Phèdre : Irrépressible passion et éternelle fascination

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La puissance dévastatrice s’affranchit. Photo Marc Ginot

Théâtre des Treize Vents. Phèdre de Jean Racine, création au Théâtre de Grammont, mise en scène par Renaud Marie Leblanc.

Phèdre de Racine, un classique fameux s’il en est, à redécouvrir au Théâtre des Treize Vents d’après une frissonnante mise en scène de Renaud Marie Leblanc, qui cède parfois à l’ambiance du cinéma fantastique. « Cette pièce est un monstre » confie d’ailleurs le metteur en scène qui revient sur l’effet qu’eut l’œuvre sur son auteur. « Après Phèdre, Racine se tait pour se consacrer à la religion. Il abandonne le théâtre païen et ne ressurgit qu’en 1689, douze ans plus tard, avec Esther, une tragédie biblique. » Fin de carrière bien tranquille pour un homme qui aimait les femmes…

Leblanc entreprend son travail à travers cet héritage. L’envie de revisiter cette œuvre classique après des années de créations contemporaines lui est venue avec Phèdre. Pièce ultime du théâtre classique avant le retour au puritanisme, pièce où   » l’homme est un monstre à lui-même. » Hormis le texte auquel le metteur en scène reste fidèle, rien n’est figé dans les représentations, ce qui libère le champ des interprétations. L’irrépressible passion conduit le drame et rien d’autre. En proie à leur nature brute et violente, les personnages apparaissent possédés. Ils demeurent prisonniers de leurs pulsions, autistes au débat sur les valeurs qui pourraient orienter leur choix.

Le traitement ontologique confère à l’œuvre une audience nouvelle. Comme les choix de la distribution. La jeunesse du couple Hippolyte – Aricie (Jan Peters et Perrine Tourneux) souligne la maladresse et la révolte emportées par le même aveuglement qu’un puissant et expérimenté Thésée (Fabrice Michel). Dans ce décor pâle et capitonné qui rappelle les cellules sécurisées des hôpitaux psychiatriques, rien ne résiste à la passion du désir : « ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachées, c’est Vénus toute entière à sa proie attachée. » Maladive, Roxane Borgna (Phèdre) apparaît remarquablement habitée par son rôle qui la conduit de l’ombre à la lumière vers sa perdition définitive. Le poison lyrique qui l’anime contamine son entourage, à commencer par sa fidèle nourrisse Oenone (Francine Bergé), infirmière manichéenne et apôtre de la real politique.

Le recours au fondu au noir qui remplace les entrées et les sorties participe au travail de débroussaillage. La lumière latérale ouvre le langage des ombres dont l’hymne rituel renforce la désacralisation des esprits. Renaud Marie Leblanc oppose à la réputation chrétienne de cette pièce, la puissance d’une orthodoxie qui dépasse les codes du théâtre de l’époque. La puissance dévastatrice du désir et de la possession s’affranchit de tous les cadres, y compris ceux du pouvoir. Pour pénétrer les cœurs tributaires d’aucun principe.

Jean-marie Dinh

Phèdre Théâtre de Grammont jusqu’au 21 novembre. Rens : 04 67 99 25 00.

Voir aussi : Présentation de la pièce par  Renaud Marie Leblanc

Phèdre mis en scène par Renaud Marie Leblanc

AFFICHE 120x176-PHE DRE OK:AFFICHE 120x176-PHE DRE OKÀ Trézène, Phèdre, seconde épouse du roi Thésée, est amoureuse de son beau-fils Hippolyte. Cette passion lui semble si monstrueuse qu’elle souhaite mourir plutôt que d’avouer son amour. Elle confie à OEnone, sa nourrice, l’origine du mal qui la consume. Bientôt circule la rumeur de la mort de Thésée, absent depuis de longs mois… On a beaucoup écrit sur le théâtre de Racine, sur sa perfection, son lyrisme, son équilibre, mais aussi sur la manière avec laquelle il a porté, au travers de son écriture, la tragédie française à son paroxysme classique. Tout cela a contribué à son aura bien au-delà des bornes du XVIIe siècle. Après Phèdre, Racine se taira ; il ne ré-abordera le théâtre que des années plus tard, par le biais de pièces bibliques et religieuses. Il se tait pour se consacrer à la religion, et quitte définitivement la scène païenne. Pourquoi ce silence après Phèdre ? Sans doute parce que cette pièce est un monstre.

Phèdre est la maladie qui atteint la lumière. Son éclat – Phaedra, étymologiquement “la brillante” – presque maladif et épidémique, modifie la structure même de l’air qu’elle respire. Phèdre est un poison qui contamine son environnement. J’imagine tout un travail autour de l’ombre, de la fuite, du secret et de l’aveu. Phèdre est malade de sa passion ; elle répand cette maladie autour d’elle. Notre travail s’attachera à la mutation physique, à ce que la passion crée de différent en nous et de mortifère. Il faudra se concentrer avec les acteurs sur cette perdition, cette complaisance de l’être à la maladie. Qu’on ne s’étonne pas du scandale moral que la pièce produisit en son époque : ce n’est pas tant le désir de l’héroïne pour son beau-fils que cet abandon charnel et décadent qui fit se replier Racine vers son silence puritain.

Pas question ici de martyriser l’alexandrin et de mégoter sur l’emploi de la syllabe muette. Tout doit être entendu et prononcé, fidèle en cela aux règles en vigueur au XVIIe siècle. Il s’agit d’une écriture où le fond ne peut pas se dissocier de la forme, et où l’image naît tout autant du plateau, que de la force évocatrice des mots.

Renaud Marie Leblanc

Voir aussi : Rubrique Théâtre la critique du spectacle – Théâtre des Treize Vents :  du 10 au 21 novembre avec : Avec Roxane Borgna, Fabrice Michel, Jan Peters, Francine Bergé, Perrine Tourneux, Olivier Barrère, Véronique Maillard.