Henry Sterdyniak : La France apparaît comme  » un pays sans parole  »

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Evolution de la dette, choix de budget, vente d’actifs, option politique, attitude vis à vis de l’Europe… le décryptage d’un économiste attéré.

Economiste, Henry Sterdyniak est animateur des Economistes atterrés. Ce collectif créé en 2011, organise la réflexion et l’expression publique des économistes « qui ne se résignent pas à la domination de l’orthodoxie néo-libérale ». Entretien.

La dette dépasse 2000 milliards d’euros. C’est une surprise ?

La situation de quasi déflation, la croissance faible, les prix qui n’augmentent pas… creusent le déficit. Et la dette augmente, c’est normal. En France comme ailleurs car le malaise est général. Notre ratio dette/PIB est équivalent à celui de la Grande-Bretagne, inférieur à celui des Etats-Unis…

On annonce déjà une dette équivalent à 100% du PIB en 2017 ?

On s’y attend totalement. Pour réduire le déficit, il faudrait une reprise forte de la croissance et de l’inflation. Or, la politique menée par le gouvernement consiste à baisser de 40 milliards d’euros les impôts et cotisations patronales. Naturellement, cela creuse le déficit et cela risque même d’accélérer la déflation pour peu que les entreprises choisissent de baisser leurs prix.

L’Etat a annoncé une cession d’actifs pour 2015. Une solution pour baisser la dette ?

Ce n’est rien. Non seulement les sommes sont faibles mais ce qui est important, c’est la dette nette, c’est-à-dire la dette moins les actifs. Lorsque vous vendez des actifs, vous avez certes un peu moins de dette mais vous êtes aussi moins riche. De plus, la France s’endette actuellement à des taux très faibles alors que les actifs que l’on va vendre rapportent jusqu’à 5% par an. On se retrouve donc dans une situation stupide consistant à vendre des actifs rentables.

Pour la première fois, le poste de remboursement des intérêts de la dette n’est plus le premier poste budgétaire ?

C’est lié à ces taux d’intérêt très faibles, quasi nuls sur un ou deux ans. Nous sommes dans un monde capitaliste où beaucoup d’argent s’échange. La Banque centrale européenne (BCE) veut soutenir l’activité et prête à des taux très faibles aux banques. Or, celles-ci ne trouvent pas à écluser cette argent auprès des entreprises, trop frileuses pour investir actuellement. Elles se tournent donc vers les Etats et leur prêtent à des taux bas.

N’est-ce pas une bonne chose ?

Oui car cela signifie que les établissements bancaires considèrent que la signature de la France est fiable. Mais, en même temps, cela montre aussi que les marchés considèrent qu’il n’y a pas de risques de voir les taux s’envoler en France car la situation de déflation est profonde. C’est donc aussi un peu… triste.

 » L’espoir gouvernemental est que les entreprises choisiront de les investir. Pour l’instant, nous n’en avons pas beaucoup de preuves… « 

Que pensez-vous des 21 milliards d’euros d’économie annoncés ?

Il n’y a pas de miracle. C’est 1% du PIB en moins. Le niveau des prestations familiales va donc baisser, la pression va être mise sur les dépenses maladie, les indices de la fonction publique ne seront pas revalorisés, les dotations aux communes vont baisser, les mettant en difficulté pour investir ou pour financer par exemple la réforme des rythmes scolaires… Toutes ces restrictions vont avoir un effet dépressif de l’ordre de 1% du PIB. On peut juste espérer que cela ne se fasse pas, car il est toujours très difficile de baisser, dans les faits, les dépenses publiques. Il faut donc regarder si ces économies de 21 milliards d’euros ont bien lieu. Ce qui n’enlève d’ailleurs rien à la stratégie du gouvernement. Il a choisi de donner 40 milliards aux entreprises. Les baisses de dépenses publiques sont donc là pour les financer. L’espoir gouvernemental est que les entreprises choisiront de les investir. Pour l’instant, nous n’en avons pas beaucoup de preuves…

Cela est lié au traité de stabilité budgétaire signé par la France. N’envisageait-il pas des circonstances exceptionnelles, n’est-ce pas le cas ?

Pour vous peut-être, pour le traité non. Nous ne sommes pas dans une croissance fortement négative. Ce traité existe malheureusement, il a été signé, et nous lie, théoriquement, les mains.

Michel Sapin estime que l’Europe devait prendre ses responsabilités face à la déflation. Dans le même temps, Pierre Moscovici affirme devant le Parlement : « les règles, rien que les règles ». Que pensez-vous de ce jeu politique ?

Ce n’est pas un jeu ! Cette attitude double a toujours été de mise. D’un côté, on affirme que les règles européennes sont stupides, qu’il faut arrêter les politiques d’austérité, investir 300 milliards d’euros d’argent public pour relancer la croissance – confère la campagne présidentielle – et de l’autre, on accepte de signer les traités et de jouer le jeu, de présenter un programme national de réformes et d’envoyer un commissaire, non pour s’opposer, mais pour appliquer. C’est une stratégie brouillonne qui fait surtout apparaître la France comme un pays où on signe mais on n’applique pas. Bref, un pays sans parole.

Entretien réalisé par Angélique Schaller

Source : La Marseillaise 03/10/2014

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