Etre juif après Gaza: Un travail de conscience face à l’autisme politique

esther-benbassa165x150Esther Benbassa occupe la chaire d’histoire du judaïsme moderne et contemporaine à l’Ecole pratique des hautes études de La Sorbonne. Elle pose dans ce court essai une question simple et courageuse : comment être juif après l’offensive israélienne contre Gaza ? Pour trouver une réponse à cette interrogation, l’intellectuelle explore dans un style limpide les fondements d’appartenance à l’identité juive.

« Je ne veux plus être juive et rejeter Israël, dit-elle. Je ne veux pas non plus être juive et approuver cette guerre immorale que mène Israël. » Cette volonté, Esther Benbassa le sait, sous-tend de ne plus se dissoudre dans l’anonymat identitaire. L’histoire partagée, qui sert officiellement de ciment au peuple juif, « est d’abord une histoire appropriée  qui se résume le plus souvent à l’Holocauste », soutient l’auteur qui précise que jusqu’à leur exil à partir de la fin des années 50, les Juifs d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient évoquaient peu le génocide. Ils ont assimilé, en arrivant en Europe, l’histoire tissée de massacres de l’aristocratie juive, celle des Ashkénazes, principalement des Juifs d’Europe centrale et orientale auquel s’ajoutent en France les Ashkénazes intégrés de longue date dans la République.

Une histoire complexe

Au sein de la communauté juive française, l’universitaire souligne la déconsidération dont peuvent souffrir les Juifs originaires d’Afrique du Nord : « Seul le partage de cette histoire de souffrance était susceptible d’impartir aux juifs maghrébins et orientaux une place un tant soit peu honorable. » Ce décalage s’intensifie en Israël où l’on réserve aux « Orientaux » marqués au fer de l’infériorité mais proches de la tradition religieuse, une meilleure considération qu’aux « chevilles ouvrières du nouvel Etat, essentiellement d’origine Est européenne, traitées par tout le système, en particulier sous les travaillistes, comme des citoyens de seconde zone. »

Esther Benbassa met en exergue la façon dont les populations venues du Maghreb et du Moyen-Orient, pour peupler la nation, ont été coupées de leur propre histoire par les artisans du sionisme. « Au déracinement s’est substitué l’Holocauste comme histoire et identité partagée. » La revanche politique des Juifs orientaux s’exprime avec la victoire du Likoud en 1977. « Une première pour la droite, qui augure son renforcement continu et qui débouche, comme c’est le cas aujourd’hui, sur sa coalition avec l’extrême droite (…) Ce sont ces gouvernements de droite ou dominés par elle, soutenus par les +Orientaux+ qui ont pris le relais de la gauche travailliste dans la colonisation massive des territoires palestiniens et qui ont mené la meurtrière offensive de Gaza. »

A l’instar du décret Crémieux signé en 1870 permettant aux Juifs algériens d’accéder à la nationalité française, l’auteur souligne la convergence d’intérêts entre les Juifs et le colonisateur. Lors de son rapatriement, cette population se retrouva coupée de son pays d’origine, sans pour autant être considérée comme vraiment française. « C’est aussi de cette histoire, spécifique et complexe, et finalement si peu partagée, que découle l’inconditionnel soutien de larges franges de la judaïcité française d’origine maghrébine à Israël. »

Un regard rare et un livre clé, permettant de connaître et comprendre les ressorts historiques et psychologiques préalables à un avenir commun.

Jean-Marie Dinh

Etre juif après Gaza, CNRS éditions 4 euros.

Voir Aussi : Rubrique politique Manifestation contre l’offensive israélienne, Rubrique religion Le judaisme libéral prône une adaptation au monde moderne, Rubrique actualité internationale Rapport de l’ONU sur Gaza , Repère sur la guerre de Gaza. Rubrique société civile « L’appel à la raison » des juifs européens à Israël, Rubrique Livre Dictionnaire d’Esther Benbassa,

Une journaliste française indésirable en Tunisie

liberte-presse-tunisieUne journaliste française du quotidien parisien Le Monde qui souhaitait couvrir les élections du 25 octobre en Tunisie a été refoulée à son arrivée mardi soir à l’aéroport de Tunis-Carthage, a-t-on appris de source gouvernementale. « Mme Florence Beaugé a été interdite d’accès au territoire tunisien », a indiqué cette source dans un communiqué transmis à l’AFP, précisant que l’envoyée spéciale du quotidien français avait été « avisée qu’elle ne serait pas admise sur le territoire tunisien ». « Il s’agit d’une décision souveraine prise par les autorités tunisiennes », vis-à-vis d’une journaliste qui « a toujours fait preuve de malveillance patente à l’égard de la Tunisie et de partis pris systématiquement hostiles », a-t-on affirmé de même source. Aucune indication n’a pu être obtenue sur les raisons précises ayant motivé le refoulement de la journaliste, qui avait effectué récemment une mission en Tunisie.

AFP 23 10 10 (suite) : L’expulsion de la journaliste : « un acte souverain qui n’a pas à être expliqué » selon le ministre tunisien de la Justice et des droits de l’Homme.

L’expulsion de Tunisie d’une journaliste du quotidien français le Monde est un « acte souverain qui n’a pas besoin d’être expliqué », a affirmé Béchir Tekkari, ministre tunisien de la Justice et des droits de l’Homme. « Nous sommes libres, après plus de 50 ans d’indépendance, d’accepter ou de refouler qui l’on veut », a-t-il déclaré jeudi soir lors d’une conférence de presse. Le ministre était interrogé sur l’explusion mardi soir de Florence Beaugé, envoyée du Monde à Tunis pour la couverture des élections présidentielle et législatives de dimanche. « On l’a avertie qu’elle était indésirable, elle a insisté pour venir, elle a été expulsée (…), un acte souverain qui n’a pas à être expliqué ni motivé », a-t-il dit. La France a effectué une démarche « infructueuse » auprès de la Tunisie pour qu’elle autorise l’entrée de la journaliste, avait indiqué le porte-parole du Quai d’Orsay Bernard Valero.

Florence Beaugé avait été refoulée à son arrivée mardi soir à l’aéroport de Tunis-Carthage. Une source gouvernementale tunisienne lui a ensuite reproché, d' »avoir toujours fait preuve de malveillance patente à l’égard de la Tunisie et de parti-pris systématiquement hostiles ». L’envoyée du Monde a effectué récemment un séjour en Tunisie durant lequel elle a interrogé des opposants particulièrement critiques à l’égard du régime, notamment l’avocate Radia Nasraoui et de son époux Hamma Hammami, chef du Parti communiste ouvrier (PCOT, interdit).

S’agissant de l’interdiction de voyage faite à Me Nasraoui, M. Tekkari a indiqué qu’elle était « sous le coup de poursuites judiciaires ». « Appartenir à un mouvement politique ou être écouté par certains médias n’exonère pas quelqu’un de la loi », a-t-il dit. Me Nasraoui a été empêchée mardi de se rendre à Strasbourg où elle devait participer à une rencontre au Parlement européen. M. Tekkari a fait état de « grandes avancées » en matière de libertés et droits de l’Homme. « Si des cas isolés ont été enregistrés, cela ne veut pas dire qu’il y a une violation continue », a-t-il dit.

Voir aussi : Chroniques Ministre de réserve

Fillon à Tunis, prolixe sur la coopération, muet sur les droits de l’Homme

François Fillon a entamé une visite de travail en Tunisie avec la signature d’accords de coopération dont certains dans le but de décrocher à plus ou moins long terme de nouvelles parts d’une économie prospère, en évitant soigneusement la question des droits de l’Homme.     Le Premier ministre français et son homologue tunisien Mohamed Ghannouchi se sont réjouis de « l’exemplarité » de la relation entre les deux pays. M. Fillon a a évoqué une « coopération gagnant-gagnant » en réponse à M. Ghannouchi qui célébrait une « concordance » totale « de vues et d’analyses ».
« Les échanges sont à un niveau historique », a même dit M. Fillon.

Pour concrétiser cette entente idyllique qui n’est pas sans ambitions commerciales pour Paris, les deux gouvernements ont paraphé plusieurs accords dont certains avaient été mis sur les rails lors de la visite du président Nicolas Sarkozy, il y a tout juste un an.
C’est le cas dans le nucléaire civil, la France espérant à terme obtenir la construction d’une centrale d’ici 2020. Paris a également des ambitions dans le domaine des transports, objet d’un autre accord-cadre, avec le projet d’extension du tramway à Tunis et l’équivalent du RER parisien.
En direction des PME tunisiennes qui participent à une croissance estimée à 3% cette année (4,5% selon des statistiques tunisiennes) malgré la crise, la France débloque une aide de 40 millions d’euros liée à l’obligation de se fournir auprès d’entreprises françaises.

M. Fillon, qui est accompagné d’une cinquantaine de chefs d’entreprise, a en revanche soigneusement évité la question des droits de l’Homme, au centre de critiques récurrentes d’organisations internationales et des opposants au régime de Zine El Abidine Ben Ali, dont des portraits géants ornent la capitale et qui brigue à l’automne un cinquième quinquennat consécutif.
M. Fillon n’en a pas dit un mot devant des étudiants tunisiens réunis à la Cité des Sciences qui avaient pour « recommandations officieuses », selon l’un d’entre eux, de ne pas en parler.     En avril 2008, le président Nicolas Sarkozy s’était risqué sur ce terrain pour louer les « efforts » de la Tunisie, déclenchant une polémique.

En revanche, le Premier ministre n’a pas échappé à une question sur le nombre « trop réduit » de visas d’études accordés par la France à une jeunesse durement touchée par le chômage.     M. Fillon s’en est défendu en avançant le chiffre de 7% d’augmentation en 2008 et a mis en avant la coopération très forte en matière d’enseignement supérieur et de formation professionnelle, qui représentent 60% de l’aide française, laquelle s’est traduite par un nouvel accord global de coopération.
Le chef du gouvernement a aussi insisté sur la stratégie française de « gestion maîtrisée des flux migratoires » qui a fait l’objet d’un accord de mise en oeuvre, un an après avoir été conclu par M. Sarkozy. Il prévoit 40 millions d’euros sur trois ans pour des projets de développement à destination des jeunes dans le but avoué de limiter l’immigration économique.

Par ailleurs, l’Agence française de développement (AFD) a signé trois conventions d’aide d’un montant de 80 millions d’euros dont 65 millions dédiés à la gestion de l’eau. M. Fillon sera reçu par M. Ben Ali avec qui il devrait évoquer des dossiers diplomatiques dont l’Union pour la Méditerranée (UMP), en panne depuis la crise de Gaza, et dans laquelle la Tunisie est très impliquée.

Histoire de femmes pendant la guerre

le chant des marieesLe film Le chant des mariées conte l’histoire d’une amitié fusionnelle entre deux adolescentes, Myriam et Nour. Nous sommes à Tunis en 1942. Issues de communautés différentes, les deux jeunes filles partagent la même maison. Nour va se marier avec son cousin qui cherche du travail, Myriam l’envie. Mais en novembre l’armée allemande entre dans Tunis.

Après La petite Jérusalem, couronnée par le prix de la semaine de la critique à Cannes, le second long métrage de Karim Albou évoque une période méconnue de l’histoire. L’occupation allemande de la Tunisie, qui a durée six mois. Dès novembre 1940, l’Amiral Estena, résident général de France en Tunisie, édicte le statut applicable aux Juifs. Et les discriminations subies par les Juifs tunisiens diffèrent peu de celles de Vichy. Hormis les vichystes convaincus, les responsables français en Tunisie n’arrivent pas à choisir leur camp.

Le film de Karim Albou, algérienne par ses origines paternelles, ne se veut pas historique. C’est un film de femme intimiste. La guerre entre par l’extérieur, la radio, ce que l’on voit par la fenêtre, le bruit des bombardements… Tandis que la caméra reste proche des corps, de l’innocence, de la sensualité des deux jeunes filles. Mais la guerre s’infiltre dans leur quotidien et brise leur relation comme elle brise leurs rêves. Socialement frustré, le fiancé de Nour se laisse gagner par la propagande antisémite et accepte le travail que lui proposent les nazis. Myriam doit se marier avec un homme qu’elle n’aime pas. L’amitié entre les deux jeunes filles bascule. La force du film est de se mettre en équation avec le déterminisme de l’histoire sans y céder, comme une mise à nu qui conserve son mystère.

Jean-Marie Dinh

Le Chant des mariées, Cinemed, le 31 oct 2008

Voir aussi : rubrique cinéma Tunisie Les Secrets de Raja Ammari,