Livre enquête
Philippe Pujol osculte le destin croisé et opposé d’une relation avec son cousin fasciste
« Je comprenais qu’Yvan depuis longtemps était en guerre, et que dans une guerre il y a des batailles, certaines que l’on gagne, d’autres que l’on perd. Depuis trente ans, il développait ses forces, se perfectionnait. Je comprenais que les actions politiques nourrissaient son quotidien. Rien ne se réalise sans être obsédé par son idée, sans que l’on y pense sans arrêt. Son idée : rien de moins que d’instaurer une dictature en France, rétablir la Nation France. C’est le pouvoir hypnotique de cette doctrine qui m’intéresse dans ce livre. Déjà, dans le studio surchauffé, je le ressentais, ce pouvoir de fascination, cette capacité de la doctrine à habiter un homme, qui plus est de ma famille, unique en son genre, dont les valeurs éducatives étaient proches des miennes et avec qui j’ai gardé des relations toujours sincères, règle entre nous, lui le patron d’un groupe fasciste et moi le cousin scribouillard d’un journal communiste.»
Philippe Pujol, ancien journaliste à La Marseillaise, Prix Albert-Londres 2014, livre avec Mon cousin le fasciste un récit captivant , le récit d’une relation inavouable comme celui d’une histoire française enfouie, contée avec sobriété, voire tendresse. Contemporain, par son style direct, son livre-enquête à l’écriture tranchante fait d’autant plus mouche que cette relation pourrait concerner un grand nombre de citoyens français. En effet, qui peut se targuer aujourd’hui de l’absence de tout lien de parenté plus ou moins éloigné avec un fasciste ?
Certes, avec Yvan Benedetti, le fameux cousin de l’auteur, on ne donne pas dans la friture. L’homme est un illustre représentant de l’Oeuvre française, une frange fasciste affirmée, souvent impliquée dans le service d’ordre et les coups de feu d’après manif, avant d’avoir était écartée par la stratégie de «normalisation» idéologique conduite par le FN fin 2010.
A travers la proximité conférée par le lien familial, Philippe, dit Fifounet, entretien avec son cousin Yvan, alias Gros patapouf, un pacte d’humanité et de respect mutuel qui permet d’aller plus loin dans la perception. Cette situation ouvre à l’auteur les portes d’un terrain d’observation privilégié qui le conduit, non sans tracas, à offrir l’hospitalité à un groupe de « dobermans qui renifle une famille de lapins », ou à suivre l’entraînement en plein air autour du drapeau dans les activités viriles sobrement baptisées «scoutisme politique». Le périple conduit Fifounet à rejoindre l’île d’Yeu pour se retrouver sur les lieux du dernier souffle de Pétain où un curé de Nantes donne lecture des dernières souffrances du Maréchal, ou en Espagne, où il suit les pas des processions de la vieille garde de la Phalange.
« On répète trop souvent que le FN spécule sur la peur, sur l’ignorance. je me rends compte que son meilleurs terreau reste la frustration.» Pointant les pièges et la cohorte d’idées reçues sur l’extrême-droite Philippe Pujol décrypte l’idéologie et la préparation active et raisonnée des fascistes «Yvan sait ce qu’est d’attendre son heure.»
JMDH
Mon cousin le fasciste, éd Seuil 15 euros
Source La Marseillaise 27/05/2017