Alep & Mossoul le même désespoir

Des civils fuyant les combats arrivent dans le quartier de Hal-Samah, à l'est de Mossoul. (Sebastian Backhaus pour le JDD)

Des civils fuyant les combats arrivent dans le quartier de Hal-Samah, à l’est de Mossoul. (Sebastian Backhaus pour le JDD)

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Réunis à Londres en octobre dernier, les ministres des affaires étrangères français, britannique et allemand ont rencontré leur homologue  John Kerry au lendemain d’une réunion russo-américaine à Lausanne. Pour condamner l’escalade des bombardements à Alep au nord de la Syrie.

Au sortir de cette rencontre l’objectif était de rétablir un rapport de force avec Moscou sur la crise syrienne. « Il est vital de maintenir la pression et nous proposons de nouvelles mesures, de nouvelles sanctions contre le régime syrien et ses partisans« , avait déclaré Boris Johson le chef de la diplomatie britannique.

La « solution »  devait passer par une courageuse offensive sur Mossoul en envoyant les forces kurdes, les volontaires et les milices, l’armée et la police fédéral irakienne appuyé par les force de la mobilisation populaire  en première ligne comme naguère les vaillant tirailleurs sénégalais de l’armée coloniale . Tandis que les avions de la coalition internationale entamaient leurs frappes. Une ville de deux millions d’habitants les force de l’EI étant estimé par les militaires à 3 000 hommes dans la ville et ses alentours annonçaient un massacre nous y sommes…

L’oeil des masses médias des alliés occidentaux se tourne sur Alep en tordant souvent la réalité ( point sur la situation militaire) particulièrement dans les médias français. Après un départ en guerre en fanfare  sur le thème  » la bataille de Mossoul  » c’est maintenant silence radio ou presque sur ce conflit en Irak…  Le reportage du JDD ci-dessous donne une mesure de la situation. Tout laisse à penser que nous (les occidentaux) sommes très mal placés pour donner des leçons.

« la production des idées, des représentations et de la conscience, est d’abord directement et intimement mêlée à l’activité matérielle et au commerce matériel des hommes : elle est le langage de la vie réelle » disait Marx

Ce qui compte avant tout pour ceux qui nous gouvernent, après l’émotion liée aux massacres et à la destruction, c’est que la reconstruction va nécessiter beaucoup de sacs de ciments

Irak : la bataille de Mossoul fait rage et frappe durement les civils

REPORTAGE – Après sept semaines de combats, les forces irakiennes et kurdes ont perdu plus de 3.500 hommes dans la bataille contre Daech. Les civils affrontent une situation humanitaire catastrophique. 

Une dernière fois, Hadj Amjed a voulu prendre entre ses mains puissantes le visage déjà cadavérique de son enfant. Puis l’infirmier militaire est venu et, dans une infinie douceur, a refermé les yeux de l’adolescent. Le père, drapé dans un long manteau crème, s’effondre, au pied de la civière, inconsolable. Le quinquagénaire avait pourtant cru que son fils s’en sortirait quand, à l’aube ce jeudi matin, il l’avait juché à l’avant du Humvee de l’armée irakienne. Il respirait encore quand le blindé a foncé à travers les ruelles du quartier d’Aden. Mais arrivé à l’hôpital de campagne de Gogjali, dans les faubourgs est de Mossoul, il était trop tard. Comment aurait-il pu survivre à cet obus de mortier qui l’avait déchiqueté?

Des civils enfermés dans une souricière

Un ciel gris et bas, le froid glacial du petit matin, cette boue gluante apparue avec les premières pluies de l’hiver. Sept semaines déjà que l’armée irakienne a lancé son opération pour libérer Mossoul des griffes de Daech. Sept semaines que les djihadistes défendent leur fief avec acharnement. Certes les militaires avancent, mais lentement, maison par maison. Et le mauvais temps qui s’installe n’est pas fait pour les avantager. « Nous contrôlons 22 quartiers, plus de 50 % de la rive gauche du Tigre, et nous avons éliminé au moins 1.100 terroristes, assure néanmoins le général Abou Omar Sabah, porte-parole de la CTS (Counter terrorism Service), ces troupes d’élite qui sont pour l’instant les seules à se battre à l’intérieur de la deuxième ville d’Irak. On a appris à connaître leur stratégie et eux s’épuisent. Le nombre d’attaques à la voiture suicide a d’ailleurs fortement diminué ces derniers jours. » Reste que le prix à payer est exorbitant. En novembre, 1.959 soldats seraient tombés en Irak, selon les Nations unies. Combien à Mossoul? Le commandement militaire refuse de le préciser. Mais depuis le 17 octobre, jour du lancement de l’offensive, le nombre de morts au combat a grimpé en flèche. Côté Kurde, une source officielle confirme au JDD le chiffre de 1.600 peshmergas tués, et un taux global de pertes (morts et blessés) dans les forces anti-Daech de 25 % !

Et puis, il y a les civils, enfermés dans cette souricière qu’est devenue cette cité tentaculaire, trois fois plus grande que Paris mais dont tous les axes majeurs d’approvisionnement ont été coupés. Le mois dernier, 332 civils auraient péri dans la plaine de Ninive, dont Mossoul est la capitale. Mais le vrai bilan est sans doute plus lourd. « Quand l’armée cherche à progresser, cela provoque plus de morts, note Marek Adamyk, un aide-soignant d’une ONG slovaque, qui officie dans l’hôpital de campagne. Pareil quand Daech lance des contre-­offensives ou se défend avec plus de vigueur, généralement le vendredi. » Ces jours-là, au centre de santé d’urgence, se déverse du cœur de la ville le flot de blessés. Comme ce quadragénaire hurlant de douleur au milieu du petit patio qui sert de première salle d’intervention. Son tibia est en miettes. « Un tir de sniper », se désole le capitaine Khali, médecin du CTS. À l’intérieur du petit bâtiment, un enfant gémit à son tour : Amer Mudher, 7 ans, a déjà été soigné la semaine dernière mais la plaie énorme à une jambe causée par les éclats d’un obus de mortier prend une mauvaise tournure. « Il faut faire quelque chose, implore son père. Je n’ai plus que lui. Sa mère est morte dans l’attaque. Nous avons dû l’enterrer dans le jardin. »

Pénétrer dans la ville équivaut à entrer dans le chaudron du diable. Certes, dans les premiers quartiers périphériques du nord-est, comme Al-Samah, l’un des premiers à avoir été libérés début novembre, un semblant de vie est revenu. Des vendeurs ambulants y proposent un choix restreint de légumes. Des petites filles saluent le passage de convois militaires. Quelques dindes, libérées de leur enclos, se dandinent sur le chemin cahoteux qui sert de route. Mais très vite surgit un paysage de chaos absolu. Aux abords du quartier de Nimrush, les imposantes avenues ne sont plus que des mers de gravats. Les rues plus étroites, elles, sont pour beaucoup inaccessibles, fermées par des barricades de terre surmontées de carcasses de voitures. Dans celles encore ouvertes, pourrissent des montagnes de détritus. Au milieu de ce décor crépusculaire, quelques habitants se tiennent sur le pas des maisons relativement épargnées, ils semblent perdus mais souriants. Il vaut mieux faire bon accueil aux convois militaires qui passent dans le coin même si l’armée se fait plutôt rare ici. Les forces du CTS ne sont pas assez nombreuses pour combattre sur la ligne de front et tenir les territoires conquis. Et les renforts se font attendre. Ces derniers jours, un bataillon de la 11e division est enfin arrivé de Bagdad pour sécuriser les zones libérées.

En s’enfonçant un peu plus vers le sud, même ambiance lugubre. Sur l’un des grands axes, une famille avance, traînant derrière elle des valises. Où vont-ils? Ils ne le savent pas vraiment. « Peut-être dans le quartier Tahrir, dit la mère. On nous a dit qu’il y avait des maisons vides là-bas. » Un peu plus loin, deux hommes poussent péniblement une charrette à bras. Y repose, allongé, un vieillard impotent.

Depuis une semaine, 500.000 habitants sans eau

Puis vient le quartier d’El-Bakr que l’état-major irakien assure avoir fini de nettoyer ces derniers jours. Dans l’air, flotte néanmoins une odeur de poudre qui dit que les combats n’ont pas tout à fait cessé. D’ailleurs aux tirs de mitrailleuses des soldats irakiens répondent les claquements des kalachnikovs de djihadistes postés quelques centaines de mètres plus loin. Ces combats, les rares résidents qui s’aventurent à l’extérieur, n’y prêtent même plus garde. Pas plus qu’ils ne font attention à ce cadavre putréfié qui gît à même le trottoir. C’est celui d’un combattant de l’EI, 15 ans à peine, dont la tête repose à un bon mètre du corps.

La guerre et son lot d’atrocités semblent devenues la normalité ici. Il n’est qu’à voir Allah Kamel, 31 ans, sortant de sa maison revêtu d’un sweat couleur moutarde. Le jeune homme parle d’une voix calme tandis que son frère tire avidement sur une cigarette. Il explique que quatre familles se sont réfugiées dans cette imposante demeure à la façade en faux marbre. Il y a quelques jours encore, elle était occupée par des hommes de Daech. « On n’en sort presque pas ou alors pour prendre la nourriture que l’armée nous donne. » Il concède que trouver de l’eau potable est devenu un problème. Selon l’ONU, 500.000 habitants en seraient privés depuis cette semaine. Mais pour le reste, les obus de mortier qui ont encore tué trois personnes à El-Bakr jeudi, Allah Kamel n’en fait pas grand cas.

La villa qui fait face, d’où émerge un généreux oranger, est pourtant une cible de choix. Elle été investie par un groupe des forces antiterroristes que dirige le commandant Arif, un trentenaire originaire de Najaf. Postés sur le toit-terrasse, ses hommes canardent des ennemis invisibles. « Nous avons des camarades plus loin, dans le quartier al-Zohour, explique le chef du groupe, désignant une zone d’où s’échappent des panaches de fumée grisâtre. Ici, il ne reste que quelques snipers. » Pas de quoi convaincre Allah Kamel de partir. « On vient de récupérer notre maison. Donc nous resterons là, comme l’armée le demande. »

Sous Daech, il s’enfermait dans ses toilettes pour fumer

De l’autre côté de la ville, celle encore contrôlée par Daech, la population ne fuit pas davantage. Mais a-t-elle le choix? Les civils servent désormais de boucliers humains à l’organisation djihadiste. Ahmed, sorti du quartier d’Aden, raconte : « La semaine dernière, ils ont demandé à tout le monde de sortir dans la rue alors qu’il y avait des combats. Ce n’est que le lendemain qu’ils nous ont autorisés à rentrer chez nous. » D’autres expliquent que les soldats du califat débarquent et mitraillent les rues sans raison apparente. Certaines histoires sont plus sombres encore. Comme celle de ce bébé, amené la semaine dernière à l’hôpital de campagne de Gogjali par ses parents. Enveloppé dans une couverture, le nourrisson respire difficilement. Depuis plus d’un mois, il avait de la fièvre et ses parents l’ont conduit dans un hôpital contrôlé par l’EI. Mais, parce que le prénom du garçon avait une consonance chiite explique le père, les médecins de Daech lui ont injecté un produit suspect. « Je ne sais pas ce que c’était, explique Marek, l’aide-soignant slovaque. Un truc à base d’essence peut-être… »

Ce genre de situation, Hadi Abdallah Hassan ne veut plus l’endurer. Fuyant Mossoul, ce père de famille de 48 ans, le crâne coiffé d’un keffieh, n’a pas souhaité rejoindre le lot des centaines de déplacés qui arrêtent leur course dès Gogjali et qui attendent chaque jour une hypothétique distribution d’eau et de nourriture de l’armée. Croisé à Bartella, à quelque 10 km de Mossoul, lui veut emmener sa famille dans un camp de réfugiés. Avant cela, il doit se soumettre à un interrogatoire musclé que lui soumet un jeune officier irakien à la recherche de possibles complices de l’EI. Une humiliation de plus pour ce cheikh qui, sous le joug de Daech, s’enfermait dans ses toilettes pour fumer. « Il fallait ne laisser aucune trace, raconte-t-il. Une fois fini, je jetais le mégot dans la cuvette. » Dans son quartier de Saddam, il a vécu bien pire : la mort de son frère, puis celle de quatre petits voisins juste avant son départ, tous tués par des obus de mortier. « Je ne sais pas de quel côté ça venait et je ne veux pas le savoir, soupire-t-il en montant dans son pick-up. De toute façon, les combats vont détruire la ville. Alors, je vais vendre la maison et on essaiera d’aller en Europe. En tout cas pour moi, là-bas, c’est fini. »

 

Source Le Journal du Dimanche 04/12/2016

 

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