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Maintenant que le bruit et la fureur des élections régionales sont derrière nous, il est temps d’en faire l’analyse. Où l’on s’aperçoit que le Languedoc-Roussillon – région où j’ai eu l’honneur, plus que l’avantage, de représenter le Parti socialiste – cristallise tous les maux de notre pays. Ici comme ailleurs en effet, l’abstention, la montée du Front national, le populisme ont dominé ; ici, comme nulle part ailleurs, ces trois scories de nos démocraties ont pris une place écrasante. Au point de faire de notre territoire une sorte de « village gaulois »… pas au sens où il faudrait s’en amuser comme dans la bande-dessinée, mais au sens plus triste où il faut tenter d’en comprendre les ressorts si l’on entend, comme moi, se préserver de toute tentation de régionalisme ou de repli sur soi.
L’abstention …positive ou la déobéissance civique.
Premier point, que tous les analystes politiques ont pointé : le taux d’abstention au niveau national a dépassé les 53 % au premier tour, un record absolu pour des élections régionales. Pour le second tour, d’aucuns se sont félicités d’un taux descendu à 47,40 % dans notre région… Mais à y regarder de plus près, il faut ajouter à ce chiffre les 64 534 votes blancs ou nuls qui se sont « exprimés »… Je dis bien « exprimés » car, loin de toute tentation d’un dimanche à la pêche, ces électeurs ont fait montre de civisme en se déplaçant pour aller voter. Simplement, ils ont voulu signifier non pas leur indifférence, mais bien leur incompréhension face à ce qui se jouait pour ces élections. J’irais même plus loin : pour en avoir eu quantité d’échos et témoignages, ils sont nombreux, ceux qui voulaient sincèrement faire leur devoir de citoyen mais s’en sont « passés ». Pourquoi faire ? Pour s’exprimer autrement, en l’occurrence pour faire œuvre de désobéissance civique, ce que l’on pourrait appeler de « l’abstention positive ».
Voilà un phénomène nouveau, à ce point-là : même s’il n’est évidemment pas quantifiable, il doit tous nous interroger. Car tout de même, dans notre région, le président a été élu avec 54,19% des 50,89% des suffrages exprimés, soit 27,57 % des inscrits, un citoyen sur quatre ! Quelle légitimité, quelle politique conduire, au nom de qui, dans ces conditions ? Je veux le dire ici solennellement : nous tous, hommes et femmes politiques, avons notre part de responsabilité dans cette désaffection massive ; nous tous devons les prendre, nos responsabilités, pour repartir à la conquête ces « abstentionnistes positifs » qui au fond, sont en demande d’une offre que nous ne sommes plus capables de leur apporter.
Dans l’autre sens, une question mérite également d’être posée : et si du droit de vote on passait en plus au devoir de vote, en rendant celui-ci obligatoire ? A Montpellier, le constat est terrible : ce sont les quartiers les plus en difficultés qui ont le moins voté, quand ceux plus « aisés » ont fait… leur devoir. Ainsi, subrepticement, on en revient dans notre pays dit « des droits de l’homme » au suffrage censitaire contre le suffrage universel, où ce sont les citoyens qui en ont les moyens, dans tous les sens du terme, qui s’expriment : pour les autres ! Là aussi, prenons nos responsabilités, proposons un système qui rende impossible cet injuste glissement…
La montée « résistible » ou irrésistible du Front National ?
Autre phénomène inquiétant et dominant en France : la montée ou la remontée du Front national, à un étiage au-dessus de ses scores de 2004 (une bonne année pour lui, dans la foulée du second tour de l’élection présidentielle de 2002). En Languedoc-Roussillon, sa performance le place même au second rang des régions où l’on a le plus voté en sa faveur (derrière le Nord-Pas-de-Calais de Marine Le Pen). Mieux (ou pire) : c’est en Languedoc-Roussillon que le FN a le plus fait évoluer ses scores entre les deux tours, avec près de 64 000 voix supplémentaires (64 000… comme les votes blancs ou nuls, voir ci-dessus !). Ainsi, pour reprendre l’étude de l’IFOP consacrée à ce sujet, le vote Front national redevient « un vote d’adhésion » ; non pas un vote de pis-aller mais bien une volonté exprimée pour cette « force qui dérange le plus le système ». Le système ! Celui que nous sommes censés incarner, nous les politiques, ce qui rejoint mes propos exposés plus haut : tant que nous serons ainsi marqués au fer rouge du discrédit, nous serons condamnés à être au mieux méprisés, au pire rejetés. Responsabilité, disais-je ? Elle est immense, ici : je suis de celles qui ont toujours considéré que l’ascension du Front national dans notre pays en général et dans notre région en particulier (marquée, en s’en souvient, par l’accord avec Jacques Blanc, en 1998) était « résistible » ; à condition de ne plus faire « système » mais de faire sens.
Le populisme, cause ou conséquence de tout cela ? Un peu des deux, mon capitaine ! Cause, car, de l’affaire Soumaré au niveau national au cas Georges Frêche en Languedoc-Roussillon, les pires des reflexes populistes, poujadistes, démagogues, parfois racistes ont dominé le débat politique, l’écrasant même de tout leur poids, lourd, trop lourd. Conséquence, parce qu’en bons politiciens cyniques ils sont quelques-uns à avoir fait le calcul que ces cordes rances étaient toujours sensibles, efficaces électoralement. Vous discréditez, conspuez, insultez ? Voilà que vous faites la « une » de tous les médias, que vous pouvez poser en victimes de cabales venues (toujours) de l’extérieur… Georges Frêche l’a si bien compris en Languedoc-Roussillon qu’il l’a littéralement incarné pour l’ensemble de notre pays en sa symbolique personne ! En jouant sur les mots. « Je ne suis pas populiste, je suis populaire », dit-il, ajoutant de la confusion, mélangeant les genres, continuant son travail de sape de la démocratie… Jusqu’à faire 54 % au second tour dans une triangulaire, jusqu’à l’emporter, il faut bien le reconnaître, largement… Mais à quel prix ? Celui à payer à toutes les compromissions, celui qui le pousse à dire qu’il est contre le droit de vote des étrangers aux élections locales, « pas contre » un Nicolas Sarkozy qui, dit-il, lui « ressemble comme deux gouttes d’eau » ?
Abstention, montée du Front, populisme : autant de faces d’un même défi lancé aux politiques, avec quelle force dans notre région… Voilà pourquoi c’est ici, en Languedoc-Roussillon, là où les situations s’avèrent être les plus graves, que nous avons l’impérieux besoin de les relever. C’est ici que nous avons entamé cette « rénovation » pour un Parti socialiste digne et qui se reconnaît dans ses valeurs fondamentales. C’est ici que la politique, les « politiques » peuvent retrouver honneur et considération. Il y a urgence.
Tribune d’Hélène Mandroux maire de Montpellier
Le Monde 13/04/10
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