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Le dispositif niçois est, il est vrai, impressionnant : 1257 caméras sont installées dans la ville soit une caméra pour 273 habitants (contre 1 pour 1500 habitants à Paris). Malheureusement, cela n’a pas empêché un camion de 19 tonnes de tuer 86 personnes sur la Promenade des Anglais, le soir du 14 juillet…
Une « priorité absolue »… jamais évaluée
Malgré tout, comme le rappelle le sociologue Laurent Mucchielli, la vidéosurveillance a le vent en poupe dans le monde politique, où elle est souvent présentée comme une arme infaillible contre l’insécurité. Erigée en « outil majeur de prévention, de dissuasion, et d’élucidation des faits » sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, elle avait été déclarée « priorité absolue » en matière de lutte contre la délinquance. Elle a donné lieu entre 2007 et 2013 à 150 millions d’euros de dépenses de l’Etat, au titre de l’aide à l’installation des réseaux de caméras. Résultat : on comptait environ 40 000 caméras surveillant l’espace public dans 2000 communes. Pourtant, souligne le chercheur, aucune évaluation scientifique de l’efficacité de ces dispositifs n’a jusqu’à présent été menée en France, comme l’avait déjà souligné en 2011 un cinglant rapport de la Cour des Comptes.
L’ennui derrière les écrans
A quoi sert donc concrètement la vidéosurveillance ? Pour le savoir, Laurent Mucchielli est allé observer son fonctionnement dans une ville moyenne de 19 000 habitants, qu’il a surnommée St-Jean-La-Rivière. Il a notamment observé le travail quotidien des 4 agents du Centre de Supervision Urbaine (CSU) chargés de surveiller six jours sur sept, de 6 h 30 à 20 h, les images parvenant des 18 caméras implantées dans la commune (presque une pour 1000 habitants, ce qui en fait une des communes les mieux équipées), pour un coût annuel d’environ 300 000 euros.
Or ce travail est d’abord marqué par… l’ennui. Les moments où les agents (travaillant le plus souvent dans la solitude) sont interpellés par ce qu’ils voient ou sollicités par d’autres agents ne représentent en A Saint-Jean-La-Rivière, chaque opérateur de télésurveillance a eu en moyenne à traiter 0,7 fait par jour effet, selon les comptages du chercheur, qu’un quart de leur temps de travail. Un autre calcul montre que, sur l’année 2011, chaque agent a eu en moyenne à traiter 0,7 fait par jour. « C’est difficile pour les agents, les journées sont très longues quand il n’y a pas d’affaires, souvent ils regardent l’heure et je les comprends », avoue le chef de service.
C’est d’autant plus compréhensible que l’activité a décliné au cours des années, le nombre d’incidents à traiter passant de plus de 2000 en 2004 à 811 en 2011. Une baisse qui semble dûe au déplacement de la délinquance, les emplacements des caméras ayant été assez vite repérés. Un « jeu du chat et de la souris » a même été lancé par certains jeunes qui, devant les caméras, miment un deal de drogue ou adressent diverses insultes et gestes obscènes aux opérateurs. « Eux aussi ils tuent le temps », reconnaît cependant l’un de ces derniers.
La délinquance, préoccupation mineure
Les agents ne sont cependant pas totalement inactifs : en 2011, 581 faits ont été détectés par les caméras (le reste des incidents traités relevant de requêtes extérieures). Mais l’analyse de leur répartition montre que « les opérateurs de vidéosurveillance ne s’occupent de problèmes de délinquance que de façon très marginale », 80 % de leurs interventions relevant de problèmes matériels sur la voie publique (stationnement illégal, dysfonctionnement de la signalisation…).
Restent les cas où des services extérieurs (le commissariat le plus souvent) demandent à consulter les images. Mais même dans ces cas la vidéosurveillance se montre rarement décisive : sur les 138 requêtes reçues en 2011, seules 43 ont mené à une réquisition des images. Sur deux ans et demi d’activité, le nombre de réquisitions d’images « visant à visualiser la commission d’une infraction au moment crucial » s’élève à deux par mois en moyenne…
Un très faible impact
A cette aune, la difficile mise en évidence d’un quelconque impact de la vidéosurveillance sur le niveau de la délinquance à Saint-Jean-La-Rivière n’est guère étonnante, le nombre de crime et délits constatés par la police fluctuant avant et après la mise en place du dispositif en 2004. Au final, selon Laurent Mucchielli, « le dispositif de vidéosurveillance, même dans les conditions quasiment optimales dans lesquelles il fonctionne à Saint-Jean-la-Rivière, joue un rôle relativement marginal et uniquement répressif dans la lutte contre la délinquance ». Un constat conforme identique à la plupart des études menées sur le sujet, dans d’autres communes françaises ou à l’étranger, ainsi qu’aux constatations de la Cour des Comptes.
Une ressource politique
Vantée par les pouvoirs politiques, fortement poussée par le lobby du secteur de la sécurité dans un contexte où l’insécurité fait la Une des journaux, la vidéosurveillance reste pourtant prisée des élus locaux.Elle reste en effet, selon le sociologue, un moyen simple d’afficher une action volontariste face à la demande de sécurité émanant de certaines fractions de la population. Ce d’autant qu’elle reste politiquement difficile à remettre en cause. Ses adversaires courent vite le risque d’être accusés de laxisme.
Elle peut également permettre aux maires de s’affirmer au sein des politiques locales de sécurité ou, malgré le rôle pivot qu’ils sont censés incarner aux yeux de la loi, ils peinent à exister face aux représentants de l’Etat et aux services départementaux. Malgré sa faible efficacité, la vidéosurveillance reste une ressource de choix pour «s’affirmer et exister politiquement ».