Par Daniel Carré
L’accès de tous aux médicaments innovants est-il menacé ? Très coûteux, ces médicaments bénéficient pour l’heure d’un remboursement intégral par l’Assurance maladie. Mais les restrictions budgétaires pourraient bientôt changer la donne, et certains malades ne plus y avoir accès, craint Daniel Carré, membre de la Commission nationale des droits de l’homme (CNCDH).
Depuis un an maintenant, l’explosion du coût de certains médicaments innovants soulève de très nombreuses questions. Un premier cas est celui du Sofosbuvir, commercialisé sous le nom de Sovaldi par le laboratoire Gilead pour un traitement remarquable de l’hépatite C.
Son prix reste de 41.000 euros après négociation par les pouvoirs publics (le prix initial demandé par le laboratoire étant de 57.000 euros). La charge financière actuelle pour l’Assurance maladie est évaluée à 1,2 milliard d’euros par an pour le seul traitement de l’hépatite C par le Sofosbuvir.
Ce chiffre provient le l’étude d’impact du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2015. Il devra être corrigé, dans la mesure où, au-delà de 450 millions de chiffre d’affaires annuel, Gilead devra reverser une partie de ses bénéfices à la Sécurité sociale. Il n’y a à ce jour aucun chiffre de l’assurance maladie concernant le coût global 2015.
Des traitements onéreux
Les « négociations » de prix évoquées plus haut incluent des mesures de rationnement, car seuls les malades à un stade aggravé de la maladie bénéficieront de ce traitement onéreux (fibroses de type 4 et 3). Or il s’agit d’une maladie transmissible. Cette situation empêche de stopper l’épidémie alors que la diffusion du nouveau traitement auprès de tous les malades aurait dû le permettre !
C’est ce que réclament maintenant les hépatologues Français qui s’engageraient à éradiquer l’hépatite C d’ici 2020 si le Sofosbuvir devenait disponible pour tous les malades atteins par l’hépatite C. Leur communiqué ne chiffre pas le coût de cette mesure pertinente qui est attendue par de nombreux malades.
Mais ce n’est qu’un début. Apparaissent en effet sur le marché des traitements des cancers personnalisés par immunothérapie, un coût unitaire de 150.000 dollars ayant été accepté pour Merks par la FDA, l’agence européenne des médicaments (FDA). Ces traitements concernent une population plus large que l’hépatite C. 19 nouvelles indications ont été évoquées aux Rencontres de la cancérologie française de 2015.
L’impact budgétaire est certes l’objet de nombreux débats et il serait estimé par l’Institut national du cancer (INCA) à 4 milliards par an… pour des thérapies qui n’apportent pas toujours de garanties de guérison, mais en général une rémission.
L’accès aux soins remis en cause
Des tarifs qui remettent en cause, aujourd’hui en France, l’accès aux soins : la presse a récemment rapporté des cas de malades cancéreux auxquels les traitements ont été ou vont être refusés en raison de leur coût pour les établissements de santé où ils sont suivis !
Le dernier point qui émerge est l’arrivée des biotechnologies dans le traitement des maladies rares. Ces traitements très spécifiques sont destinés à des affections très nombreuses (plus de 8.000) dont la prévalence est extrêmement faibles (quelques milliers de cas dans le monde). Les coûts là aussi explosent et peuvent atteindre 440.000 dollars par patient et par an.
De son côté, l’industrie pharmaceutique, représentée par le LEEM, justifie notamment le prix de ces traitements innovants en les comparant aux économies qu’ils permettent de faire réaliser au système de santé. Un malade traité par un médicament plus efficace aura en effet besoin de beaucoup de moins de soins par ailleurs, en particulier en termes de jours d’hospitalisation souvent onéreux.
De plus, d’un point de vue comptable, cette évolution conduit à sortir ces traitements de la prise en charge normale des patients à l’hôpital, les médicaments concernés étant inscrits sur la « liste en sus » de la pharmacopée hospitalière
Un défi pour notre protection sociale
L’ensemble de ces constats est d’une très grande importance sur le fonctionnement des mécanismes de solidarité nationale. L’équilibre risque d’être rapidement remis en cause si rien n’est fait pour qu’une régulation du prix de l’innovation en santé permette à la fois la définition de prix soutenable pour le système, l’accès de tous à cette innovation et la juste rémunération de celle-ci.
En tout cas, l’approche actuelle des industriels, en termes de retour sur investissement, et de niveau attendu de rentabilité, vont faire exploser la base des valeurs de solidarité de la protection sociale.
Si ces innovations s’imposent, de très grands changements seront alors nécessaires, qui impacteront des choix drastiques concernant les structures de coût et les choix de l’offre de soins et de prise en charge de la maladie. Sinon, des formes de rationnement à l’accès aux médicaments vont durablement s’installer.
Les mécanismes de régulation reposant sur un « rationnement » de l’accès aux médicaments posent des problèmes du respect du droit aux soins, un socle fondateur de notre pacte social qu’il est très dangereux de remettre en cause (article 25 du préambule de notre Constitution).
Vers davantage d’inégalités de santé ?
Des décisions arbitraires vont inévitablement être prises sous la pression de l’équilibre budgétaire. Les passe-droits vont se multiplier et les inégalités de santé s’amplifier. Les plus riches de nos concitoyens accéderont alors aux traitements, éventuellement hors Assurance maladie, ou en bénéficieront en utilisant leurs relations privilégiées dans le système de santé.
Ce très important changement menace l’équilibre de l’équité dans le droit d’être soigné, un des droits de l’homme les plus importants.
Source L’Obs 23/02/2016
Voir aussi : Rubrique Economie, Convergence des erreurs économiques, rubrique Société, Santé, Consommation, rubrique Politique,