Conséquence par ricochet de l’Affaire Snowden, l’attente forcée du président bolivien Evo Morales sur le territoire européen n’a pas plu à plusieurs pays d’Amérique latine.
L’errance forcée de l’avion du président bolivien Evo Morales dans l’espace aérien européen scandalise l’Amérique latine. Mais elle prouve à quel point il semble improbable qu’Edward Snowden puisse se réfugier dans la région, estiment des analystes mercredi.
«Humiliation», «offense», «manque de respect»: plusieurs pays de la région, et pas uniquement les alliés du président bolivien, ont donné de la voix pour s’indigner du sort fait à Eva Morales, et critiquer les Etats-Unis aussi bien que l’Europe.
Même à l’ONU, le secrétaire général Ban Ki-moon a déclaré mercredi «comprendre les préoccupations soulevées par le gouvernement bolivien» à la suite de l’escale forcée de l’avion du président Evo Morales. Et il s’est dit «soulagé que cet incident malheureux n’ait pas eu de conséquences pour la sécurité du président Morales et de son entourage».
Mais, estime Michael Shifter, président de Inter-American Dialogue, un centre d’études et d’analyse à Washington, il «semble extrêmement improbable qu’Edward Snowden puisse se rendre en Amérique latine».
L’Equateur, le Venezuela, la Bolivie sont des «pays qui aiment défier les Etats-Unis, c’est leur fonds de commerce idéologique», dit-il. Mais, «en même temps, aucun d’entre eux ne veut rompre ses relations avec Washington».
Le poids de l’économie
«Le prix à payer serait trop élevé», ajoute-t-il. «Les pays d’Amérique latine ont conscience de l’effet dévastateur d’une rupture avec les Etats-Unis, essentiellement sur le plan économique».
Evoquant le président équatorien Rafael Correa, qui a tendu la main à Edward Snowden, Michael Shifter estime que celui-ci «est déchiré». «Il aime défier les Etats-Unis et se voit en cela comme l’héritier de Hugo Chavez mais il est aussi pragmatique et soucieux du bon état de l’économie équatorienne». «Le «timing» de cette affaire n’est pas bon», résume-t-il.
«En termes pratiques», relève quant à lui Francisco Carrion, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Equateur, «si l’avion officiel du président d’un pays peut se voir privé d’autorisation de survoler un territoire, par quel moyen Edward Snowden pourrait-il se rendre en Amérique latine?».
«Même s’il existe une tradition très forte en Amérique latine de droit d’asile, s’il y a des conventions, en termes pragmatiques, il semble extraordinairement difficile qu’Edward Snowden puisse se rendre matériellement en Equateur», dit-il.
Pour sa part Patricio Navia, analyste et universitaire chilien, note que plusieurs pays d’Amérique latine ont refusé «intelligemment de se mêler à cette controverse».
Précédent dangereux
«Il existe de bonnes raisons pour croire qu’Edward Snowden doit être protégé», dit-il. «Mais créer un précédent serait dangereux car les Etats ne veulent pas protéger des personnes qui révèlent les secrets d’autres Etats et s’exposer à devenir eux-mêmes de futures victimes de fuites».
Evo Morales, soupçonné un moment de transporter l’informaticien américain Edward Snowden, réfugié dans un aéroport à Moscou, est arrivé mercredi soir à La Paz après une escale technique sur l’aéroport de Las Palmas aux Canaries.
L’avion a quitté Vienne en Autriche où il est resté bloqué pendant 13 heures, après s’être vu refuser l’entrée dans l’espace aérien de plusieurs pays européens en raison de rumeurs sur la présence à bord d’Edward Snowden
«C’était quasiment comme un enlèvement de près de 13 heures», a déclaré le président bolivien lors d’une conférence de presse à l’aéroport autrichien, pointant du doigt la France, l’Italie, le Portugal et l’Espagne.
Mis sous pression par Washington
Ces pays ont été également sévèrement critiqués en Amérique latine. «On peut penser qu’ils ont été mis sous pression par Washington», relève l’analyste péruvien Ernesto Velit Grande.
L’Union des nations sud-américaines (UNASUR) a dénoncé «l’attitude dangereuse de la France et du Portugal en annulant intempestivement des autorisations de survol» de l’avion présidentiel bolivien, de retour de Moscou.
L’affaire Morales «a gravement détérioré les relations entre l’Amérique latine et l’Europe», a indiqué Velit Grande.
«Ce genre d’attitude arrogante de gouvernements comme ceux de France, d’Italie ou du Portugal ne va pas contribuer à un rapprochement entre l’UE et l’Amérique latine» qui est «pourtant en train de devenir un refuge pour les investisseurs européens», ajoute-t-il.
Sources : Le Matin (Belgique) ats/Newsnet
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