» La philosophie populaire est souvent très profonde « 

Qu’est ce qui vous a conduit à vous pencher sur le patrimoine de la sagesse mondiale ?

 » Quand j’ai commencé Le cercle des menteurs dans les années 70, c’était par goût pour ce type d’histoires et un moindre goût pour d’autres. Par exemple, je n’ai jamais aimé les fables qui ont une moralité, qui démontrent les choses, même quand c’est bien fait comme chez La Fontaine. En revanche les histoires qui, au lieu de se fermer s’ouvrent, et à la fin me laissent curieux, insatisfait, celles-là m’ont toujours intéressé. Un jour j’ai décidé de composer mon manuel de philosophie personnel uniquement composé de ces histoires. Le premier tome n’ayant suffi, j’ai continué à accumuler les histoires qui aiguisent l’esprit, d’où ce nouveau livre.

Quel rapport y faites-vous avec la philosophie ?

Je n’ai jamais compris le sens des mots manuel de philosophie. J’ai remarqué en revanche que pas mal de philosophes utilisent de temps en temps des histoires quand ils ne savent pas comment dire quelque chose. Ils racontent une histoire qui ne dit rien mais montre ce qui s’est passé et c’est à nous d’en tirer les conclusions. J’ai réécrit toutes les histoires pour trouver une certaine unité.

Les auteurs de ces histoires ne sont pas connus…

Je tenais beaucoup à ce que les récits soient anonymes. Tous sont nés dans les cabarets, dans les rues. La philosophie populaire est souvent très profonde. On dit qu’aujourd’hui les histoires drôles naissent quand les journalistes attendent pendant quatre ou cinq heures devant un ministère un ministre qui n’a rien à dire. Alors ils meublent pour passer le temps et là hop ! Les histoires émergent, la même chose se passait forcément au campement des caravanes le soir.

Souhaitiez-vous réaffirmer que l’histoire est publique ?

L’Histoire n’appartient à personne, elle n’a pas d’auteur. Ces histoires là sont presque toutes des récits de résistance. C’est souvent très irrévérencieux, assez obscène, cruel quelquefois, les puissants ne sont jamais à leur avantage. C’est pour cela qu’elles restent anonymes.
Faut-il voir une volonté de positionner un propos distancié dans la réalité tumultueuse d’aujourd’hui ?

Il y a l’histoire qui raconte qu’un  jour on a repéré une planète. Et que cette planète, que l’on ne connaissait pas, s’est mise à envoyer des signaux qui étaient comme un vocabulaire. Tous les savants du monde se sont mis à chercher le sens de ce langage. On a fait appel à tous les cryptographes, tous les linguistes, sans succès. Et puis un beau jour, la planète a explosé et a disparu. Et à ce moment là, sont arrivés des indiens du Sud de l’Inde avec des bouts de papier, qui ont dit, ça y est, on a découvert ce qu’elle voulait dire. A bon ! et que disait-elle ? Elle disait au secours… au secours… au secours… Nous en viendrons peut-être là un jour.
Quelle place occupe le temps dans votre livre ?

Le propre même des histoires qui se transmettent est d’être un défi au temps. C’est-à-dire que vous, vous passerez, ceux qui les ont racontées aussi, mais les histoires, elles, resteront. Elles révèlent des vérités, des secrets que rien d’autre ne peut mettre à jour. On peut facilement faire taire Rimbaud, Shakespeare et Racine, il suffit de les censurer. Mais faire taire la vox populi qui surgit de l’inconscience collective, c’est beaucoup plus difficile. « 
Contes philosophiques du monde entier, 398 p, éditions Plon 21 euros.

 » Les histoires révèlent des secrets que rien d’autre ne peut mettre à jour « 
photo Mehdi Benhayoun




Léonora Miano décroche le prix Goncourt des lycéens pour Contours du jour qui vient

coutour-du-jour-qui-vientAvec ce second roman, l’auteur camerounaise née à Douala continue l’œuvre qu’elle consacre à l’Afrique. Dans un style tranchant et irrésistible Léonora Miano nous entraîne à parcourir l’Afrique au côté de Musango, une jeune fille oubliée dont personne ne se soucie et dont personne ne portera le deuil. Chassée de chez elle par sa propre famille la jeune Musango est une enfant mal aimée. Elle s’échappe du royaume des ombres.

« Je me sens sur le point d’éclore, comme un poussin qui va briser sa coquille. Il n’y aura eu personne pour me couver. Je n’ai pas de chaussures, ils ne m’en ont jamais donné. » L’enfant part à la recherche de sa mère et traverse le Mboasu, un état imaginaire d’Afrique qui a sombré dans l’anarchie. On y découvre une Afrique à la dérive livrée aux prédateurs de toute nature. Après, L’intérieur de la nuit, sorti en 2005, Léonora Miano, poursuit sa singulière trajectoire d’écriture. Ses romans éclairent l’Afrique d’une lumière à la fois sensible et moderne. L’Afrique culturelle des rituels du XXI, auxquels se sont ajoutées des pratiques fantaisistes. L’installation durable dans la misère a profondément brouillé les pistes. Les croyances, toujours fortes, ont perdu leurs correspondances avec la sagesse d’autrefois. On ne croit à rien d’autre qu’au capitalisme : « Il ont créé la congrégation il y a trois ans et se sont lancés ensuite dans la traite des femmes. La foi qu’ils professent au sein de leur temple est un syncrétisme anarchique, comprenant de prétendus usages africains alliés à une interprétation personnelle de passages choisis du livre. Il faut frapper les esprits, mettre les âmes à genoux, laver les cerveaux, tout cela dans le seul et unique but de soutirer aux fidèles une partie de leur revenus. »

On suit ainsi avec fascination, la quête de Musango qui traverse les terres d’un continent livré à lui-même. Elle y rencontre des personnages fantomatiques, prisonniers du réel. Surtout des femmes, « c’est tellement facile d’être un homme en Afrique ». Dans le livre, il n’est question d’ailleurs que du pouvoir propre. Celui qu’il faut pour s’en sortir. L’auteur nous ouvre le portail sur des réalités contemporaines sans s’y attarder. Et cela rend la souffrance de la jeune fille, qui porte un regard aveugle au monde, encore plus papable. Pour autant, il ne s’agit pas de s’apitoyer : « Il ne faut pas pleurer, geindre inlassablement et perdre au bout du compte la cause même du chagrin. Il faut se souvenir et puis il faut marcher. » En quête de sens, Contours du jour qui vient est aussi une lutte contre l’oubli. Il est très heureux que le récit de cette traversée ait gagné les suffrages des jeunes lecteurs.

Jean-Marie Dinh

Contours du jour qui vient de Léonora Miano, 275p, 18€, chez Plon

Voir : Leonora Miano Ames lumineuses