Les itinéraires qui mènent à s’inscrire dans une unité de soins palliatifs sont divers et nombreux mais d’où que l’on vienne, l’expérience spécifique vécue dans ce contexte est de celle qui laisse des traces. « La mort est dans la vie la vie aidant la mort la vie est dans la mort la mort aidant la vie ». Si cette phrase du poète Jacques Prévert nous permet de le comprendre, ce que donne à ressentir les onze personnages du premier roman de Françoise Liminana nous permet un peu de le vivre. D’entrer dans un espace que les représentations sociales occidentales nous poussent à fuir alors que l’antidote de notre peur se trouve dans un vrai regard face aux personnes en fin de vie.
Ce fait humain, nous incite à porter un sentiment de reconnaissance à l’auteur, pour le regard que son petit livre nous offre sur notre propre mort. Le parcours de l’écrivain oscille entre les sciences et les arts sans jamais se figer.
Après avoir exercé dix ans en tant que médecin généraliste libéral à Montpellier, Françoise Liminana s’est accordée une interruption artistique où elle a laissé libre court à sa passion pour le théâtre, la musique et l’écriture. « La création m’épanouissait mais le rapport aux soins me manquait, alors j’ai repris des études pour me former aux soins palliatifs.» Elle reprend le chemin de l’hôpital pour poursuivre sa carrière médicale, enrichie par l’apport des sciences humaines et devient médecin coordinateur d’un service d’hospitalisation à domicile Home santé à Montpellier mais à nouveau l’envie d’écrire la démange :
« J’avais déjà consacré mon mémoire à la« Considération des états d’âme des malades en fin de vie sur le fil d’une écriture éclairante dont une partie porte sur l’intérêt de la pratique de l’écriture créative, fictionnelle par les soignants, cette nouvelle expérience m’a donné envie d’écrire sur la vieillesse.»
Avec ce premier roman «Jusqu’à devenir…», Françoise, repart à nouveau sur la voie artistique car ce n’est pas un essai ou un livre de témoignage mais bien un travail littéraire auquel elle s’est attelée. « Je ne voulais pas rester dans le factuel, j’ai choisi l’écriture fictionnelle pour donner la parole aux malades explique l’auteur qui cite Ricoeur et ses convergences toujours inachevées, entre le factuel et le fictif :
« Le factuel permet d’expliquer, la fiction de comprendre…» Françoise Liminana s’est nourrie des paroles des patients, comme un écrivain se met à la terrasse d’un café pour puiser sa matière littéraire mais l’intensité d’un service de soins palliatifs n’est pas celle du café du commerce. Dans sa galerie de portraits, il y a Emile l’amoureux des chiffres qui en fait une langue, Dominique qui aborde la mort après une première «mort sociale», une vieille dame candidate au suicide, une petite nourissonne de deux jours qui pense dans un aquarium tout vide… On apprend toujours beaucoup à la fin.
Jean-Marie Dinh
Jusqu’à devenir… éditions Le Bateau ivre, 14 euros.
Françoise Liminana intervient au 20e SFAP dans le cadre d’un atelier consacré à l’écriture.
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