Fondateur avec Georges Frêche du Festival de Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, le compositeur René Koering évoque l’édition 2011 et jette un œil sur le chemin parcouru. Après avoir démissionné de la direction de l’Orchestre national et de l’Opéra de Montpellier en décembre 2010, il devra quitter la direction du Festival dès le 28 juillet en laissant un bel héritage. Entretien.
Ouvrir le festival avec La Magicienne de Halévy c’était plutôt audacieux ?
« Je n’étais pas sûr de mon coup mais cela a fonctionné. Dans le rôle de Mélusine, la jeune Crebassa a magnifié les énergies. Le public a bien senti la pureté de la musique chantée par des gens concernés par ce qu’ils faisaient. Le public n’est pas idiot. Il a compris que cette musique n’était pas donnée partout et qu’il se passait quelque chose de spécial. A la fin, tout le monde était debout.
Halévy, Dubois, Catel, l’édition 2011 met le répertoire français à l’honneur …
On ne le sait pas, mais quand Bonaparte arrive au pouvoir, il déclare une passion pour la musique. C’était un homme sensible qui était un salaud par ailleurs. A l’époque, il n’y avait pas vraiment de musique française. On ne chantait pas, on déposait la gorge sur le plateau. Bonaparte se paie même le luxe d’attribuer la Légion d’honneur à un castrat. Ce qui déclencha une grève dans le milieu tant cela paraissait inconcevable. Il s’en tira en faisant un chèque à chacun.
C’est vrai, cette édition fait la part belle à la musique française. En proposant des choses pas forcément faciles d’accès. Sémiramis de Catel, ce n’est pas simple. On entend quatre personnes qui s’engueulent et il n’y pas de chœur, mais c’est une œuvre importante qui renouvelle la tragédie lyrique. Une autre explication du retour de la musique française, c’est que l’on arrive progressivement à faire le tour des musiques oubliées, italienne et allemande. Du coup on commence à s’intéresser à Saint-Saëns, Chabrier, Chausson…
Après 26 ans de défrichage comment regardez-vous le public du festival?
Le public de Montpellier est devenu connaisseur. Je rencontre des jeunes qui me disent : j’étais pas né quand le festival a commencé. Ca fait drôle. Certains perçoivent aujourd’hui les choses de la musique qui s’apprennent avec l’expérience sonore. 26 ans ont été nécessaires pour qu’il devienne aussi cultivé.
Vos propos sous-tendent que c’est toujours le même public qui fréquente le festival ?
Non, ce n’est pas l’habitude qui donne le goût de la musique. Je me souviens d’un soir où j’assistais à la première de la 5e de Beethoven. Soudain, Loulou Nicollin qui était à côté de moi m’interroge : « Dis donc Brendel il ne serait pas le Maradona du piano ? » Qu’ils soient cultivés ou non, les gens sentent les choses. Il n’est pas nécessaire d’avoir un costume et une belle cravate pour ça, il suffit d’avoir deux oreilles.
Compte tenu du contexte de votre départ, il parait difficile de s’en tenir à la seule édition 2011. Alors, vous seriez trop vieux ou trop laid pour continuer…
Oui j’en suis venu à ce questionnement comme l’avait fait Brendel. Lors d’un concert le critique du Figaro, Gavoty, s’était fendu dans son article de cette fabuleuse réflexion : Quand on est aussi laid, on ne devrait pas donner de concert en public. Je ne discute pas la nomination de Jean-Pierre Le Pavec avec qui j’ai déjeuné récemment pour lui transmettre des éléments sur le fonctionnement du festival. Sa candidature a été retenue par des gens raisonnables. Moi j’ai 71 ans et je serai débarrassé des contraintes de mon contrat le 28 juillet. Mais je trouve que c’est un peu fort de café d’apprendre dans la presse que l’on n’a pas retenu ma candidature. Je trouve que Mme Bourquin a mal élevé son fils parce qu’après 26 ans de travail qui ont fait connaître Montpellier dans le monde entier, je pense qu’on aurait pu décrocher son téléphone pour me donner un coup de fil. Ont-ils tellement peur de moi ? Delacroix, Foubert, Constantin… après le départ de Frêche on a fait le vide, j’ai compris que l’on entrait dans les Atrides.
Vous n’avez pas rejoint l’association créée à la mémoire de Georges Frêche ?
J’ai téléphoné amicalement à Claudine Frêche pour le lui expliquer. Et elle l’a très bien compris. On s’essuie les pieds sur moi une fois mais pas deux. Je ne comprends pas à quoi va servir cette association.
Vous préférez dédier à Georges Frêche le Oresteïa de Xénakis…
J’ai dédié ce concert à Frêche pour son amour pour la Grèce et la musique. Au début, il assistait à tous les concerts. Il estimait que cela relevait de son devoir de maire. Il s’est ainsi forgé une grande culture musicale dont il usait pour impressionner autour de lui. Xénakis est un compositeur physique dans le sens rock’n’roll du terme. Je me souviens lui avoir commandé un jour, un jingle pour Radio France. Il m’a fait passer son travail. C’était un truc tellement indiffusable que je lui ai demandé de m’autoriser à le revendre à une société d’alarme pour les parkings. Xénakis est un primate majeur au même titre que Mike Jagger. Lorsque Beethoven a écrit son concerto pour violon, il a fallu quarante ans pour que son œuvre soit rejouée en public. Et aujourd’hui on l’entend dans tous les supermarchés. Il y a des choses qui prennent le temps rien à voir avec la soupe type Carla Bruni. La musique de Iannis Xénakis nous rappelle à notre société. Elle exprime la conscience de sa violence. »
Propos recueilli par Jean-Marie Dinh et Alain Breton
Voir aussi : Rubrique Festival, rubrique Musique Le bilan du surintendant, Festival de Radio France, René Koering, rubrique Politique culturelle, rubrique Politique locale, rubrique Rencontre, Aldo Ciccolini,
Fondateur avec Georges Frêche du Festival de Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon, le compositeur René Koering évoque l’édition 2011 et jette un œil sur le chemin parcouru. Après avoir démissionné de la direction de l’Orchestre national et de l’Opéra de Montpellier en décembre 2010, il devra quitter la direction du Festival dès le 28 juillet en laissant un bel héritage. Entretien.
Ouvrir le festival avec La Magicienne de Halévy c’était plutôt audacieux ?
« Je n’étais pas sûr de mon coup mais cela a fonctionné. Dans le rôle de Mélusine, la jeune Crebassa a magnifié les énergies. Le public a bien senti la pureté de la musique chantée par des gens concernés par ce qu’ils faisaient. Le public n’est pas idiot. Il a compris que cette musique n’était pas donnée partout et qu’il se passait quelque chose de spécial. A la fin, tout le monde était debout.
Halévy, Dubois, Catel, l’édition 2011 met le répertoire français à l’honneur …
On ne le sait pas, mais quand Bonaparte arrive au pouvoir, il déclare une passion pour la musique. C’était un homme sensible qui était un salaud par ailleurs. A l’époque, il n’y avait pas vraiment de musique française. On ne chantait pas, on déposait la gorge sur le plateau. Bonaparte se paie même le luxe d’attribuer la Légion d’honneur à un castrat. Ce qui déclencha une grève dans le milieu tant cela paraissait inconcevable. Il s’en tira en faisant un chèque à chacun.
C’est vrai, cette édition fait la part belle à la musique française. En proposant des choses pas forcément faciles d’accès. Sémiramis de Catel, ce n’est pas simple. On entend quatre personnes qui s’engueulent et il n’y pas de chœur, mais c’est une œuvre importante qui renouvelle la tragédie lyrique. Une autre explication du retour de la musique française, c’est que l’on arrive progressivement à faire le tour des musiques oubliées, italienne et allemande. Du coup on commence à s’intéresser à Saint-Saëns, Chabrier, Chausson…
Après 26 ans de défrichage comment regardez-vous le public du festival?
Le public de Montpellier est devenu connaisseur. Je rencontre des jeunes qui me disent : j’étais pas né quand le festival a commencé. Ca fait drôle. Certains perçoivent aujourd’hui les choses de la musique qui s’apprennent avec l’expérience sonore. 26 ans ont été nécessaires pour qu’il devienne aussi cultivé.
Vos propos sous-tendent que c’est toujours le même public qui fréquente le festival ?
Non, ce n’est pas l’habitude qui donne le goût de la musique. Je me souviens d’un soir où j’assistais à la première de la 5e de Beethoven. Soudain, Loulou Nicollin qui était à côté de moi m’interroge : « Dis donc Brendel il ne serait pas le Maradona du piano ? » Qu’ils soient cultivés ou non, les gens sentent les choses. Il n’est pas nécessaire d’avoir un costume et une belle cravate pour ça, il suffit d’avoir deux oreilles.
Compte tenu du contexte de votre départ, il parait difficile de s’en tenir à la seule édition 2011. Alors, vous seriez trop vieux ou trop laid pour continuer…
Oui j’en suis venu à ce questionnement comme l’avait fait Brendel. Lors d’un concert le critique du Figaro, Gavoty, s’était fendu dans son article de cette fabuleuse réflexion : Quand on est aussi laid, on ne devrait pas donner de concert en public. Je ne discute pas la nomination de Jean-Pierre Le Pavec avec qui j’ai déjeuné récemment pour lui transmettre des éléments sur le fonctionnement du festival. Sa candidature a été retenue par des gens raisonnables. Moi j’ai 71 ans et je serai débarrassé des contraintes de mon contrat le 28 juillet. Mais je trouve que c’est un peu fort de café d’apprendre dans la presse que l’on n’a pas retenu ma candidature. Je trouve que Mme Bourquin a mal élevé son fils parce qu’après 26 ans de travail qui ont fait connaître Montpellier dans le monde entier, je pense qu’on aurait pu décrocher son téléphone pour me donner un coup de fil. Ont-ils tellement peur de moi ? Delacroix, Foubert, Constantin… après le départ de Frêche on a fait le vide, j’ai compris que l’on entrait dans les Atrides.
Vous n’avez pas rejoint l’association créée à la mémoire de Georges Frêche ?
J’ai téléphoné amicalement à Claudine Frêche pour le lui expliquer. Et elle l’a très bien compris. On s’essuie les pieds sur moi une fois mais pas deux. Je ne comprends pas à quoi va servir cette association.
Vous préférez dédier à Georges Frêche le Oresteïa de Xénakis…
J’ai dédié ce concert à Frêche pour son amour pour la Grèce et la musique. Au début, il assistait à tous les concerts. Il estimait que cela relevait de son devoir de maire. Il s’est ainsi forgé une grande culture musicale dont il usait pour impressionner autour de lui. Xénakis est un compositeur physique dans le sens rock’n’roll du terme. Je me souviens lui avoir commandé un jour, un jingle pour Radio France. Il m’a fait passer son travail. C’était un truc tellement indiffusable que je lui ai demandé de m’autoriser à le revendre à une société d’alarme pour les parkings. Xénakis est un primate majeur au même titre que Mike Jagger. Lorsque Beethoven a écrit son concerto pour violon, il a fallu quarante ans pour que son œuvre soit rejouée en public. Et aujourd’hui on l’entend dans tous les supermarchés. Il y a des choses qui prennent le temps rien à voir avec la soupe type Carla Bruni. La musique de Iannis Xénakis nous rappelle à notre société. Elle exprime la conscience de sa violence. »
Propos recueilli par
Jean-Marie Dinh et Alain Breton