L’inculpation pour meurtre qui menace l’équilibre politique en Thaïlande

Manifestation en 2010 Reuter

Manifestation en 2010 Reuter

Le procureur général de Thaïlande a annoncé qu’il comptait poursuivre l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva pour meurtre.

La situation politique thaïlandaise devient de plus en plus tendue. Hier soir, le procureur général de Thaïlande a annoncé qu’il comptait poursuivre l’ancien Premier ministre Abhisit Vejjajiva pour meurtre en liaison avec son rôle dans la répression des manifestations de 2010. A l’époque, le chef du gouvernement, qui est repassé dans l’opposition depuis la défaite en 2011 de son parti démocrate, avait autorisé les forces de sécurité à intervenir pour déloger des manifestants fidèles à Thaksin Shinawatra, l’ancien homme fort du pays vivant en exil depuis un coup d’état militaire de 2006. Les affrontements entre les différents camps avaient alors fait 90 morts et plus de 1.900 blessés. « Les preuves montrent que leurs ordres ont poussé d’autres personnes à commettre des meurtres et des tentatives de meurtres », a expliqué, hier, Nanthasak Poonsuk, le porte-parole du bureau du procureur général.

Les proches d’Abhisit Vejjajiva ont immédiatement condamné cette décision et accusé le procureur de répondre à des ordres politiques du gouvernement qui est actuellement emmené par Yingluck Shinawatra, la sœur de Thaksin. Selon eux, l’accusation pour meurtre devrait effrayer les dirigeants de l’opposition et les inciter à soutenir le grand projet de loi d’amnistie actuellement proposé par l’exécutif. Ce texte, qui vise officiellement à refermer les années d’affrontements sanglants entre une élite urbaine liée au Parti démocrate et le mouvement plus populiste de la famille Shinawatra, très populaire dans les campagnes pauvres du royaume, effacerait l’ensemble des charges retenues contre tous les responsables politiques de l’époque et pourrait ainsi permettre le retour dans le pays de Thaksin, qui avait notamment été reconnu coupable, après sa chute, de plusieurs faits de corruption.

Pour l’instant, le Parti démocrate assure qu’il ne soutiendra pas le texte d’amnistie et que ses responsables feront face, devant la justice, aux accusations de meurtre.

Gabriel Gresillon et Yann Rousseau

Source Les Echos 29/10/2013

Voir aussi : rubrique Asie, Thaïlande, Une balle dans la tête du général, Les chemises rouges acceptent la médiation

Une Thaïlande divisée vote pour des législatives sous tension

Dans une ambiance électrique, la Thaïlande votait dimanche pour des élections législatives cruciales pour que le royaume sorte enfin de la violence et réduise le profond fossé qui sépare les élites de la capitale des masses urbaines et rurales défavorisées.

Les bureaux de vote, protégés par plus de 170.000 policiers, ont ouvert à 08H00 (01H00 GMT) et fermeront à 15H00, lorsque seront dévoilés les premiers sondages sortis des urnes, avant des premiers résultats attendus vers 21H00 (14H00 GMT).

Le scrutin met aux prises le Parti démocrate du Premier ministre Abhisit Vejjajiva et le parti d’opposition Puea Thai, de facto dirigé depuis son exil par l’ancien chef de gouvernement Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d’Etat militaire en 2006.

Un duel sous tension qui marque la ligne de fracture du pays entre les élites de la capitale – hauts-fonctionnaires, magistrats, militaires, palais royal – qui ont porté Abhisit au pouvoir fin 2008, et les masses rurales et urbaines défavorisées, dont beaucoup considèrent Thaksin comme un héros.

Plus de 47 millions d’électeurs sont appelés à choisir leurs 500 députés pour quatre ans. Et les sondages donnaient un avantage certain au Puea Thai, dont la campagne est menée par la soeur cadette du milliardaire, Yingluck Shinawatra.

La photogénique femme d’affaires de 44 ans, que son frère a lui-même décrite comme son « clone », a voté dans une école de Bangkok vers 08H15, sous l’oeil des caméras. Abhisit en a fait de même deux heures plus tard, également dans la capitale, appelant les électeurs à venir voter en masse.

Ce scrutin, comme les trois précédents, s’apparente à référendum pour ou contre Thaksin, personnage incontournable de la politique du royaume autour duquel s’est encore une fois focalisé la campagne.

Alors que le Puea Thai a évoqué une amnistie pour tous les hommes politiques condamnés, dont lui, les Démocrates ont crié au scandale. « Il est temps de se débarrasser du poison Thaksin », a notamment lancé Abhisit.

Mais le Puea Thai prendrait des risques importants en faisant revenir un homme haï des élites et de l’armée, qui voient en lui une menace pour la monarchie.

« S’il pose un pied en Thaïlande l’armée pourrait l’accuser (…) d’essayer de créer de la désunion parmi les Thaïlandais », a estimé Pavin Chachavalpongpun, de l’Institut d’études sur l’Asie du Sud-Est à Singapour, évoquant alors une « riposte » de la part des militaires.

Dans un pays qui a connu 18 coups d’Etat ou tentatives depuis 1932, l’armée est en effet soupçonnée de vouloir s’immiscer dans le processus électoral. Et malgré ses multiples dénégations, son puissant chef Prayut Chan-O-Cha, qui a appelé à voter pour les « bonnes personnes », n’a pas réussi à apaiser les rumeurs de putsch.

Thaksin et ses alliés ont remporté toutes les élections depuis 2001. Mais ils ont été chassés du pouvoir par les militaires en 2006, puis à deux reprises par la justice en 2008, permettant l’arrivée au pouvoir d’Abhisit à la tête d’une coalition de six partis.

Le milliardaire vit en exil pour échapper à une condamnation à deux ans de prison pour malversations financières. La moitié de sa fortune a été saisie l’an dernier. Il est également poursuivi pour terrorisme pour son soutien présumé aux manifestations du printemps 2010.

Jusqu’à 100.000 « chemises rouges », pour la plupart fidèles à l’ancien magnat des télécommunications, avaient alors occupé le centre de Bangkok pendant deux mois pour réclamer la démission d’Abhisit, avant d’être délogés par l’armée au terme de plusieurs jours de guérilla urbaine.

La crise, la plus grave qu’ait connu la Thaïlande moderne, avait fait plus de 90 morts et 1.900 blessés. Quels que soient les résultats de ces élections, la plupart des analystes s’accordent sur le risque de nouvelles violences, à court ou moyen terme.

Plusieurs pays ont d’ailleurs mis en garde leurs ressortissants. « Il y une possibilité de nouveaux troubles et de violence dans la période autour des élections et de la formation d’un nouveau gouvernement », pouvait-on ainsi lire sur le site du ministère australien des Affaires étrangères.

Alélie Bottollier-Depois, AFP

Les premieres indications (sondages sortis des urnes) annonce un raz-de-marée de l’opposition pro-Thaksin.

Voir aussi : rubrique Asie Thaïlande, Une balle dans la tête du général, Les chemises rouges acceptent la médiation, nouveau rassemblement des  chemises rouges, Lien externe entretien avec Olivier Guillard directeur de recherche de l’IRIS,

Bangkok en feu

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Immeuble en feu Bangkok 19 mai 2010. Photo AFP

Une ville en feu. Des centres commerciaux ravagés. Des combats de rues sans merci entre des militants antigouvernementaux armés de bombes artisanales et de grenades, et des conscrits forcés de tirer sur des Thaïlandais souvent originaires de la même province qu’eux, voire du même village.

Les autorités thaïlandaises ont reconduit jeudi pour trois nuits supplémentaires le couvre-feu imposé dans la nuit de mercredi à jeudi à Bangkok et dans 23 provinces. La mesure a été cependant un peu assouplie puisque le couvre-feu débutera à 21h00 (14h00 GMT) pour se terminer à 05h00, contre de 20h00 à 06h00 la nuit dernière.

«Le centre de gestion des situations de crise (CRES), présidé par le Premier ministre Abhisit Vejjajiva, a décidé d’imposer le couvre-feu pour mieux assurer la sécurité et lutter contre les activités» des fauteurs de troubles, a indiqué Dithaporn Sasasmit, un porte-parole de l’armée.

Il a précisé que «la police et l’armée avaient indiqué au Premier ministre que le couvre-feu avait facilité leur tache» la nuit dernière, alors que des incendies et des violences s’étaient déclarés à Bangkok à la suite de l’assaut lancé contre le camp retranché des «chemises rouges».

AFP

Thaïlande : Une balle dans la tempe du général. L’Etat d’urgence est étendu

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Des heurts entre armée et manifestants ont fait un mort et au moins huit blessés jeudi à Bangkok, dont un général thaïlandais renégat favorable aux «chemises rouges», victime d’une attaque par balle alors que le pouvoir a décidé de boucler la zone où sont retranchés les manifestants.

Khattiya Sawasdipol, alias Seh Daeng, très populaire parmi les «rouges» et de facto chargé des opérations de sécurité dans leur campement, a reçu une balle dans la tempe. «Il est en train de subir une intervention chirurgicale à l’unité de soins intensifs de l’hôpital Hua Chiew», a précisé un porte-parole du service des secours de la capitale. Le général Khattiya, 58 ans, n’avait pas caché ces derniers jours qu’il n’acceptait pas le plan de sortie de crise du gouvernement. Il a toujours assumé son lien étroit avec Thaksin Shinawatra, ex-Premier ministre en exil renversé en 2006 par un putsch, et dont se réclament de nombreux manifestants. Un de ses aides de camp a affirmé à l’AFP qu’il avait été la cible d’un tireur embusqué.

«Le bouclage total (de la zone) a été mis en place depuis hier soir», a de son côté annoncé le porte-parole de l’armée, le colonel Sunsern Kaewkumnerd. «Les responsables du réseau de la ville ont coupé l’électricité autour de l’intersection de Ratchaprasong la nuit dernière», a-t-il ajouté. Selon la police, par ailleurs, cinq grenades M-79 ont été tirées devant le quartier de la finance de Bangkok où manifestants et forces de l’ordre se sont affrontés pendant environ deux heures. L’armée a finalement ouvert le feu pour repousser des manifestants qui chargeaient, a témoigné un caméraman de l’AFP. Au total, sur l’ensemble de la soirée, un manifestant a été tué et au moins huit ont été blessés. L’état d’urgence, décrété à Bangkok début avril, a été étendu à 15 autres provinces du Nord et du Nord-Est du pays, bastion des «rouges». Une mesure qui ne faisait que confirmer combien le plan de sortie de crise du Premier ministre Abhisit Vejjajiva était désormais moribond.

Les Etats-Unis ferment leur ambassade

Devant la détérioration de la situation, les Etats-Unis ont fermé leur leur ambassade. «Nous somme très préoccupés, nous surveillons très attentivement» la situation, a déclaré à Washington le porte-parole du département d’Etat, Philip Crowley, annonçant la fermeture de l’ambassade. Peu après, le Royaume-Uni a lui aussi annoncé qu’il fermait sa mission diplomatique à Bangkok. «L’ambassade sera fermée demain», a déclaré à l’AFP à Londres une porte-parole du ministère britannique des Affaires étrangères.

Les «chemises rouges» ont exigé cette semaine, avant de se disperser, l’inculpation du numéro deux du gouvernement, Suthep Thaugsuban, qu’ils jugent responsable des violences du 10 avril (25 morts, plus de 800 blessés). Depuis, la situation ne cesse de s’aggraver. Abhisit a annulé les élections anticipées qu’il avait proposées en novembre en échange de la fin du mouvement. Et l’armée a fait état de sa volonté d’envoyer des blindés pour prendre position autour du quartier, afin d’étrangler les «rouges».

Le colonel Sunsern Kaewkumnerd, porte-parole militaire, avait averti que des «tireurs embusqués (seraient) déployés» et que l’usage de balles réelles serait autorisé en cas de menaces et contre des «terroristes armés». Officiellement, il ne s’agissait pourtant pas d’une dispersion par la force des manifestants, une opération très délicate dans ce quartier protégé par des barricades de bambous, de pneus et de barbelés tranchants, et dans lequel vivent des femmes et des enfants.

Les «chemises rouges» ont  lancé des appels au sacrifice.

«Si vous pensez que tirer sur Seh Daeng va nous faire peur (…), vous avez tort», a proclamé Jatuporn Prompan, l’un des principaux leaders. «Peu importe qui a les armes, cela ne signifie rien pour les militants de la démocratie comme nous. Nous ne partirons pas». «Nous nous battrons à mains nues contre des blindés et des armes automatiques», a-t-il ajouté, invitant les manifestants à utiliser leurs téléphones portables, pendant qu’il était encore temps, pour appeler du renfort. La crise, la pire dans le royaume depuis 1992, a déjà fait 30 morts et près de 1.000 blessés depuis la mi-mars

AFP

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Thaïlande: les chemises rouges acceptent une médiation

Les manifestants antigouvernementaux thaïlandais ont accepté mardi le plan de sortie de crise du Premier ministre qui prévoit des élections en novembre, mais maintiennent la pression en poursuivant leur mouvement jusqu’à ce que soit précisé le calendrier électoral.

En deux annonces effectuées à quelques minutes d’intervalle, les « chemises rouges » ont confirmé souhaiter une issue non violente à une crise qui a déjà fait 27 morts et près de 1.000 blessés, et n’accorder aucune confiance à l’homme dont ils réclament la tête, Abhisit Vejjajiva. Le chef du gouvernement, au pouvoir depuis fin 2008 à la suite d’un renversement d’alliances parlementaires et à des décisions de justice favorables, a proposé des élections dans le cadre d’une «feuille de route» vers la réconciliation nationale. Les « rouges », qui le jugent complètement illégitime, ont accepté son projet en principe. Mais ils maintiennent les barricades en bambous aiguisés, pneus et barbelés tranchants derrière lesquels ils se sont retranchés depuis un mois dans le centre-ville de Bangkok.

Barrages maintenus

«Nous continuerons notre rassemblement jusqu’à ce qu’Abhisit dise clairement quand il dissolvera la chambre basse. Nous verrons alors ce que nous déciderons de faire», a déclaré Jatuporn Prompan, l’un des principaux cadres du mouvement. «La réconciliation doit être achevée, non sous l’intimidation et l’usage de la force, mais à travers une véritable liberté». Un autre cadre « rouge » a de son côté expliqué qu’il appartenait à la Commission électorale et non au Premier ministre de choisir les dates de la dissolution. Quelques heures avant cette annonce, Thaksin Shinawatra, l’ex-Premier ministre en exil, chassé du pouvoir en 2006 par un putsch et dont se réclament de nombreuses « chemises rouges », avait invité ses partisans à la «réconciliation».

«Demain est un jour de bon augure, le jour du couronnement. Je crois que nous devrions commencer à faire de bonnes choses», avait-il ajouté en référence à l’anniversaire mercredi du couronnement du roi Bhumibol Adulyadej, 82 ans, figure immensément révérée en Thaïlande. Mais l’hypothèse que les barricades soient démontées mercredi semblait s’évanouir. Abhisit a prévenu que son offre n’était pas discutable. «Ils ne doivent plus négocier, mais accepter ou refuser» a-t-il insisté.

Fossé entre les élites et les classes défavorisées

Mais Jatuporn a laissé entendre l’inverse. «Après l’annonce de la date de la dissolution, les « chemises rouges » enverront des représentants pour discuter de la feuille de route en cinq points avec le gouvernement». La crise est révélatrice du fossé qui s’est agrandi depuis des décennies entre élites traditionnelles de la capitale et masses rurales et urbaines défavorisées du pays. Les « rouges » dénoncent la confiscation des privilèges par les élites gravitant autour du palais royal – militaires, magistrats, hommes d’affaires et hauts fonctionnaires. Ils exigent la fin de ce qu’ils dénoncent comme un système judiciaire à deux vitesses, ainsi qu’une meilleure répartition des richesses et de l’accès au pouvoir.

Ils demandent aussi le retour à l’ordre constitutionnel qui prévalait avant le coup d’Etat militaire contre Thaksin. Une source proche du gouvernement a par ailleurs affirmé mardi qu’une amnistie serait discutée pour permettre aux manifestants de rentrer chez eux en cas d’accord définitif. Mardi, les responsables « rouges » ont toutefois assuré qu’ils n’essaieraient pas d’obtenir d’amnistie sur les accusations de «terrorisme» et d’attaques contre la monarchie, préférant se défendre ouvertement devant la justice.

AFP

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