Reporters otages: rassemblements de soutien et interrogations sur le silence

Des manifestations de soutien aux deux journalistes français enlevés en Afghanistan il y a 70 jours se sont tenues dans plusieurs villes de France et les interrogations demeurent sur le silence imposé aux médias par les autorités. A Rennes, Toulouse, Montpellier et Paris, plusieurs centaines de personnes, majoritairement des journalistes, se sont rassemblées pour « faire savoir qu’on attend le retour d’Hervé et Stéphane ainsi que leurs trois accompagnateurs, Mohamed, Ghulam et Satar », soulignait un manifestant à Paris.

L’appel avait été lancé par Reporters sans frontières (RSF), le Syndicat national des journalistes (SNJ) et la Société des journalistes de la rédaction nationale de France 3 en accord avec les familles et les proches des deux journalistes enlevés. A Paris, plusieurs anciens journalistes otages étaient présents, dont Philippe Rochot, détenu trois mois au Liban en 1986, et Florence Aubenas, séquestrée cinq mois en Irak en 2005.

Sous un soleil d’hiver devant la tour Eiffel, plusieurs intervenants sont revenus sur l’attitude des pouvoirs publics qui, après avoir recommandé le silence autour de ces enlèvements, s’étaient montrés critiques à l’endroit du travail des deux journalistes. Dernier en date, le général Georgelin, alors chef d’Etat major, avait déclaré: « nous avons déjà dépensé plus de 10 millions d’euros pour cette affaire. Je donne le chiffre parce que j’appelle au sens de la responsabilité des uns et des autres ».

Les deux journalistes travaillant pour le magazine « Pièces à conviction » de France 3 ont été enlevés, avec trois accompagnateurs afghans, le 30 décembre sur une route entre Surobi et Tagab, dans la province de Kapisa (est). « Contrairement à ce qu’on a pu dire, ils faisaient leur métier. (Albert) Londres, (Ernest) Hemingway, et d’autres, étaient des héros. (…) Là, on a presque l’impression de délinquants », s’est insurgée Martine Gauffeny, de l’ONG Otages du monde qui manifestait à Rennes.

« Cela fait 70 jours aujourd’hui et on a pas envie de laisser passer les jours et les semaines sans rien faire », a dit Dominique Gerbaud, président de RSF. « Autant on est vigilant sur une médiatisation exagérée qui pourrait à un moment gêner les négociations, autant on a pas envie non plus de se murer dans un silence total qui pourrait aussi être préjudiciable », a-t-il confié à des journalistes parisiens. Pour Florence Aubenas, « les journalistes ont respecté cette consigne de silence jusqu’à présent, ce qui est étonnant, c’est que ceux qui demandent qu’elle soit respectée ne la tiennent pas eux-mêmes et sont les premiers a accabler nos deux confrères », a-t-elle dit à l’AFP. « Ce serait des paroles de compassion ou de solidarité qu’on entendrait, pourquoi pas, mais là c’est à chaque fois des propos accablants », a estimé l’ancien otage.

Avec ces manifestations, « Hervé, Stéphane et leurs accompagnateurs seront présents à l’antenne sur la Deux, sur la Trois, dans les régions et à RFO », a dit Serge Cimino, délégué du SNJ de France 3. Elise Lucet, présentatrice de « Pièces à conviction », a rappelé que « Hervé et Stéphane sont avant tout des membres de notre équipe, leur professionnalisme n’est pas à remettre en cause ».

A Toulouse, Thierry Valero, de France 3 Sud a rappelé que « le métier de journaliste ne se résume pas à recopier des communiqués de presse » et nécessite quelquefois la prise de risque, pour informer en toute indépendance.

Voir aussi : Rubrique Médias entretien avec Florence Aubenas,

RSF épingle la France, mauvaise élève en matière de liberté de la presse

Depuis la création du « classement mondial de la liberté de la presse » de RSF en 2002, la France n’a cessé de dégringoler (de la 11ème à la 43ème place en 2009) en raison de « l’ingérence des politiques, des perquisitions à répétition et de la faible protection des sources ».

Lors de la mise en place du classement de Reporters sans frontières, la France (11ème) figurait dans le prestigieux top 20 des pays respectant le mieux la liberté de la presse, devant l’Australie, la Belgique et la Suisse et juste derrière le Danemark, la Suède ou l’Allemagne.
A la 43ème place sur 175 cette année, la France est désormais bien loin du Danemark, de la Suède, de la Suisse, de la Belgique ou de l’Australie, restés dans le top 20. Elle se retrouve également derrière les Etats-Unis, mais aussi le Ghana, le Costa Rica, Trinidad et Tobago ou le Mali.

« Nous sommes forcément plus sévères avec la France, parce que c’est un Etat membre de l’Union européenne et qu’à ce titre elle doit être scrupuleuse en matière de respect de la presse », explique à l’AFP Jean-François Julliard, secrétaire général de RSF.

La dégringolade de la France en 2009 est notamment liée à l’interpellation controversée de l’ancien directeur de la publication de Libération, Vittorio de Filippis, à son domicile dans une affaire de diffamation. RSF rappelle également une plainte de France 3 contre le directeur du site d’information Rue89, Pierre Haski, suite à une diffusion de propos tenus hors antenne par le président Nicolas Sarkozy.

Globalement, la descente de la France dans le classement de RSF depuis 2002 est liée à la multiplication des perquisitions des locaux de médias, des gardes à vue ou des mises en examen des journalistes et du manque de garanties concernant la protection du secret des sources.

Le projet de loi sur la protection des sources n’est toujours pas adopté, malgré une « promesse de campagne de M. Sarkozy », rappelle M. Julliard. RSF s’inquiète en outre de « l’ingérence des autorités politiques, notamment du chef de l’Etat ». « Un chef d’Etat ne doit pas porter plainte lui-même contre un média, c’est un signal fort aux juges et aux procureurs qui croient ensuite avoir toute la liberté pour envoyer la police » chez un journaliste, estime M. Julliard. En référence à une plainte, finalement retirée, de Nicolas Sarkozy contre le site internet du Nouvel Observateur, qui avait publié un supposé SMS adressé à son ex-épouse, Cécilia Albeniz-Ciganer.