lien organique entre deux instants, mais bond pathétique où le deuxième instant acquiert une nouvelle puissance puisque le premier est passé en lui. De la tristesse à la colère, du doute à la certitude, de la résignation à la révolte. Le pathétique est passage d’un terme à l’autre, d’une qualité à une autre, et le surgissement soudain de la nouvelle qualité qui naît du passage accompli. Il est à la fois compression et explosion. La ligne générale divise sa spirale en deux parties opposées, « L’ancien » et « Le nouveau » et reproduit sa division, répartit ses oppositions d’un côté comme de l’autre : c’est l’organique. Mais, dans la scène célèbre de l’écrémeuse, on assiste au passage d’un moment à l’autre, de la méfiance et de l’espoir au triomphe, du tuyau vide à la première goutte, passage qui s’accélère à mesure que s’approche la qualité nouvelle, la goutte triomphale : c’est le pathétique, le bond ou le saut qualitatif.
Le montage quantitatif :
Dans l’école française d’avant guerre (Abel Gance) on assiste aussi à une rupture avec le principe de composition organique. Avec un certain cartésianisme le maximum de mouvements est recherché, composition mécanique (fête foraine d’Epstein dans Cœur fidèle, Le bal de Marcel L’Herbier dans El Dorado, les farandoles de Grémillon. Plus que la conception organique des danseurs ou la conception dialectique de leurs mouvements, on cherche à abstraire un seul corps qui serait le danseur et un seul mouvement. A la limite, la danse serait une machine dont les pièces seraient les danseurs. Le type de machine privilégié est l’automate, machine simple ou mécanisme d’horlogerie. Clair mouvement mécanique comme loi du maximum de mouvement pour un ensemble d’images qui réunit en les homogénéisant les choses et les vivants, l’animé et l’inanimé. Les pantins, les passants, les reflets des pantins, les ombres de passants vont rentrer dans des rapports très subtils d’alternance, de retour périodiques et de réaction en chaîne qui constituent l’ensemble auquel le mouvement mécanique doit être appliqué (la fugue de L’Atalante, la composition de La règle du jeu, les abstractions géométriques dans un espace homogène lumineux et gris, sans profondeur de René Clair, Un chapeau de paille d’Italie, Le million). L’objet concret, l’objet de désir, apparaît comme moteur ou ressort agissant dans le temps. L’individualisme est partout l’essentiel, il tient le rôle de ressort ou de moteur développant ses effets dans le temps, fantôme, illusionniste ou savant fou destiné à s’effacer quand le mouvement qu’il détermine aura atteint son maximum ou l’aura dépassé. Goût général pour l’eau, la mer ou les rivières permettent de trouver dans l’image liquide une nouvelle extension de la quantité de mouvement dans son ensemble ; de meilleures conditions pour passer du concret à l’abstrait, une plus grande possibilité de communiquer aux mouvements une durée irréversible indépendamment de leurs caractères figuratifs. Pour la lumière, l’école française substitue l’alternance à l’opposition dialectique et au conflit expressionniste.
Le montage expressionniste :
La force infinie de la lumière s’oppose les ténèbres comme une force également infinie sans laquelle elle ne pourrait se manifester. La lumière n’a qu’une chute idéale, mais le jour, lui, a une chute réelle : telle est l’aventure de l’âme individuelle, happée par un trou noir dont l’expressionnisme donnera des exemples vertigineux (la chute de Marguerite dans le Faust de Murnau, celle du Dernier des hommes avalé par le trou noir des salles de toilette du grand hôtel, ou chez Pabst celle de Lulu). La vie non organique des choses, une vie terrible qui ignore la sagesse et les bornes de l’organisme. Un mur qui vit est quelque chose d’effroyable; mais ce sont aussi les ustensiles, les meubles, les maisons et leurs toits qui penchent, se serrent guettent ou happent. L’expressionnisme est un mouvement violent qui ne respecte ni le contour organique, ni les détermination mécaniques de l’horizontal et du vertical. Worringer, qui a créé le terme expressionnisme, l’a défini par l’opposition de l’élan vital à la représentation organique, invoquant la ligne décorative » gothique ou septentrional « : ligne brisée qui ne forme aucun contour où se distingueraient la forme et le fond, mais passe en zigzag entre les choses, tantôt les entraînant dans un sans fond où elle se perd elle-même, tantôt les faisant tournoyer dans un sans-forme où elle se retrouve en « convulsion désordonnée « .
Le montage-collage :
Apparaît à la fin des années 50. Le principe est de laisser les plans voisiner, se heurter dans leurs formes. Le son jaillit avec l’image mais pas pour assurer la transition. Il y a juxtaposition de contenus, sans projet prédéterminé.
Dans le cinéma, Cassavetes, Godard ou Rozier sont les premiers à initialiser ce procédé, comme Mallarmé a pu le faire dans la littérature, ou les surréalistes dans la peinture avec le collage. Le télescopage des hasards est plus beau et plus censé que les plans réfléchis et prémédités.
En cinéma, il y a bien sûr eu aussi des précurseurs. Robert Bresson a élaboré une théorie du montage à partir du milieu des années 40, avec Le journal d’un curé de campagne. Il associe des réalités qui n’étaient pas destinées à l’être. En eux-mêmes, les plans n’ont pas d’intérêt, seul leur accolement leur donne du sens. Les images filmées au tournage doivent être les plus plates possible. En cela, Bresson est un précurseur radical du montage-collage. Puis, à la fin des années 50, d’autres cinéastes prennent le relais et donnent de l’importance au montage : Godard, Resnais, Bergman (même si chez lui les visages restent hermétiques, contrairement à ceux des personnages de Cassavetes).
Certains cinéastes des années 70 comme Martin Scorsese lui accordent ce même intérêt, tout en essayant de le réconcilier avec la narration classique. L’accent mis sur le montage est également caractéristique de l’école asiatique depuis une vingtaine d’années. On ne note pas assez souvent et fortement l’influence que Resnais a eu et conserve en matière de montage. Il suffit pourtant de regarder les films de Wong Kar-waï ou Gus Van Sant, par exemple, pour s’en persuader.
La correspondance de plans entre eux construit des unités sensibles, comme les listes chez les surréalistes, les séries de Monet (cathédrales), ou de Rohmer au cinéma. Ce sont des fragments sans articulation explicite, où les liens sont inouïs.
Wong Kar-waï, Hou Hsiao-hsien, Tsaï Min-liang (Kitano parfois) jouent du montage pour réordonner, sous le patronage de Resnais pour la liberté de construction.
Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg 1970
Etre ou ne pas être positif, là pourrait être la question avec le week-end qui s’est engagé au Centre Rabelais. Depuis hier, le Ciné-Club Jean Vigo et le Cinemed célèbrent les 60 piges de la revue Positif. « C’est la seule revue existante qui considère le cinéma comme un art et pas comme de la communication », souligne Henri Talvat pour le Ciné-Club Jean-Vigo. Scorsese aussi considère Positif, désormais éditée par Actes Sud, comme la meilleure revue de cinéma européenne.
Un prêté pour un rendu, si l’on se souvient que les plumes de cette revue furent les premiers à saisir la révolution du cinéma indépendant américain. Dans la grande bataille critique entre les deux frères ennemis, les Cahiers du Cinéma lancés en 1951 et Positif qui vit le jour un an plus tard, les échanges n’ont pas été toujours des plus courtois. Pendant une dizaine d’années, les deux mensuels spécialisés se sont envoyé des peaux de bananes à ne plus en finir. « Avec André Bazin Les cahiers étaient plus spiritualistes et Positif plus surréaliste, observe Henri Talvat. Depuis, les rapports entre les deux revues se sont pacifiés, mais leurs préférences cinématographiques demeurent toujours très distinctes. « Pour simplifier, on peut dire que Les Cahiers sont situés politiquement à droite, alors que Positif, en revanche est carrément ancré à gauche », pense Maurice Roméjon du Ciné-Club Jean Vigo.
Comme quoi, l’exigence des cinéphiles vire facilement au débat passionné. Tant qu’on reste loin des produits manufacturés tournés à la chaîne, ce ne sont pas les amateurs de cinéma qui se plaindront de la diversité des points de vue. « Il faut aussi venir au Ciné-Club Jean-Vigo, glisse encore Henri Talvat, c’est le seul endroit où l’on peut voir des films de répertoire et sortir de l’actualité immédiate qui disparaît rapidement. »
En attendant la prochaine saison, ne boudons pas le plaisir de voir où revoir les films programmés*. Nourris par la contre-culture des années 70 et 80, amoureux éperdus du septième art, Positif soutient des réalisateurs qui mettent en place des univers éminemment personnels. Après le passage hier du réalisateur Alain Cavalier, venu évoquer son premier film Le Combat dans l’île, les critiques Alain Masson et Michel Ciment animeront les débats de la journée autour des quatre premiers films ayant fait la Une de Positif.
* A 10h30 Une fille a parlé de Andrzej Wajda, 14h30 Les points dans les poches de Marco Bellocchio, 17h Portrait d’une enfant déchue de Jerry Schatzberg, 20h Réservoir Dogs de Quentin Tarantino
Ciné. « Normal », le dernier film de Merzac Allouache ouvre la 5e édition de Regards sur le cinéma algérien qui se tient dans la région jusqu’au 30 mars.
On sait que la cinquième édition de Regards sur le cinéma algérien coïncide cette année, avec le cinquantième anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Vue d’ici tout porte à penser que cette commémoration peinera à sortir de l’incertaine relation franco-algérienne toujours en proie à ses amnésies historiques. On doit donc prêter une attention particulière à la programmation de l’édition 2012 qui a sélectionné les films les plus éclairants des cinq dernières décennies. Les cinéphiles s’y retrouveront, car les regards que nous offre cette singulière manifestation de cinéma ne sont jamais vitreux et l’équipe qui travaille en partenariat étroit avec les réalisateurs algériens offre l’occasion de belles rencontres. Outre le plaisir, suivre la manifestation Regards sur le Cinéma Algérien permet de découvrir les difficultés rencontrées par les artistes et la passion qu’ils déploient pour les surmonter.
Esprit libre
Le dernier film de Merzac Allouache, Normal !, semble avoir été fait sur mesure pour ouvrir le bal tant l’esprit du film répond au lien étroit et non fantasmé entre les deux rives. Il s’inscrit dans un registre différent de son film précédent Harragas qui décrivait l’univers désespéré des clandestins qui traversent la méditerranée. Tourné à Alger, caméra à l’épaule, le film se rapproche d’un cinéma dont l’état d’esprit privilégie la liberté. « J’ai débuté le tournage en 2009, je voulais faire un documentaire autour du Festival Panafricain. Mettre en parallèle cet événement, vendu par le ministère de la Culture comme une vitrine, avec les difficultés insurmontables de jeunes artistes de théâtre confronté à la censure. » Le projet se transforme en fiction mais il est abandonné et repris deux ans plus tard au moment des émeutes de 2011.
Mutation et blocages
Le scénario évoque le désarroi d’un jeune réalisateur qui se questionne sur son expression cinématographique. A la recherche d’idées nouvelles, il invite ses comédiens à porter un regard critique sur son premier montage. Le débat s’ouvre, alors que la rue est en pleine ébullition. A la question de la validité d’une expression artistique contemporaine, s’ajoute celle de la nature de l’engagement et du temps mortifère pour toute une génération. « Au moment des émeutes, je ne me suis pas posé la question d’agir artistiquement ou pas, confie la comédienne algérienne Amina Adila Bendimerad, je suis sortie dans la rue. »
Avec une liberté assumée, Merzac Allouache livre dans son film toute la complexité algérienne d’aujourd’hui. Il met en lumière une société algérienne à la fois bloquée et en pleine mutation. L’heure de la démocratie sociale n’a toujours pas sonné en Algérie mais la jeunesse que nous montre Allouache, en donnant à l’activité critique l’occasion de muer en création, est prête…
Jean-Marie Dinh
Le film a obtenu le premier prix du film en langue arabe au festival de Doha. Sur les écrans le 21 mars 2012.