Au terme d’un rapide tour d’horizon des projets des candidats à la présidence de France Télévisions, dont on ne sait absolument rien (pas la queue d’une idée), c’est finalement Delphine Ernotte Cunci, 48 ans, directrice exécutive d’Orange France, qui a été choisie par le CSA. Une femme présidente, c’est du jamais vu dans l’histoire de la télévision publique.
Peu connue du grand public, Delphine Ernotte Cunci a fait toute sa carrière chez France Télécom, d’abord comme analyste financier, puis à la tête de la communication et des sponsors. C’est elle qui a piloté le changement de marque, de France Télécom à Orange. Lorsque Stéphane Richard fut nommé patron d’Orange il y a quatre ans, elle devient directrice générale. Elle fut dans le cadre de ces fonctions, confrontée à la question sensible des suicides. Un drame qui marqua la culture de l’entreprise: son ancien patron Didier Lombard avait mis en place un mode de management critiqué pour la pression qu’il faisait porter sur ses salariés.
Le profil technocratique de la nouvelle présidente (elle est centralienne), spécialiste exclusive de l’univers des télécom, suscite des interrogations dans le milieu de la télévision qu’elle n’a jamais fréquenté, au-delà des réseaux minimums activés durant sa campagne. Même si on ne connait encore aucune de ses idées et projets, on sait au moins qu’elle sera tenue de gérer un groupe public riche de 10 000 salariés avec moins d’argent. Peut-être que Mathieu Gallet, patron chahuté de Radio France, pourra partager avec elle quelques hypothèses…On verra ce qu’elle compte faire de la politique éditoriale des chaînes (une de trop ?), des moyens de France 3, de la fusion des rédactions, de la question des jeunes publics (avenir de France 4 ?), de la place de la culture dans les grilles, de la réorganisation ou pas de la structure… Ses conseillers de l’ombre (Xavier Couture, David Kessler) devraient l’aider dans ses missions à venir…
Elle est en tout cas déjà attendue au tournant. Syndicats, salariés, producteurs…, tous ont leurs doléances cachées dans leurs tiroirs. Dans une “lettre ouverte aux candidats à la présidence de France télévisions”, la CGT a par exemple exigé de “retirer le projet Info 2015″, qui prévoit la fusion des rédactions nationales de France 2 et France 3. Le syndicat des producteurs audiovisuels (USPA), espère que France Télévisions va rompre “avec une certaine vision schizophrénique de l’audience“, vieux serpent de mer révélant l’ambivalence de ce qu’on attend de la télé publique : s’adresser à tous, mais à quel prix, comment, selon quel mode d’écriture, au prix de quel compromis avec les recettes de la télévision populaire… ? Comment consolider le pluralisme des émissions tout en respectant l’exigence éditoriale ?
Par-delà ses atouts tenus secrets, la nomination de Delphine Ernotte aura en tout cas révélé le vice d’un mode d’audition qui, plutôt que d’accentuer ses vertus démocratiques, a suscité de nombreuses critiques pour son opacité renforcée. Si le pouvoir exécutif est resté extérieur au choix final, l’impossibilité de connaître les projets, et le nom même de quelques candidats restés secrets, semble une incongruité démocratique. Après l’erreur de casting du CSA avec le choix contesté de Mathieu Gallet, les sages pilotés par Olivier Schrameck devraient justifier leur choix, ne serait-ce que par respect pour les candidats évincés (Pascal Joseph, Nathalie Collin, Robin Leproux, Cyrille du Peloux, Christophe Beaux et Rémy Pflimlin lui-même qui espérait secrètement être reconduit à son poste).
La nouvelle présidente devrait prendre ses fonctions avant la fin de l’été. Une nouvelle ère s’ouvre à France Télévisions, sans que l’on sache encore si elle penchera du côté d’une vraie rupture ou d’une douce continuité…Une ère rouge ou orange ?
Source : Les Inrocks 23/04/2015
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