Le directeur de l’Essec, âgé de 52 ans, a été deux fois recteur et numéro deux rue de Grenelle. Sa vision des réformes promises est « Macron compatible ».
L’ère Blanquer au ministère de l’éducation a démarré sous trois auspices. Trois mots-clés que le nouveau locataire de la rue de Grenelle a égrenés, mercredi 17 mai, au long de son premier discours : « République », « excellence », « bonheur ». Un attelage hétéroclite que d’autres notions sont venues compléter : « respect », « confiance », « innovation », « responsabilité »… Face aux défis de l’école, « la démarche moderne que nous devons avoir au XXIe siècle » se doit, pour le nouveau ministre, d’être fondée sur la « science », l’« expérience », l’« évaluation ».
Le ton est indubitablement plus froid, plus distancié que celui par lequel sa prédécesseure, Najat Vallaud-Belkacem, avait un peu plus tôt clos ses 993 jours au ministère. Mais pas moins assuré : Jean-Michel Blanquer, 52 ans, est à l’hôtel de Rochechouart en terrain connu. Il y a été le « numéro 2 » sous la droite, entre 2009 et 2012, au poste de directeur général de l’enseignement scolaire (Dgesco). Un « ministre bis » aux côtés de Luc Chatel, que l’on disait alors peu au fait des réalités scolaires. Il y a conservé des soutiens, des fidèles. Bref, des repères.
Pour la communauté éducative, c’est aussi un personnage connu, et pas seulement parce qu’il dirige depuis quatre ans l’Essec, l’une des plus grandes écoles de management françaises : Jean-Michel Blanquer reste, aux yeux des enseignants, celui qui a fait appliquer la politique éducative sous le quinquennat de Sarkozy, une période marquée par les coupes budgétaires et un discours très dur à l’encontre des fonctionnaires. Et l’inspirateur d’évaluations en maternelle qui avaient, à l’automne 2011, provoqué un tollé.
Un expert, un technicien
Tout au long de sa carrière, ce diplômé de philosophie, agrégé de droit – le plus jeune de sa génération –, a occupé de hautes fonctions d’administrateur au sein de l’éducation nationale. S’il fallait le ranger dans une catégorie, ce serait moins celle du politique – il n’a jamais assumé aucun mandat électif – que de l’expert, du technicien.
Ce fils d’une enseignante anglaise et d’un avocat parisien accède, sous la droite, à des postes de premier plan : il est nommé recteur de Guyane à 40 ans, en 2004. « Tu seras le seul recteur à avoir une pirogue de fonction », lui aurait-on glissé pour lui « vendre » ce premier poste. L’année suivante, il est pressenti comme ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement de Dominique de Villepin, mais il sera finalement directeur adjoint du cabinet de Gilles de Robien.
Il prend, en 2007, la direction de l’académie de Créteil, l’une des plus vastes et des plus difficiles de France métropolitaine. Il s’y forge la réputation d’un recteur bouillonnant – l’« hyperrecteur » –, donnant son feu vert à tous types d’expérimentations. Celles-ci germent sur ses terres, autant (ou presque) que les polémiques.
Ce sont les débuts des internats d’excellence pour élèves méritants issus des milieux défavorisés. Les débuts, aussi, de la « mallette des parents » ou du « cartable numérique » pour les collégiens, le développement des microlycées… Sans oublier la « cagnotte » pour les décrocheurs censée inciter les lycéens à plus d’assiduité. Payer les jeunes pour qu’ils ne sèchent pas les cours ? Le projet met en émoi la communauté éducative.
Un homme pragmatique
En homme pragmatique, le recteur Blanquer fait évaluer ces expériences par l’Ecole d’économie de Paris. Une méthode qu’il défend : le pilotage par la science et les résultats. C’est aussi celle qu’il continue à employer en tant que directeur général de l’enseignement scolaire, fonction qu’il quitte en 2012, remercié par la gauche.
Avant l’Essec, où il s’installe en 2013, son regard se porte vers l’Institut d’études politiques de Paris (IEP) qui pleure son directeur Richard Descoing. Sa candidature, parmi une vingtaine d’autres, ne sera finalement pas retenue, mais Jean-Michel Blanquer a su l’imposer dans la « short-list » finale, avant que l’énarque Frédéric Mion ne soit nommé.
De lui, peu de choses filtrent : on connaît sa passion pour l’Amérique latine, son amitié avec le maire (LR) de Troyes François Baroin, son soutien à l’ex-institutrice innovante Céline Alvarez, guère plus. Ses références au philosophe Edgar Morin – qui a donné son nom à la « chaire de la complexité » inaugurée à l’Essec – comme au neuroscientifique Stanislas Dehaene. Et son goût, certain, pour l’écriture.
En 2014, vingt ans après un premier essai sur l’ENA, il publie L’Ecole de la vie puis, en 2016, L’Ecole de demain (tous deux chez Odile Jacob), accueillis comme un programme ministériel assumé. Son projet pour l’éducation prend également corps dans les médias. Sur France Info, à l’émission « Moi président » fin 2016, il explique que sa mesure phare porterait sur l’école maternelle. Dans un entretien à L’Expansion en décembre 2016, il s’exprime comme s’il s’apprêtait déjà à revenir au ministère de l’éducation nationale.
« Une troisième voie »
Dans l’entre-deux-tours de la campagne présidentielle, Jean-Michel Blanquer a, sans le nommer, pris position contre le Front national. Sur Twitter le 3 mai, il mettait en garde ses étudiants de l’Essec « si la France devait prendre [le 7 mai] un chemin contraire à cet idéal ». Le lendemain, dans Le Point, il consacrait sa chronique à interroger « une troisième voie en éducation ».
Son programme tel qu’il transparaît dans son dernier ouvrage – élaboré avec l’aide de l’Institut Montaigne, un think tank libéral – est indubitablement « Macron compatible ». Au point qu’on peut se demander si M. Blanquer n’en a pas été l’un des principaux inspirateurs. On y retrouve la priorité aux premières années de la scolarité et la proposition de diviser par deux la taille des classes dans les zones d’éducation prioritaire.
On y retrouve aussi les stages de remise à niveau, l’été, pour les élèves en difficulté, les études dirigées le soir pour les collégiens, une réforme du baccalauréat, un principe d’autonomie très fort… Autant de promesses de campagne du candidat Macron.
A le lire, l’éducation nationale n’est pas un « mammouth » irréformable ; il préfère à cette image un peu galvaudée celle du « diplodocus », « avec un grand corps et une petite tête » précisait-il à la presse à la rentrée 2014. On verra dans les prochains mois s’il parvient à mettre en musique les promesses de campagne d’Emmanuel Macron face auxquelles les syndicats d’enseignants semblent déjà prêts à serrer les rangs.
Mattea Battaglia et Aurélie Collas
Source Le Monde 17/05/2017
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