Faire des économies, ça peut coûter cher…

Patrick Drahi,  - Photo Sipa

Les entreprises s’attaquent volontiers à la masse salariale, à la R&D et aux achats. Des économies parfois factices qui finissent par coûter au lieu d’optimiser.

Dès l’annonce de l’acquisition de SFR au printemps, Patrick Drahi a envisagé des économies draconiennes au sein de la DSI. En rationalisant les systèmes d’information et en simplifiant les offres commerciales de l’opérateur, il tablait sur un gain de 100 millions d’euros de gestion informatique. Des mesures qui tiennent du quitte ou double, avec le risque de perdre en souplesse technique et en force de frappe commerciale. « Les plus belles économies sont celles qu’on n’engage pas, au moins nulle qualité n’est dégradée », lance sous forme de boutade Romain Daumont, directeur général France de Lowendalmasaï. « Attention aux coûts cachés des décisions hâtives ! »

La fausse optimisation de la masse salariale

Premier poste de dépenses de l’entreprise, les charges de personnel. C’est la première ligne examinée par les « cost-killers » qui n’évaluent pas toujours les conséquences des départs en termes de chiffre d’affaires. « Geler les recrutements est une vision court-termiste. L’entreprise doit avoir les talents nécessaires le jour où l’activité redémarre », affirme Jacques Adoue, DRH de Capgemini. Arrêter les embauches signifie aussi créer un creux dans la pyramide des âges. « Chez Air France, qui a totalement fermé ses vannes pour cause de sureffectif – et pas seulement chez les pilotes -, il n’y a plus de sang neuf. L’entreprise vieillit et, dans quelques années, elle calera forcément sur certains sujets, comme la relation client dont les techniques bougent vite », cite une source interne.

La solution de repli, c’est le recours à l’intérim, en nette croissance. « Utilisées à l’année pour faire face à l’activité courante, les prestations reviennent plus chères qu’un CDI », insiste François Perrin, associé expert d’Euklead.

Le lean management dénature

Le management « maigre » est appliqué à tous, y compris aux ingénieurs. Ceux d’Atos se sont vu demander, il y a quelques mois, de renseigner leurs missions minute par minute afin de définir un temps moyen pour chaque tâche… Ce détournement des audits de productivité fait oublier que ces évaluations permettent, lorsqu’elles sont bien faites, de générer de vrais gains. « Un audit récent dans les équipes de back-office d’une grande banque française a permis de distinguer les tâches à forte et à faible valeur ajoutée de manière à rééquilibrer les contenus de fonction et gagner en productivité tout en préservant l’emploi », plaide Romain Daumont.

La hiérarchie n’est pas épargnée. Exemple avec Auchan, qui va rayer de ses organigrammes 800 postes d’encadrants afin de raccourcir les lignes. « Supprimer des courroies de transmission qui ont la mémoire de l’entreprise et qui amortissent les à-coups revient à accentuer la pression à l’heure où les entreprises se transforment », regrette ce consultant qui rappelle que la technique du lean est d’abord un système collectif d’amélioration continue.

Le mythe des frais

Obnubilées par les gaspillages, les entreprises serrent au maximum les fournitures (papeterie, mobilier, bureautique). « Rechercher l’économie maximale avec un faible rendement comptable s’avère coûteux socialement, cela mine le moral des troupes », estime François Perrin, associé expert d’Euklead, qui évalue à l’identique la restriction exagérée des frais de déplacement et des flottes de véhicules : « Ce sont certes des coûts mais qui constituent un élément de socialisation pour les collaborateurs. » Pis, ralentir le rythme des déplacements expose l’entreprise à perdre des marchés et des clients. C’est un peu comme s’attaquer aux dépenses de R&D : « Sans innovation, une entreprise meurt à brève échéance », insiste une chasseuse de coût. « L’erreur courante des services achats est de ne pas raisonner en coût total, y compris chez les grands comptes », constate François Perrin.

La vente des murs

Second poste de dépenses, l’immobilier est également un sujet constamment ouvert au débat dans les entreprises qui révisent chaque année les options : louer, vendre, voire déménager en banlieue, à l’image de Samsung, SNCF, SFR qui ont opté pour la Plaine Saint-Denis, au grand dam des salariés. « Une pratique courante consiste à vendre les murs à une foncière pour les relouer ensuite, ce qui génère du cash pour investir ou gagner en immobilisation sur un bilan. C’est aussi une manière d’optimiser la présentation de son bilan », détaille François Perrin. Mais, à long terme, cette option prive l’entreprise d’une partie de sa valeur car les murs constituent un actif important alors que d’autres gisements d’économies demeurent insoupçonnés comme la révision des charges : « En matière de baux commerciaux, celles-ci sont rarement d’équerre », glisse Romain Daumont.

Source : Les Echos 24/11/2014

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