Parachute sénatorial pour Dassault

affaire dassault 14Source Le  15 janvier 2014

Voir aussi : Rubrique Affaires, 5 questions pour comprendre, rubrique Médias, Avec qui pilote Dassault ?,

Affaire Serge Dassault : 5 questions pour comprendre

Une tentative d’assassinat, des millions d’euros transitant par des circuits opaques, des élections municipales annulées, la cinquième fortune de France mise en cause, et voilà la ville de Corbeil-Essonnes qui tremble, à trois mois de nouvelles échéances électorales.

  • Qui sont les principaux protagonistes ?

Serge Dassault. Il a donné son nom à l’affaire. Industriel multimilliardaire, propriétaire du Figaro, Serge Dassault se retrouve aujourd’hui empêtré dans une histoire à multiples fronts judiciaires. Maire de Corbeil-Essonnes entre 1995 et 2009, il est soupçonné d’avoir mis en place un système clientéliste visant à garantir la paix sociale dans les quartiers sensibles de la ville et à acheter les votes de l’électorat populaire afin d’assurer sa réélection à la tête de la ville. En 2009, le conseil d’Etat a annulé son élection pour dons d’argent.

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Jean-Pierre Bechter. Il est le bras droit de Serge Dassault. Administrateur de la Socpresse, la société qui possède le Figaro, il a pris la suite de l’industriel à la mairie de Corbeil-Essonnes après l’invalidation de son élection en 2009. Son élection est annulée cette même année après que la mention « secrétaire général de la fondation Serge Dassault » sur le bulletin de vote ait été jugée non conforme. Il est finalement élu maire en 2010. Aujourd’hui, la justice s’interroge afin de déterminer si des achats de votes ont eu lieu pendant sa campagne.

Younès Bounouara. Aujourd’hui incarcéré pour tentative d’assassinat, il a été l’homme de main de Serge Dassault dans les quartiers sensibles de Corbeil-Essonnes pendant de nombreuses années. Serge Dassault a reconnu sa proximité avec lui, ainsi que le rôle qu’il avait joué afin de lui permettre d’entrer en contact avec des familles des Tarterêts, l’un des quartiers sensibles de la ville. En 2011, Serge Dassault lui a donné 2 millions d’euros. D’après l’industriel, il s’agissait de l’aider à investir en Algérie. « Comme il m’avait pas mal aidé, et que je ne lui avais jamais donné d’argent, je lui ai dit OK », a affirmé le sénateur au Journal du dimanche.

Certains considèrent qu’il était destiné à acheter des votes et donc à rétribuer les intermédiaires du système. Younès Bounouara est soupçonné d’avoir gardé cet argent pour lui, suscitant jalousie et convoitise. C’est dans ce contexte qu’en février il a tiré sur un homme, Fatah Hou, le blessant grièvement. Lui affirme qu’il était victime de menaces de la part d’un « gang qui pense que Dassault [lui] a donné beaucoup d’argent pour [qu’il] redistribue ».

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Fatah Hou. Boxeur de 32 ans, il connaît le système Dassault de l’intérieur. Il fait partie d’une équipe qui a filmé clandestinement Serge Dassault. Pour sa part, M. Hou affirme ne pas avoir été à l’origine, ni avoir été le détenteur des vidéos dont des extraits ont été relayés par des médias et où on entend Serge Dassault évoquer le versement d’importantes sommes d’argent. Il se dit persuadé cependant qu’il a été pris pour cible car il voulait « balancer le système ». En novembre, les avocats de Serge Dassault ont déposé plainte à Evry pour « appels téléphoniques malveillants réitérés, tentative d’extorsion de fonds, chantage, menaces, recel et complicité de ces délits » visant Fatah Hou et René Andrieu.

René Andrieu. Ancien proche de Serge Dassault, il est l’un des premiers à l’avoir introduit dans les quartiers populaires de la ville. Cet homme de 62 ans, ancien braqueur, a longtemps travaillé pour l’édile avec les jeunes des Tarterêts. Accusé aujourd’hui de faire partie d’une équipe de maîtres-chanteurs, il était avec Fatah Hou quand celui-ci a été visé par les tirs de Younès Bounouara. Il serait à l’origine de la vidéo clandestine révélée par Mediapart, ce qu’il s’est toujours refusé à confirmer.

  • Quelles sont les enquêtes en cours ?

De nombreuses enquêtes judiciaires sont en cours à Evry et à Paris. Chaque partie assure être la victime et a déposé des plaintes en ce sens, à l’image de M. Dassault qui a de nouveau saisi la justice de « menaces » et d’un chantage dont il se dit la victime.

A Evry, les juges enquêtent sur deux tentatives d’assassinat dans le cadre de procédures distinctes. La première concerne celle qui a visé Fatah Hou. C’est dans cette procédure que Serge Dassault et Jean-Pierre Bechter ont été entendus. La seconde concerne les tirs dont a été la cible Rachid Toumi, un jeune homme de Corbeil-Essonnes. Il dénoncera ensuite dans le Parisien le système d’achat de votes auquel il a participé liant à ce contexte la tentative d’assassinat dont il a été victime.

Après une enquête préliminaire, une information judiciaire est ouverte à Paris en mars 2013 pour corruption, abus de biens sociaux, blanchiment et achat de votes présumés aux élections municipales, entre 2008 et 2010. Dans sa décision annulant l’élection municipale de 2008, le Conseil d’Etat avait tenu pour « établis » des dons d’argent aux électeurs, sans se prononcer sur leur ampleur. Les juges financiers en charge de ce dossier ont demandé au bureau du Sénat, qui doit se prononcer mercredi 8 janvier, de lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault.

Vendredi 5 janvier, comme l’a révélé France Inter, Fatah Hou a porté plainte auprès du parquet d’Evry, notamment pour association de malfaiteurs, une procédure qui vise Serge Dassault, son successeur à la mairie Jean-Pierre Bechter, un employé municipal et un diplomate marocain. Il les soupçonne d’avoir ourdi un stratagème pour le faire arrêter au Maroc et l’éloigner ainsi de Corbeil-Essonnes. Le parquet peut classer cette plainte, joindre les faits reprochés à une des enquêtes en cours à Evry, ou diligenter une enquête préliminaire avant d’éventuellement saisir des juges.

Après des plaintes d’enfants de Serge Dassault victimes d’appels malveillants, une information judiciaire est ouverte à Paris le 24 janvier 2013. Trois frères, originaires de Corbeil-Essonnes, ont été mis en examen à la fois pour appels téléphoniques malveillants, tentatives d’extorsion de fonds, atteintes à l’intimité de la vie privée ou encore violation du secret des correspondances et des communications téléphoniques. Le sénateur UMP Olivier Dassault fait partie des plaignants.

Une enquête préliminaire est en cours au parquet de Paris pour extorsion en bande organisée, après des prêts accordés par M. Dassault à des habitants de Corbeil-Essonnes. Cette enquête a été confiée à l’Office central de lutte contre le crime organisé (Oclo).

Deux plaintes ont été déposées le 4 novembre par Serge Dassault pour « appels téléphoniques malveillants réitérés, tentative d’extorsion de fonds, chantage, menaces, recel et complicité de ces délits », l’une à Evry visant René Andrieu et Fatah Hou, l’autre à Paris visant Mamadou K., mis en examen dans le dossier d’appels malveillants.

  • Quel rôle jouent les enregistrements ?

Depuis plusieurs années déjà, alors que les rumeurs d’achats de votes n’ont fait qu’enfler, de nombreuses vidéos tournées clandestinement et mettant en cause Serge Dassault circulent dans la ville. Certaines d’entre elles ont été publiées dans les médias. Ce fut d’abord le cas d’une vidéo diffusée par Canal Plus dans laquelle plusieurs jeunes viennent demander de l’argent à Serge Dassault pour financer des projets d’entreprises.

Puis en septembre, Mediapart a révélé des extraits d’une autre vidéo où l’avionneur échange avec René Andrieu, et reconnaît avoir donné de l’argent de manière illégale à Younès Bounouara. L’intégralité de la vidéo a ensuité été mise en ligne par le JDD. Pour l’entourage de Dassault, ces vidéos n’ont qu’un seul but, le faire chanter afin qu’il continue à distribuer de l’argent.

Lire :  L’enquête judiciaire s’accélère autour du système Dassault à Corbeil-Essonnes (abonnés)

  • Que risque Serge Dassault ?

Mercredi 8 janvier, à la demande des magistrats qui instruisent le volet financier de l’affaire, le bureau du sénat doit examiner la demande de levée d’immunité du sénateur UMP de l’Essonne. C’est la condition sine qua non pour que les juges puissent l’entendre dans le cadre d’une garde-à-vue. Les magistrats d’Evry avait fait une demande similaire mais ils s’étaient heurté, en juillet 2013, au refus du Sénat qui lui-même s’était rangé à l’avis défavorable du parquet général.

Lire :  Le Sénat refuse de lever l’immunité parlementaire de Serge Dassault

A l’issue d’une éventuelle garde-à-vue, Serge Dassault pourrait être mis en examen pour « corruption », « abus de biens sociaux », « blanchiment » ou encore « achat de votes », des infractions passibles de peines de prison ferme.

Lire :  Serge Dassault convoqué dans le cadre d’une enquête pour tentative d’assassinat

Lire aussi : Des juges demandent la levée d’immunité parlementaire de Serge Dassault

  • Quelle est la défense de Serge Dassault ?

Depuis la révélation par Mediapart d’une vidéo dans laquelle Serge Dassault reconnaît avoir donné de l’argent à Younès Bounouara via le Liban, ses avocats ont ouvert plusieurs front judiciaires pour expliquer que leur client était avant tout une victime. Pour Me Jean Veil, l’un de ses conseils, cela ne fait aucun doute. Il en veut pour preuve les menaces dont il a fait l’objet encore récemment. Il a ainsi déposé plainte le 8 septembre dernier après avoir reçu des SMS d’insultes et de menaces de mort.

Concernant les dons d’argent M. Dassault a assuré au JDD qu’il n’avait pas « le billet facile. Ce que j’ai fait, après 1995, après être devenu maire, c’est d’aider les gens à travailler. Il m’est arrivé de donner de l’argent, mais jamais sans raison. J’ai acheté un camion à l’un, une pizzeria à un autre, des choses comme cela. Tout ce que j’ai financé, je l’ai financé avec mon argent personnel et toujours officiellement » démentant par ailleurs tout système d’achat de votes.

Simon Piel

Source Le Monde 06/01/2014

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Avec qui pilote Dassault ?

presse

13/01/2005

Le nouveau Papivore s’appuie sur quatre fidèles lieutenants pour contrôler la Socpresse. Chacun a son rôle pour influencer, gérer les finances, communiquer ou déjouer les pièges.

Pas une ligne ni même un mot dans le Who’s who.Rien dans les bases biographiques diverses. Pas une photographie dans les banques d’images. Très peu de traces sur Internet. Cités de temps à autre, généralement entre deux virgules, les membres de la garde rapprochée de Serge Dassault cultivent une discrétion qui confine à l’organisation secrète. À croire que pour ses affaires de presse, le patron de la Socpresse s’appuie sur des individus aussi dévoués à leur maître que les soldats de la Vieille Garde l’étaient à l’empereur ! Jean-Pierre Bechter, le politique, Philippe Hustache, le financier, et Rudi Roussillon, le communicant, se rencontrent formellement autour de Dassault, chaque mardi matin, pour parler des affaires de presse. En réalité, les contacts ne cessent jamais. Pas une journée sans que Serge Dassault ne mobilise ses lieutenants, le plus souvent via des textos, tôt le matin et jusqu’à 1 h 30 de la nuit, vacances et week-ends compris.

Jean-Pierre Bechter, le politique.

Il est administrateur de la Socpresse et duFigaro,patron de la Semif (Société d’édition de médias d’information franciliens, la société éditrice duRépublicain de l’Essonne,deLa Gazette du Val-d’Oiseet deToutes lesNouvelles de Versailleset de Rambouillet). Quasiment inconnu dans la presse, jusqu’à la prise de contrôle de la Socpresse par Serge Dassault en 2004, d’une discrétion absolue par nécessité autant que par inclination, Jean-Pierre Bechter est le principal artisan de ce coup de maître. C’est lui qui a mené de bout en bout les délicates négociations avec l’ensemble des héritiers de Robert Hersant. C’est encore lui qui faisait l’interface avec Yves de Chaisemartin, l’ex-PDG du groupe, récent candidat malheureux à la reprise des Nouvelles de Versailles et deLa Gazette du Val-d’Oise.C’est toujours Jean-Pierre Bechter qui a géré l’aspect politique et fiscal du dossier. Sa simplicité cordiale, ses relations au sommet de l’État, son sens politique et son carnet d’adresses, réputé l’un des meilleurs de Paris, ont fait merveille.

Belle prestance, l’oeil bienveillant sous un large front dégarni, ce sexagénaire fils d’un gendarme corrézien est tombé très jeune dans la politique. En 1986, il entre à l’Assemblée nationale comme député RPR de Corrèze, suppléant de… l’actuel président de la République. Installé dans le douzième arrondissement de Paris dans les années quatre-vingt, il en est depuis conseiller municipal et fut adjoint au maire. Il est actuellement vice-président du groupe UMP de la capitale. Imaginatif et plein d’idées, gros travailleur coutumier des journées de 15 heures, Bechter a la bonhomie communicative, aussi bien à droite qu’à gauche de l’échiquier.« L’homme est assez agréable de rapport »,confirme Christophe Nadjovski, conseiller vert du 12e. On ne lui connaît qu’un seul ennemi déclaré : Jean de Gaulle, petit-neveu de Charles et son compétiteur à droite lors des récentes municipales, qu’il rend responsable de l’échec de cette dernière, à mille voix près, dans son arrondissement fétiche.

Philippe Hustache, le financier.

Patron des finances du groupe Dassault, il est aussi administrateur de la Socpresse, duFigaro,deL’Express,de Valmonde (Valeurs actuelles, Le Spectacle du monde,etc.) et duJournal des finances.Ancien directeur financier d’Elf de 1985 à 1994, en pleine période de l’affaire Elf, Philippe Hustache n’a été inquiété à aucun moment par la justice. Requis par le parquet, il a expliqué au tribunal le jeu des commissions de la compagnie pétrolière.

Installé depuis 1994 au rond-point des Champs-Élysées auprès de Serge Dassault, cet inspecteur des finances sexagénaire travaille entouré d’une dizaine de collaborateurs seulement. Pas de consultants, pas de grands cabinets, Hustache s’appuie sur des circuits courts. On le présente comme un génie de la gestion, des finances, du contrôle de gestion, mais aussi des structures de société. C’est lui qui s’est attelé à la tâche titanesque de simplification des cascades de sociétés de la Socpresse, issues des rachats successifs effectués par Robert Hersant et pieusement conservées depuis par ses successeurs.« Une immense rigueur et une droiture extrême »,dit de lui un cadre de Dassault Aviation.

Bernard Monassier, le notaire.

Bernard Monassier, administrateur de la Socpresse, est le conseil et le notaire de Serge Dassault depuis 1986. Ce sexagénaire à grosses lunettes est le propriétaire de la première étude française. Passé du droit notarial au droit commercial, il a su mettre un incontestable sens des affaires au profit de ses clients, sans oublier le sien. Son étude parisienne compte 70 collaborateurs, auxquels s’ajoutent quelque 600 employés de 24 études associées en France et 17 bureaux de représentation à l’étranger.

Il est l’oeil juridique et fiscal de Serge Dassault. C’est lui qui avait tiré la sonnette d’alarme sur le projet d’échanges de participations avec le groupe Bouygues, décelant un piège dans le projet de ce dernier de monter à la minorité de blocage. Avec le financier Hustache, le notaire Monassier s’attache à démêler l’écheveau de… 197 sociétés existant sous le holding Socpresse.

Rudi Roussillon, le communicant.

images-1Il est administrateur de la Socpresse, du Figaro, de L’Expresset président de la Société de gestion du Figaro.Rudi Roussillon figure aussi dans le personnel de la Semif et occupe la vice-présidence du groupe Valmonde et celle de la Société du Journal des finances.

Présent depuis neuf ans aux côtés de Serge Dassault, Rudi-Pierre Johnston-Roussillon pour l’état civil, gère la communication et les relations extérieures du patron. Cordial et fin, Rudi Roussillon joue avec un art consommé du discours officiel et de l’information confidentielle… contrôlée. Il accompagne Dassault dans certains rendez-vous politiques, auprès des instances de presse ou des étudiants, il gère ses interviews dans les médias, aplanit les émois suscités parfois par les appréciations à l’emporte-pièce de l’avionneur.

L’homme parle volontiers de tous les sujets, sauf de son passé de communicant, dans les années 1980, dans le giron du Parti républicain et de ce que l’on appelait alors la « bande à Léo » (François Léotard, Alain Madelin et Gérard Longuet). Lui aussi tient à rester dans l’ombre.« Vous ne trouverez aucune photo de moi,prévient-il.Je les ai toutes fait enlever. »Recherches faites, c’est vrai, pour lui comme pour ses compagnons. Pour le public, les lieutenants de Dassault n’ont pas de visage.

Information traitée dans Stratégies Magazine n°1352