La pièce débute comme un réveil qui sonne à mauvais escient. Promis à un bel avenir dans un régime totalitaire, un psychiatre dans la force de l’âge, sort soudainement du rêve. Dans un espace perdu, la scène, dépouillée de tout, s’y prête parfaitement, Piet va retrouver son demi-frère porté disparu avec sa mère durant la guerre civile. Vingt-cinq ans plus tard, cette résurrection soudaine, vient interrompre sa vie quotidienne et réviser passablement ses certitudes. Sans plus trop savoir où il en est, il se débat avec lui-même quand arrive le frère oublié qui le braque brusquement avec un revolver pour en faire son otage.
En connaissance de cause, et à renfort de détails sur la tragédie des survivants, Val ranime la culpabilité de son frère que le temps a transformé en naïve innocence. La guerre ressurgit comme des fils barbelés entre les deux frères. Et le choix imposé par la victime rebelle au nationaliste assumé est radical. Le lien de sang propulse l’intensité de la relation. Le cadet piétine la raison filiale que recherche l’aîné d’abord pour sauver sa peau, puis plus sincèrement.
Interprétation et présence corporelle remarquable de Julien Guill et de Marc Pastor qui maintiennent une intensité dramatique soutenue et nuancée, en tenant le spectateur sur le fil d’un bout à l’autre de la pièce. Le duo fonctionne comme une horloge qui tourne à l’envers en remontant le temps vers les périodes noires du conflit, puis jusqu’à l’enfance retrouvée et finalement fusillée.
La grandeur des vaincus tient une place de choix dans le théâtre de Corman. Avec Diktat, l’auteur aborde l’épineuse question de la responsabilité politique et morale de l’individu. Ni le pays ni les parties en présence ne sont citées. Enzo Corman a cependant écrit ce texte en 1995, ouvrant la porte de la fiction dramatique en pleine guerre de Bosnie pour faire entrer un peu d’air dans les principes aveugles de la réalité.