UE : Vive passe d’armes entre Sarkozy et Cameron

Sarkozy et Cameron le 1er septembre dernier à Paris. Photo Patrck Kovarik.

Le président français, Nicolas Sarkozy, s’en est pris, dimanche 23 octobre, au premier ministre britannique, David Cameron, lors du sommet européen sur la dette, lui déclarant qu’il en avait assez de l’entendre dire ce qu’ils avaient à faire, a rapporté la presse britannique.

« Nous en avons assez de vous entendre nous critiquer et nous dire ce que nous avons à faire », aurait dit le président français à M. Cameron, selon le Daily Telegraph et The Guardian, citant des sources diplomatiques. « Vous dites détester l’euro, vous n’avez pas voulu le rejoindre et maintenant vous voulez vous ingérer dans nos réunions », aurait ajouté M. Sarkozy.

De son côté, le Times de Londres a fait état d’une altercation sans en préciser les détails. La grogne est montée dimanche parmi les dix Etats de l’UE non membres de la zone euro, Grande-Bretagne en tête, qui se plaignent de la volonté croissante des Etats utilisant la monnaie commune de prendre des décisions sans les consulter.

Fronde des Eurosceptiques

« La crise de la zone euro affecte toutes nos économies, y compris celle de la Grande-Bretagne, a martelé M. Cameron. Il est dans l’intérêt de la Grande-Bretagne que les pays de la zone euro règlent leurs problèmes. Mais cela devient dangereux – et j’en ai parlé franchement avec eux – s’ils prennent des décisions vitales pour les autres pays du marché unique, comme des décisions sur les services financiers, qui concernent tout le marché unique. » En conséquence, les Britanniques ont exigé et obtenu qu’un autre sommet réunissant tous les pays de l’UE soit aussi convoqué mercredi à Bruxelles.

David Cameron doit être confronté lundi à une vaste fronde au sein des rangs conservateurs à l’occasion d’un débat parlementaire sur l’organisation d’un référendum à propos de l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union européenne. Le vote des députés n’aura aucune contrainte légale. L’issue du scrutin ne fait aucun doute puisque les libéraux-démocrates, partenaires de la coalition gouvernementale, et l’opposition travailliste voteront dans le sens réclamé par le premier ministre, hostile à un tel référendum. Cette initiative constitue toutefois un défi sans précédent à l’autorité de M. Cameron sur le Parti conservateur de la part de la frange eurosceptique des tories, qui souhaite profiter de la crise financière dans la zone euro pour renégocier la nature des liens de la Grande-Bretagne avec l’Union européenne.

Le Monde AFP Reuter

«L’Europe actuelle ressemble à celle que souhaitaient les Britanniques»

Que révèlent les propos peu amènes échangés ce week-end entre Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique, David Cameron? Professeure de civilisation britannique à la Sorbonne-Nouvelle et à IUF, Pauline Schnapper revient sur les ambiguïtés de l’engagement européen de Londres.

David Cameron a-t-il raison de se sentir tenu à l’écart du règlement de la crise des dettes européennes?

Autant que je sache, le Royaume-Uni pèse peu dans le règlement de cette crise. Pour des raisons objectives, d’une part : il n’est pas membre de la zone euro et ne souhaite pas l’être, il est donc normal qu’il ne soit pas au premier plan. Pour des raisons de politique intérieure, d’autre part : au sein de la coalition au pouvoir, les anti-européens les plus virulents sont assez puissants au Parlement, où ils vont pousser le gouvernement à organiser un référendum sur la sortir de l’UE. On mesure mal cette ambiance sur le continent.

Finalement, Cameron l’eurosceptique veut-il ou non être du projet européen?

Il est dans une situation totalement contradictoire : d’une part, il subit cette très forte pression pour rester le plus loin possible de ce qui se passe. D’autre part, il sait très bien qu’il ne peut pas tourner le dos à l’Europe, que celle-ci représente 40% du commerce britannique : il est donc dans l’intérêt de la Grande-Bretagne que la zone euro résolve ses problèmes le plus vite possible. De plus, ne pas être impliqué dans la recherche des solutions, c’est prendre le risque qu’elles se fassent sur votre dos, comme avec l’instauration d’une taxe financière qui ferait beaucoup de mal à la City de Londres.

La Grande-Bretagne a-t-elle jamais été considérée comme autre chose qu’un corps étranger par ses partenaires européens?

Oui, dans la deuxième moitié des années 1980, autour de la signature de l’Acte Unique [traité de 1986], auquel le gouvernement Thatcher était très favorable. On a pu, alors, espérer que la Grande-Bretagne entre de plain-pied dans l’Europe, impression qui s’est dissipée par la suite. Mais la réalité est plus complexe : en fait, l’Europe d’aujourd’hui ressemble beaucoup plus qu’il y a vingt ans à celle que souhaitaient les Britanniques. Elle fait la part plus belle à l’intergouvernemental : de plus en plus de décisions sont prises au Conseil européen, alors que la Commission est très affaiblie.

Malgré cette désaffection, la Grande-Bretagne reste-t-elle un acteur qui compte en Europe?

Pendant les années Blair, elle a regagné une influence beaucoup plus importante que dans les décennies 1980-1990. Depuis l’arrivée de David Cameron au pouvoir, l’an dernier, elle est plus en retrait. Dans le cadre de l’euro, elle ne pèse pas grand-chose, on l’a dit. En revanche, elle reste un acteur puissant dans les domaines du marché unique, de la défense et en raison de son poids financier.

La Grande-Bretagne pourrait-elle constituter un front avec des pays partageant la même vision de l’Europe, ou sa situation est-elle trop particulière?

Le pays est moins isolé aujourd’hui que dans les années 1970. Un certain nombre de pays d’Europe du nord ou de l’est – comme la République Tchèque, le Danemark, la Suède – partagent cette vision libérale et atlantiste. Des alliances peuvent donc se faire au coup par coup. Mais je ne crois pas à un noyau dur de la même force que celui de la zone euro.

Peut-on imaginer la Grande-Bretagne rejoindre le train européen, à terme?

En ce moment en tout cas, cela semble impensable. Entre 70 et 80% des Britanniques sont opposés à une entrée dans l’euro. Le gouvernement lui-même est eurosceptique. En fait, on en est au point où l’on distingue eurosceptiques modérés et radicaux. Seul le parti libéral, qui participe à la coalition au pouvoir, est pro-européen ; encore est-il assez critique sur le fonctionnement des institutions de Bruxelles.

Le ministre des Affaires étrangères, William Hague, a un jour déclaré que le débat européen était une «bombe à retardement» pour le parti conservateur…

Les Tories ont une longue tradition de division au sujet de l’Europe. Leur défaite cuisante de 1997 est en partie due à cela. Le débat actuel ranime donc de pénibles souvenirs pour les conservateurs.

La focalisation actuelle des évènements sur la zone euro et le couple franco-allemand peut-elle durablement marginaliser la Grande-Bretagne en Europe?

On peut avoir cette impression en ce moment. Mais les évènements s’accélèrent à une telle vitesse depuis quelques mois que je ne me risquerai à aucun pronostic. On ne sait même pas si l’euro existera encore dans un an.

Qu’est-ce que le «grand malentendu» anglo-européen que vous évoquez dans l’un de vos ouvrages?

C’est le constat que les Britanniques ont toujours eu du mal à comprendre et à accepter le projet européen. Tandis que les Européens ont du mal à comprendre la conception britannique de l’Europe, qui n’est pas la même que celle des Pères fondateurs.

recueilli par Dominique Albertini (Libération)

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