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« Nous, les prolétaires, voulons les même droits que les riches, nous voulons une vie de respect et d’égalité. Mes chansons sont des mots que je lance en l’air comme des gouttes de sang », dit cet homme au corps brisé de « 40-42 ans ». Battu avec une barre de pompe à eau jusqu’à ce que sa chair devienne de « la pulpe » par des inconnus venus venger les puissants propriétaires terriens condamnés pour le viol de sa fille de 17 ans, il a dû se faire amputer des deux bras et d’une jambe, raconte-t-il, posé comme une marionnette sur sa paillasse. Les sept auteurs du viol ont été condamnés à des peines de prison mais ils ont été libérés sous caution voici quatre mois. En dédommagement de son agression, il a reçu deux buffles et un million de roupies (16.200 EUR). Le gouvernement lui a promis une parcelle de terre, qu’il attend toujours. Sur le toit de sa maison partiellement recouvert de bouses de vache qui sèchent au soleil, un drapeau rouge flotte, symbole du « sang versé » par les pauvres depuis la nuit des temps. « Je suis rentré chez moi tel un arbre mort. Mais ça m’est égal de ne plus avoir mes membres, ils n’ont pas coupé ma langue », assure ce militant du parti communiste dans le district de Mansa, à huit heures de route de New Delhi.
Son histoire a fait la une des journaux voici cinq ans mais c’est aujourd’hui sur sa voix qu’il veut miser pour toucher les ouvriers exploités. Sa route a croisé par hasard celle de plusieurs jeunes musiciens, dont Taru Dalmia, chanteur de hip-hop et ska dont les paroles en anglais crachent son dégoût de la façon dont l’Inde se développe, au mépris des classes sociales les plus défavorisées.
« La plupart de la musique en Inde est liée au divertissement. Je voulais trouver des chanteurs révolutionnaires locaux qui puissent entrer en résonance avec moi parce qu’il doit y avoir des chansons politiques en Inde », martèle-t-il. « On ne parle que de l’émergence d’une classe moyenne mais elle ne représente que 5% à 10% de la population. Elle permet simplement de créer un marché pour les multinationales étrangères, ce n’est pas la réalité du pays », argumente Taru, de son nom de scène Delhi Sultanate.
Il a découvert l’histoire de Bant Singh dans les journaux et vient de finir en collaboration avec deux autres artistes une maquette baptisée « Word, Sound, Power » (le mot, le son, le pouvoir), disponible sur internet (http://www.wordsoundpower.org). Le CD composé de plusieurs titres en pendjabi sur de la musique électro, devrait sortir d’ici quelques semaines.
Pour Taru, 30 ans, rentré en Inde voici dix ans après une enfance en Allemagne et en Californie, Bant Singh est « une sorte de héros, il est un exemple de la façon dont on peut lutter contre l’adversité. Son corps est à lui seul une révolution ». Il voudrait maintenant rencontrer d’autres chanteurs révolutionnaires, notamment dans les Etats en proie à des violences comme le Cachemire ou le Chhattisgarh — l’un des fiefs de la rébellion maoïste — et créer un label spécifique.
Mais pour Bant Singh, « ce n’est pas seulement avec les chansons qu’on lutte, il faut prendre les armes »: « Des rébellions armées se sont déjà produites dans l’Histoire, pas seulement au Pendjab mais aussi dans le reste de l’Inde et cela peut encore se produire », met-t-il en garde.
Béatrice Le Bohec AFP
Voir aussi : Rubrique Inde, Les coulisses peu reluisantes de Bollywood, rubrique Musique,