Il était une fois le Hezbollah

Un état des lieux sur le Hezbollah qui tombe à point nommé pour ceux qui souhaitent se faire une idée plus précise sur cet acteur incontournable du Moyen-Orient. Et accessoirement sortir du prisme médiatique occidental perturbant dans lequel on le cantonne. Livre instructif, au moment où le Liban se trouve en prise à de vives tensions et où le président Sarkozy tente une rupture de la politique arabe française pour adopter une vision de la construction européenne plus pro américaine.

Le livre est le fruit d’un travail collectif mené à l’Institut français du Proche-Orient  à Beyrouth. Soucieuse d’objectivité, la démarche tente de brosser un panorama large des acquis de la recherche en sciences sociales sur le Hezbollah.

Souci de documentation

Le mouvement est abordé à partir d’articles thématiques qui couvrent les champs social, politique et religieux où il se déploie. L’ouvrage retrace l’histoire du Hezbollah, depuis sa genèse, avec l’émergence du mouvement islamique chiite transnational, fondé dans les années 1960 et partisan d’une troisième voie entre le communisme et le libéralisme. Il explique sa construction dans les années 1980, suite à la victoire de la révolution islamique en Iran et à l’occupation israélienne du Sud Liban en 1982. Et aborde la phase de libanisation qui commence en 1992 avec la participation du Hezbollah aux législatives et se prolonge après la guerre de juillet 2006 et la destruction, par l’aviation israélienne, du périmètre de son quartier général. Aujourd’hui, le parti s’est redéployé aux quatre coins de la banlieue sud de Beyrouth. On croise une actualité encore plus proche dès le premier chapitre dans lequel la politiste Olfa Lamloum démontre l’importance que le Hezbollah donne aux médias dans sa stratégie politique.

Guerre de l’info

Il est connu aujourd’hui que la guerre de l’info précède et accompagne la guerre physique. De tous les partis islamistes, le Hezbollah est celui qui a le plus investi l’espace médiatique en diversifiant les modes de production, de diffusion et de circulation de son message.   » Deux constantes résument la démarche du Hezbollah en matière de communication. D’une part assurer sa visibilité auprès des médias nationaux et internationaux, de l’autre, se doter d’un appareil médiatique autonome en mesure de rapporter fidèlement ses positions. « 

A l’instar de son inégalable concurrent américain, l’information de guerre est conçue dès les années 1980 comme arme et outil de mobilisation en faveur de la résistance.

Quand on apprend par ailleurs que Beyrouth figure depuis les années 70 comme un laboratoire de la presse indépendante arabe et un refuge des plumes proscrites par tous les régimes autoritaires de la région, on comprend que la récente mise hors la loi du réseau de communication du Hezbollah au Liban s’inscrit bien dans une logique de guerre.

L’affaire Al-Manâr

Logique qui a trouvé son pendant en France, avec l’affaire de la chaîne de télévision Al-Manâr en novembre 2003. Invité par le CRIF, Jean-Pierre Raffarin s’était indigné publiquement du caractère  » antisémite  » d’un programme diffusé sur Al-Manâr. L’offensive du Premier ministre se termine en décembre 2004, avec la résiliation par le CSA de la convention signée avec la chaîne de télé. Olivier Koch, docteur en science de l’information à Paris XIII rappelle que cette sanction présente  » un caractère exceptionnellement sévère  » et résulte en fait, d’une campagne internationale pour limiter la diffusion de l’idéologie politique du Hezbollah. La chaîne al-Jazira, s’est trouvée confrontée aux même types de problèmes.

Quand l’espace arabe se donne à voir par lui-même et appréhende les conflits et le monde à travers un prisme qui lui est propre, tout est fait pour limiter son territoire de diffusion.

On en conclut que l’image du parti chiite qui se diffuse au sein de l’espace géopolitique de l’information occidentale gagnerait à être un peu plus nette.

Le Hezbollah, chez Actes Sud dans la collection Sindbad, 24 euros

Un des principaux acteurs de la scène politique moyen-orientale

 

Photo : Marwan Naamani

Les grands enjeux de l’Euroméditerranée

La Méditerranée que l’on voit danser sur des braises, ramène un long cortège de dégâts qui flottent sur l’écume des guerres du Golf.  Mieux vaut en saisir les enjeux, pense la déléguée du PS pour la coopération politique en Méditerranée, que de suivre le factuel. En contrepoint du lot quotidien d’images morbides dont la source intarissable abreuve les JT sans jamais définir les contours du problème, Béatrice Patrie signe un essai sur les grandes questions du partenariat euroméditerranéen.

Découpé en quatre parties, l’ouvrage n’a d’autre ambition que de faire un point sur la situation actuelle afin d’envisager l’avenir des possibles. La première partie propose une relecture chronologique des rapports entre l’Europe et la Méditerranée. Sont aussi abordés la politique arabe de la France, actuellement en phase de rupture, et le tournant européen de Barcelone toujours dans l’impasse. La seconde partie se consacre aux grands défis, conflit israélo-palestinien, conditions d’adhésion à la communauté, question turque. La  troisième partie s’attache au dialogue avec l’Islam politique et civilisationnel. Enfin le dernier volet envisage la  problématique européenne : économie, immigration, aide au développement, intégration culturelle…

Ce livre, adressé au président français, tombe à point nommé, au moment où la France s’apprête à assurer la présidence de l’Union européenne. Tout le monde garde en mémoire le discours  de Sarkozy au soir de son élection, assurant qu’il serait garant de l’union méditerranéenne. Même si pas grand monde ne sait ce que Sarkozy entend vraiment par-là. « Une manière plus ou moins habile d’évacuer du champ politique l’épineuse question de la Turquie » suggère la député européenne Béatrice Patrie. Qui réaffirme les critères retenus par l’UE dès 1993 à Copenhague. Ceux-ci reposent sur la stabilité politique, des critères économiques et le critère de l’acquis communautaire requérant une aptitude pour assumer les obligations découlant de l’adhésion.

L’opposition multiforme, allant de la crainte de perdre l’identité européenne entendue comme chrétienne, en passant par le risque d’une satellisation géostratégique de l’Europe,  pour aller jusqu’à la peur d’une baisse de niveau de vie, est renvoyée à l’aune des décisions actées à Copenhague. « L’union a décidé de privilégier une dimension stratégique plutôt que géographique » affirme encore l’auteur, rappelant l’entrée de Chypre en 2004.

Autre sujet incontournable abordé avec réalisme, la question du conflit Israélo-palestinien. Celui-ci s’affiche aujourd’hui comme un horizon indépassable. « Aucune réunion euroméditerranéenne ne peut se tenir sans que cette question s’impose dans le débat. » La valse des hésitations européennes suscite doutes et sarcasmes dans les pays arabes sur l’attachement brandi par l’UE, aux vertus de la démocratie et du droit international dont les Etats-Unis et l’Etat d’Israël bafouent sans cesse les règles du jeu. « Comment développer une coopération avec des Etats en guerre ? de la capacité de l’Europe à apporter une réponse concrète à cette question dépend certainement l’avenir du processus euroméditerranéen. »

Le vaste panorama brossé par  cet essai souligne l’urgence d’opérer un changement radical d’approche dans la relation entre l’Europe et la Méditerranée. Le projet initial du président français excluait de l’Union tous les Etats européens ne disposant pas de façade maritime, et ne retenait, sur la rive sud que la Turquie et les pays du Maghreb. Il a évolué depuis, répondant à vue aux priorités du moment. Plus grave que son inconsistance, Sarkozy abandonne le rôle de médiation de la France pour s’aligner dangereusement sur la triviale politique étrangère américaine.

Béatrice Patrie Emmanuel Espanol « Méditerranée » Actes Sud 25 euros