Le
Dans le but de faciliter la gestion des dossiers administratifs des élèves du premier degré et leur suivi pédagogique, le ministère de l’éducation nationale a mis en place à partir de 2004 une base de données baptisée « Base élèves 1er degré ». Une deuxième version de cette base a été mise en œuvre par un arrêté du ministre du 20 octobre 2008. Ce fichier n’est accessible dans son ensemble qu’aux directeurs d’école, et pour partie, dans la limite de leurs attributions, aux agents des services communaux gérant les inscriptions scolaires. A la suite de la décision du ministre d’en supprimer certaines catégories de données sensibles (notamment relatives à la nationalité), il ne renferme plus que les renseignements administratifs ordinaires nécessaires à l’inscription scolaire (nom de l’élève, adresse, personne à prévenir en cas d’urgence, données relatives à la scolarité, activités périscolaires…).
Le ministère a par ailleurs créé en 2006 une base de données dénommée « base nationale des identifiants des élèves » (BNIE). Celle-ci a pour objet de recenser l’ensemble des numéros uniques, internes au ministère, qui sont attribués aux élèves lors de leur première inscription, afin de faciliter la gestion administrative de leur dossier tout au long de leur scolarité.
Deux particuliers ont demandé au Conseil d’État l’annulation des décisions du ministre procédant à la création de ces différentes bases. Ils critiquaient principalement la légalité de ces décisions, relatives à des traitements de données à caractère personnel, au regard de la loi dite “informatique et libertés” du 6 janvier 1978. Par deux décisions rendues ce jour, concernant l’une le fichier « Base élèves 1er degré », l’autre le fichier « BNIE », le Conseil d’État vient de faire droit partiellement à ces demandes.
En ce qui concerne le fichier « Base élèves 1er degré » (décision nos 317182 et 323441) dans sa première version, le Conseil d’État relève tout d’abord que, s’il a bien fait l’objet d’une déclaration à la fin de l’année 2004 auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), ce fichier a commencé à être utilisé sans attendre la délivrance du récépissé de la déclaration, intervenue seulement le 1er mars 2006. Il constate donc, pour la période antérieure à cette date, une méconnaissance de l’article 23 de la loi de 1978, qui prévoit que le responsable du traitement ne peut le mettre en œuvre qu’après réception du récépissé.
Le Conseil d’État censure également la collecte, dans la première version du fichier, des données relatives à l’affectation des élèves en classes d’insertion scolaire (CLIS). Il juge en effet que, par leur précision, ces données permettent de connaître la nature de l’affection ou du handicap dont souffrent les élèves concernés et constituent par conséquent des données relatives à la santé, dont le traitement aurait dû être précédé d’une autorisation de la CNIL. En revanche, le Conseil d’État ne retient pas cette critique s’agissant de la version actuelle du fichier, compte tenu du degré de généralité des données recueillies.
L’article 38 de la loi de 1978 donne à toute personne physique le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Sur ce point, le Conseil d’État juge le fichier légal dans sa première version, antérieure à l’arrêté du 20 octobre 2008. En revanche, il annule les dispositions de cet arrêté qui interdisent, dans sa deuxième version, toute possibilité d’exercice de ce droit d’opposition.
Le Conseil d’État écarte ensuite la critique selon laquelle « Base élève 1er degré » a pour objet l’interconnexion de fichiers, au sens du 5° de l’article 25 de la loi de 1978, et aurait dû à ce titre faire l’objet d’une autorisation de la CNIL. Il juge toutefois que ce fichier, dans ses deux versions successives, procède à des rapprochements avec des données provenant d’autres fichiers dont les objets sont voisins du sien. A ce titre, le Conseil d’État sanctionne l’omission, dans la déclaration faite à la CNIL, de la mention de ces rapprochements, qui est prescrite par l’article 30 de la loi.
Le Conseil d’État rejette l’ensemble des autres critiques émises par les requérants. Il juge, notamment, que les finalités de « Base élèves 1er degré » sont suffisamment explicites, que les données recueillies sont proportionnées à ces finalités et que la durée de conservation des données, fixée à 15 ans, n’est pas excessive. Il écarte également les critiques tirées de ce que ce traitement constituerait une atteinte illégale à la vie privée et aux libertés individuelles ou au principe d’égalité.
En ce qui concerne le fichier « BNIE » (décision no 334014), le Conseil d’État constate qu’il a été mis en œuvre avant la délivrance par la CNIL, le 27 février 2007, du récépissé de la déclaration ; il en conclut, comme pour « Base élèves 1er degré », que sa mise en œuvre avant cette date est irrégulière. Le Conseil d’État juge également ce fichier irrégulier en ce qu’il prévoit une durée de conservation des données de 35 ans, le ministère ne justifiant pas qu’une telle durée serait nécessaire au regard des finalités du traitement. Cette illégalité entraîne l’annulation en totalité de la décision ministérielle créant le fichier, alors même que les autres critiques qui lui étaient adressées sont expressément écartées par le Conseil d’État.
Les requérants demandaient en outre au Conseil d’État de faire usage de son pouvoir de prononcer des injonctions à l’encontre de l’administration en vue d’assurer l’exécution de ses décisions, en ordonnant la suppression de l’ensemble des données irrégulièrement enregistrées dans « Base élèves 1er degré » et « BNIE ».
S’agissant de « Base élèves 1er degré », le Conseil d’État prend en compte l’importance, pour le bon fonctionnement du service public de l’enseignement, du traitement mis en œuvre. Il relève en outre qu’à la date de sa décision, l’ensemble des données contenues dans ce fichier peuvent régulièrement y être enregistrées et traitées, à la seule exception des données relatives à la santé des élèves. Par conséquent, le Conseil d’État limite l’injonction qu’il prononce à la suppression de la mention exacte de la catégorie de CLIS dans laquelle, le cas échéant, l’élève est accueilli, collectée dans la première version de ce fichier.
S’agissant de « BNIE », le Conseil d’État prend également en compte son importance pour le bon fonctionnement du service public. Il relève aussi qu’à la date de sa décision, l’ensemble des données contenues dans le fichier peuvent régulièrement y être enregistrées et traitées, sous réserve que soit fixée une nouvelle durée pour leur conservation. Le Conseil d’État enjoint par conséquent à l’administration de fixer, dans un délai de trois mois, une nouvelle durée de conservation, faute de quoi l’ensemble des données contenues dans le fichier devront être supprimées.
Pour que ces deux traitements puissent, compte tenu de leur utilité, continuer à être mis en œuvre, il appartient au ministère de l’éducation nationale de procéder aux régularisations requises par les décisions du Conseil d’État.
Conseil d’État, 19 juillet 2010, nos 317182 et 323441, nos 334014,
Voir aussi : Rubrique Education Nouvelle vague de plaintes des parents, Sévère rapport de la cour des compte sur l’EN, On line, Lire la décision relative au fichier “Base élèves 1er degré” , Lire la décision relative au fichier “BNIE”