Attentat de Karachi: sur la piste du président pakistanais Zardari

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Zardari longtemps surnommé Mr 10%

Le juge français qui enquête sur l’attentat de Karachi en 2002 et un lien éventuel avec des commissions sur un contrat d’armement s’intéresse à des faits de corruption imputés avant son élection au président pakistanais Zardari, et sur lesquels la Suisse et le Royaume-Uni avaient enquêté. Le juge antiterroriste Marc Trévidic a adressé le 12 janvier des commissions rogatoires internationales à la Suisse et au Royaume-Uni pour obtenir les éléments de ces enquêtes à la demande des familles de victimes de cet attentat qui fit 14 morts, dont 11 salariés de la Direction des constructions navales (DCN) le 8 mai 2002, a-t-on appris vendredi de sources proches du dossier. Après avoir privilégié la piste Al Qaïda, le magistrat a réorienté son enquête sur l’hypothèse d’un contentieux franco-pakistanais en marge du contrat de vente de trois sous-marins Agosta dont les salariés de la DCN travaillaient à la construction. Ce sont des rapports internes réalisés à la demande de la DCN et baptisés « Nautilus », qui ont amené le magistrat sur la piste d’un arrêt d’une partie des commissions versées sur ce contrat comme possible mobile de l’attentat. Leur versement, soupçonné d’avoir donné lieu à des rétro-commissions vers la France, avait été stoppé en 1996 sur ordre de Jacques Chirac.

Des responsables de la DCN interrogés ces derniers mois par le juge ont accrédité le rapport Nautilus, selon ces sources. Le magistrat cherche donc à vérifier cette hypothèse en reconstituant le circuit des commissions évaluées à environ 80 millions d’euros, c’est à dire 10,25% du montant du contrat Agosta. L’un des rapports Nautilus, daté du 7 novembre 2002, affirme que les commissions versées à des décideurs politiques pakistanais « s’effectuaient selon un ordre établi par Asif Ali Zardari ». Veuf de l’ancien Premier ministre Benazir Bhutto, M. Zardari, devenu président en septembre 2008 et longtemps surnommé « M. 10% », demeure le symbole de la corruption sous les gouvernements de son épouse dans les années 1990. En 1997, après la chute de Mme Bhutto, la justice pakistanaise avait lancé une vaste enquête sur les avoirs du couple, s’intéressant notamment aux contrats d’armement, dont le contrat Agosta, susceptibles d’avoir généré des commissions au profit de M. Zardari.

C’est dans ce cadre qu’elle avait demandé aux justices suisse et britanniques d’enquêter. Londres avait ainsi été saisie dès le 21 octobre 1997 d’une demande d’entraide dans une affaire de drogue, très vite élargie à des faits de corruption imputés à Asif Ali Zardari. C’est le contenu de ces enquêtes que le juge Trévidic souhaite désormais connaître, a expliqué l’une de ces sources. Asif Ali Zardari avait été incarcéré de fin 1996 à 2004 mais la justice pakistanaise a abandonné toute poursuite à son encontre peu avant son arrivée au pouvoir. D’autres décideurs pakistanais ont en revanche été condamnés pour avoir perçu des commissions sur des contrats d’armement. L’amiral Mansurul Haq, directeur des arsenaux puis chef d’état-major de la marine pakistanaise, avait ainsi été conduit début 2002 à plaider coupable et à rembourser la somme de 7,5 millions de dollars. Selon le rapport Nautilus du 7 novembre 2002, Mansurul Haq était partie prenante du circuit de versement des commissions sur le contrat Agosta. « L’amiral Mansurul Haq prenait en charge les versements pour l’armée et les services de soutien aux guérillas islamistes de l’ISI » (services secrets), soutient son auteur, Claude Thévenet, un ancien de la DST.

Mathieu Foulkes et Matthieu  Rabelchault AFP

«La torture une pratique institutionnelle »

photo Rédouane Anfoussi

Michel Terestchenko est un philosophe français contemporain, auteur de sept ouvrages qui abordent par différents endroits, la philosophie politique et morale. Il était invité aux Rencontres Pétrarque du Festival Radio France et Montpellier L-R dans le cadre du débat : « Contre le terrorisme, tout est-il permis ? ».

Au cours des débats, vous avez estimé la torture moralement inadmissible et juridiquement condamnable. Mais le juridiquement condamnable ne vaut que quand le droit est respecté…

Aux Etats-Unis, la Convention de Genève en 1949 et la convention de l’ONU contre la torture en 1984 ont été ratifiées. Elles font donc partie du droit interne. Le Congrès américain a signé la convention de l’ONU en 1994 avec une interprétation très restrictive qui excluait en réalité toutes les formes modernes de tortures qui ne sont plus des tortures physiques mais des tortures psychologiques. La CIA à dépensé des milliards de dollars pour développer ces nouvelles techniques. A partir de deux modèles : la privation sensorielle et la souffrance auto-infligée.

Au lendemain du 11 septembre, les juristes de la maison blanche ont commencé à faire un travail de casuistique pour expliquer que les combattants d’Al-Qaïda n’étaient pas des soldats sous la protection des conventions internationales mais des combattants illégaux ou appartenant à des Etats déchus dans le cas des Talibans. C’était pour les mettre à l’écart du droit positif.

On définit assez aisément l’Etat de droit mais il semble plus difficile de définir la torture ?

Le principe enseigné dans les académies militaires américaines, c’est l’interdiction de toucher au corps. A partir de là, on se dit que toutes les formes de tortures psychologiques visant à briser la psyché humaine ne relèvent pas de la torture. Ceci dit le droit international proscrit la torture et les actes humiliants et dégradants. Cette question fait donc l’objet de débats et ouvre une forme de zone crise.

Observe-t-on un développement des zones de non droit ?

Au nom de la logique sécuritaire on assiste à la fois à une expansion des zones de non droit et paradoxalement au développement d’une société de l’insécurité. Société dans laquelle tout citoyen peut passer du statut de l’ami à celui de l’ennemi. On entre dans une économie générale de la peur. C’est un aspect très intéressant si on le rapporte à la fonction première de l’Etat qui est d’assurer entre les individus des liens de confiance, de sécurité qui les prémunissent justement du sentiment de la peur. En se sens, la torture est totalement improductive.

Vous dites aussi que la torture est politiquement ruineuse… Le fait d’attiser les peurs semble plutôt servir le pouvoir ?

Effectivement la peur est un moyen d’instaurer un plus grand contrôle du pouvoir mais ce moyen ne correspond pas à la finalité du pouvoir dans une société démocratique. Par ailleurs la torture reste fondamentalement inefficace. Tous les militaires et les agents de renseignement savent que c’est le moyen le moins fiable pour obtenir des informations. Les renseignements recueillis par la torture sont de mauvaise qualité. Elle est politiquement ruineuse parce qu’elle n’a jamais été une solution au conflit. Le meilleur exemple demeure l’Algérie où elle était pratiquée à grande échelle. La torture se retourne toujours contre les états qui y ont eu recours. Je crois que la torture introduit une corruption généralisée de la société qu’elle prétend défendre parce qu’elle corrompt tous les corps sociaux, le gouvernement, l’armée, le système judiciaire et l’opinion publique prise dans une espèce de passivité.

Est-ce que le modèle qui valide la pratique de la torture est exportable en Europe ?

Je pense que s’il y avait un attentat en France comparable à celui qui a eu lieu le 11 septembre, il y aurait lieu de craindre que des dérives semblables se développent. Il ne faut pas s’imaginer que cela ne concerne que les Etats-Unis où 44% des Américains se déclarent toujours favorables à cette pratique. Si au lendemain d’un attentat sur la tour Montparnasse on demandait aux Français de se prononcer, il est probable que l’on entre dans une logique qui ne soit pas aussi protectrice des libertés individuelles et des principes fondamentaux de l’Etat de droit. D’autant que l’on explique maintenant que la menace à venir est précisément celle posée par le terrorisme. C’était le discours officiel de Nicolas Sarkozy relayé par tous les médias. La tâche essentielle, c’est le renseignement, et le danger c’est l’ennemi invisible qui est par définition n’importe qui.

Comment faire face à cette dérive y compris sur le plan moral ?

Le point de vue moral est le plus fragile face à une argumentation de type utilitariste. Lorsqu’on vous dit : on torture un individu pour en sauver cent. Ce n’est pas simple de la réfuter. Cela nous renvoie au dilemme de Weber sur l’éthique de la conviction et celui de la responsabilité. La question de savoir si l’on peut transgresser la loi en situation d’exception rapporte le problème de la torture au problème de l’euthanasie active. C’est le même débat. La seule argumentation à mettre en place est de se demander : est-ce que ce modèle propose un scénario réaliste ou pas ? Ma thèse est que ce n’est pas du tout réaliste mais pervers et qu’il faut déconstruire ce prétendu réalisme. Toute la justification libérale de la torture en situation de nécessité repose sur ce paradigme de la bombe qui est sur le point d’exploser. On attend des autorités de l’état qu’elles n’agissent pas sous le coup de l’émotion.

Voir aussi : Rubrique livre, Mai 68 en surchauffe, Rubrique Philosophie Deleuze et les nouveaux philosophes, Rubrique Politique entretien Jean-Claude Milner, Michela Marzano, Daniel Bensaïd, Bernard Noël,


« Du bon usage de la torture ou comment les démocraties justifient l’injustifiable » aux éditions de la Découverte.