Affaire Karachi: la police luxembourgeoise met en cause Sarkozy

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Balladur et Sarkozy en 1995. Photo AFP

Mediapart publie, mercredi 2 juin, de nouveaux éléments renforçant la piste d’une implication de Nicolas Sarkozy dans l’affaire de rétrocommissions occultes, liée à la vente de sous-marins Agosta au Pakistan. Le site internet révèle le contenu d’un rapport de synthèse de la police luxembourgeoise. Ce rapport, daté du 19 janvier 2010, « désigne nommément Nicolas Sarkozy comme ayant été l’architecte, en 1994, alors qu’il était ministre du Budget, d’un dispositif occulte qui aurait été utilisé pour le financement illicite de la campagne présidentielle de son mentor Edouard Balladur grâce aux ventes d’armes », écrit Mediapart. Le rapport de la police détaille également les circuits financiers qui auraient permis d’acheminer des fonds pour un montant total de 96.462.000 francs.

Le point de départ de l’enquête remonte à l’attentat de Karachi, au Pakistan, le 8 mai 2002. Quinze personnes sont tuées, dont onze Français travaillant pour la Direction des constructions navales (DCN). Le juge antiterroriste français Marc Trévidic privilégie aujourd’hui l’hypothèse d’un lien entre cet attentat et le système de commissions et de rétrocommissions occultes, liées à la vente de sous-marins Agosta – un marché de 826 millions d’euros. L’attentat serait une vengeance faisant suite à l’arrêt du versement des rétrocommissions.

« Payer des campagnes politiques en France »

« Le rapport de la police luxembourgeoise se base sur de nombreux documents saisis au Luxembourg dans le cadre d’une commission rogatoire internationale diligentée en octobre 2008 par les juges français Françoise Desset et Jean-Christophe Hullin, qui enquêtent sur plusieurs affaires de corruption à la DCN », précise Mediapart. « Les investigations ont essentiellement porté sur un acteur clé du dossier, Jean-Marie Boivin, ancien dirigeant de Heine, société qualifiée de « shadow company' ».

Or, selon le rapport de la police luxembourgeoise, cité par Mediapart : « Un document (…) fait état de l’historique et du fonctionnement des sociétés Heine et Eurolux [société jumelle de Heine, NDLR]. Selon ce document, les accords sur la création des sociétés semblaient venir directement de M. le Premier ministre Balladur et de M. le ministre des Finances Nicolas Sarkozy ».

« En 1995 », toujours selon le rapport cité par Mediapart, « des références font croire à une forme de rétrocommission pour payer des campagnes politiques en France. Nous soulignons qu’Edouard Balladur était candidat à l’élection présidentielle en 1995 face à Jacques Chirac et était soutenu par une partie du RPR dont M. Nicolas Sarkozy et Charles Pasqua. »

« Aucune preuve concrète de corruption »

Le rapport rentre dans le détail des circuits financiers utilisés. « Il ressort clairement qu’avant 2000 par l’intermédiaire de la société Heine SA de fortes sommes d’argent ont transité par le Luxembourg pour partir aussitôt vers des structures de l’Ile de Man (non sans laisser un % au Luxembourg) », peut-on lire dans le rapport. « D’autres virements très importants sont repartis vers d’autres sociétés limited dont une reprise avec les initiales ‘Fo’ probablement Fomoyle avec un virement unique de 96.462.000 de FRF en 1995 ».

Selon Mediapart, Formoyle & Gailmer était « une société utilisée par l’homme d’affaires Ziad Takieddine pour ses contrats avec la DCN ». Elle « avait pour vocation d’abriter en toute discrétion les paiements de commissions due à M. Takieddine, via la Royal Bank of Scotland, d’après un mémorandum déposé par M. Menayas devant la justice française en avril 2008. »

Et Nicolas Sarkozy dans tout ça ? Les enquêteurs luxembourgeois commencent par souligner la sophistication du montage financier. « Il n’existe aucune preuve concrète de corruption », soulignent-ils. Les policiers ajoutent que « les documents sont tous entièrement vides de noms et les descriptifs des services ou prestations sont vagues ». Et d’adresser leurs « compliments à celui qui a mis ce système en place ».

Demande d’instructions à Sarkozy

Cependant, les enquêteurs confirment que Nicolas Sarkozy était au courant des activités de la société Heine. Déjà, alors qu’il était ministre du Budget, Nicolas Sarkozy avait donné son feu vert à la création de cette société. On sait aussi que les enquêteurs sont tombés, dans les archives de Heine SA, sur une chronologie manuscrite faisant référence à un éventuel financement occulte des balladuriens: « Pour payer campagne BAL » [Balladur, NDLR].

L’enquête luxembourgeoise apporte un nouvel élément. Elle mentionne ainsi l’existence d’un courrier signé de deux administrateurs de Heine qui a été « adressé à M. Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, le 29 novembre 2006 où on lui demande des instructions par rapport à la démarche à suivre concernant le risque de liquidation judiciaire de la société Heine », toujours selon Mediapart. Les policiers commentent: « Il est du moins étonnant de poser une telle question à un ministre français ».

Une « fable »

Selon l’AFP, des sources proches du dossier ont confirmé la teneur du rapport de la police luxembourgeoise, mais se sont interrogées sur les éléments ayant conduit les enquêteurs à conclure à un financement politique.

Questionné par la presse en juin 2009, Nicolas Sarkozy avait qualifié de « fable » la thèse d’un financement occulte de la campagne d’Edouard Balladur. L’ancien Premier ministre a lui aussi fermement démenti tout financement illégal de sa campagne présidentielle de 1995.

Réagissant aux informations de Mediapart, Me Olivier Morice, l’avocat de six familles de victimes de l’attentat de Karachi, a estimé que « ce rapport montre que Nicolas Sarkozy est au coeur de la corruption et qu’il a menti aux familles ». « Nous ne sommes pas en présence d’une fable mais d’un mensonge d’Etat », selon l’avocat, « les familles sont indignées et demandent sa démission« .

Baptiste Legrand – Nouvelobs.com

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