Le sociologue Mathieu Grégoire nous invite à changer de regard sur ce mouvement qui sort de l’ombre 1,7 million de salariés précaires, touts secteurs confondus. Interview.
Les intermittents ne désarment pas. Malgré la nomination d’un médiateur par le gouvernement, ils multiplient actions et blocages pour défendre leur statut. Ceci, avec un sentiment de légitimité d’autant plus fort qu’ils se sentent investis d’une mission : représenter le 1,7 million de travailleurs précaires que nous comptons aujourd’hui, qui, comme les chômeurs, n’ont jamais voix au chapitre.
Une idée que leur a soufflé Mathieu Grégoire, sociologue du travail spécialiste des intermittents du spectacle. Ce jeune maître de conférences à la fac d’Amiens et chercheur au Curap (Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie) leur a consacré sa thèse de doctorat puis un livre (1).
Le Medef, la plupart des syndicats et nombre de salariés voient les intermittents comme des privilégiés. Que leur répondez-vous ?
– Les professionnels du spectacle ne sont pas des privilégiés, et encore moins des saltimbanques qui « profitent » du système comme on l’entend parfois. Simplement, ils bénéficient d’un mode d’indemnisation chômage adapté à leurs métiers où les contrats de travail ne durent parfois qu’une journée.
Mais cela ne signifie pas que l’assurance chômage soit plus généreuse avec eux. Ainsi, que se passerait-il si l’on faisait basculer des chômeurs « classiques » dans ce régime soit disant privilégié ? On ferait d’importantes économies car les critères pour toucher des indemnités y sont plus stricts et celles-ci ne sont pas versées jusqu’à 2 ou 3 ans comme dans le régime général, conçu pour les salariés sortants d’un CDI ou d’un CDD. D’ailleurs, les intermittents représentent 3,5% des indemnisés pour 3,4% des dépenses. Bref, ils ne coûtent pas plus cher que les autres.
Mais pourquoi les salariés devraient-ils être solidaires de ceux qui font le choix risqué et difficile d’une carrière artistique ?
– Cette logique « du risque », c’est celle des assurances privées : elles n’assurent pas votre prêt immobilier ou bien demandent plus cher parce que vous souffrez d’une maladie chronique ou ne présentez pas assez de garanties. La philosophie de notre système de protection sociale, né du Conseil national de la Résistance veut qu’on ne fasse pas payer davantage ceux qui risquent d’avantage de tomber malades, d’avoir des enfants ou encore ont un travail instable.
Et puis, faudrait-il « punir » tous ceux qui ont choisi un métier de vocation et l’exercent dans des conditions difficiles ? Ainsi, doit-on exclure de l’assurance chômage les chercheurs non titulaires, les journalistes pigistes, payés à l’article ? On se trouve dans cette situation paradoxale où l’on voudrait sanctionner les seuls précaires bénéficiant d’une garantie adaptée.
Comment expliquez-vous ce malentendu ?
– L’emploi est devenu une religion partagée par tous les partis. Ils promettent sans vraiment y croire le plein-emploi à des électeurs qui n’y croient pas non plus. Avec une fuite en avant vers l’emploi « à tout prix ». Avec le pacte de responsabilité, on va consacrer 10 milliards d’euros à l’exonération de cotisations patronales dans l’espoir de créer 190.000 postes, soit plus de 50.000 euros par hypothétique emploi. Cela n’a pas grand sens.
Pendant ce temps, le chômage continue d’augmenter, principalement sous la forme d’une « activité réduite ». Depuis 1996 le nombre de demandeurs d’emploi qui travaillent une partie du temps dans le mois est passé de 500.000 à 1,7 million. Beaucoup ne touchent aucune indemnité. On serait bien inspiré de voir dans le régime des intermittents, seuls précaires à même de faire entendre leur voix, non un problème mais l’esquisse d’une solution, d’une flexisécurité assurant un salaire continu aux salariés à l’emploi discontinu.