Egypte : «Des crispations interreligieuses exacerbées»

Sophie PommierSophie Pommier, chargée de cours à Sciences-Po à Paris, a longtemps travaillé au ministère des Affaires étrangères. Elle dirige le cabinet de consultants sur le monde arabe, Méroé. Spécialiste de l’Egypte, elle a consacré à ce pays de nombreuses publications dont Egypte, l’envers du décor, aux éditions La Découverte. Elle analyse les causes des affrontements.

Pourquoi ces affrontements ?


On ne peut pas nier qu’il y ait une dimension religieuse mais, même si les tensions sont exacerbées, il ne faut pas tout réduire à cela. Les problèmes sont nombreux et la question copte n’est qu’une de ces difficultés même si elle joue le rôle de caisse de résonance. Les crispations interreligieuses existent mais elles sont avivées par un contexte politique trouble et une crise économique et sociale.

La situation des coptes s’est-elle aggravée depuis la révolution ?

Ce n’est pas directement lié à la révolution, il y a un contexte plus profond. Cela fait déjà plusieurs années que la situation de cette minorité chrétienne s’est dégradée sous l’effet d’une réislamisation et même d’une salafisation de la société égyptienne. Lors des législatives de 2010, seuls trois coptes ont été élus. Cela a été vécu comme une véritable claque au sein de la communauté. Les tensions religieuses ne sont pas nouvelles. Le point de départ est presque toujours une affaire sentimentale entre personnes de religion différente ou à propos de travaux d’extensions d’église, souvent juridiquement complexes à réaliser pour les chrétiens. Après la révolution, les militaires avaient assuré aux coptes que la loi relative à la construction des lieux de culte serait amendée. Ça n’a pas été le cas et, de ce point de vue, la révolution n’a pas tenu ses promesses. Les coptes reprochent aux autorités – et c’était déjà le cas à l’époque de Moubarak – de ne pas suffisamment les protéger. On peut observer, en parallèle, l’apparition d’une nouvelle génération plus revendicative et même d’une frange extrémiste chez les coptes. Cela tranche avec l’attitude plutôt passive et très légaliste qui a été celle d’une majorité de la communauté pendant longtemps.

Ces violences marquent-elles un coup d’arrêt dans la transition démocratique ?


Les affrontements font suite à une série d’événements qui ont déjà fragilisé le processus démocratique. Après l’assaut de l’ambassade d’Israël, l’armée avait élargi l’état d’urgence. Là, le couvre-feu a été décrété et certains médias inquiétés. A chaque fois, l’armée grignote un peu plus de pouvoir.

Comment interpréter l’attitude de l’armée ?


Elle a un rôle très ambigu, car elle a été portée par la révolution alors qu’elle était très liée au pouvoir. Elle a deux objectifs : conserver ses prébendes et éviter un clash avec Israël. Les militaires se trouvent dans une impasse d’autant que la situation est également tendue aux frontières avec la Libye ou dans le Sinaï.

Les législatives du 28 novembre seront-elles maintenues ?


C’est difficile à dire. Si les élections sont repoussées, les islamistes vont descendre dans la rue car, pour l’heure, malgré des divisions internes, ils sont la force politique structurée et ce calendrier leur convient bien.

Ces affrontements interreligieux sont-ils du même ordre qu’ailleurs dans la région ?

Oui, mais là encore il ne faut pas s’arrêter aux tensions entre chrétiens et musulmans. Il suffit de voir ce qui se passe en Irak entre chiites et sunnites. Les clivages communautaires se ravivent dans la région, et les crises et les enjeux des recompositions politiques réveillent les lignes de fracture et les réflexes identitaires.

 Recueilli  par Marwan Chahine (Libération)

«Les islamistes ne mordent pas la main qui les nourrit»

Cable Wikileaks Algérie (sept 2006)

Rabah Kébir, président de l’ex-instance exécutive du FIS à l’étranger, Anouar Haddam, ancien dirigeant de l’ex- FIS, et Madani Mezrag, émir de l’organisation terroriste AIS, bras armé du FIS, sont au cœur d’un des derniers câbles publiés par WikiLeaks sur l’Algérie. A l’origine de cet intérêt porté à ces trois personnalités islamistes par la diplomatie américaine, des entretiens qu’ils ont tous trois accordés à la presse en août 2006, où ils exprimaient leur soutien au président Bouteflika et à la charte pour la réconciliation nationale. «Dans leurs interviews, ces dirigeants islamistes ont pris soin d’éviter les critiques contre le président Bouteflika, estimant apparemment qu’il n’est pas approprié de mordre la main qui les nourrit», est-il noté dans ce câble.

L’intérêt de ce mémo réside justement dans les commentaires faits par le diplomate qui souligne son incompréhension de voir Mezrag, qui vit en Algérie, «libre de donner des interviews à la presse sur des questions politiques, tout en étant au courant des restrictions de la charte et des mises en garde que les responsables gouvernementaux ont eues envers Mezrag et les autres. Le diplomate interprète ainsi le comportement de ces trois hommes comme une tentative de repousser les limites des hommes politiques en place». Le câble fait également référence à «des commentaires de responsables FLN qui révèlent l’incertitude qui persiste dans les rangs du gouvernement sur la façon de gérer ce genre de comportement», à l’époque de la rédaction de ce câble (septembre 2006).    

Rabah Kébir, président de l’ex-instance exécutive du FIS à l’étranger, Anouar Haddam, ancien dirigeant de l’ex- FIS, et Madani Mezrag, émir de l’organisation terroriste AIS, bras armé du FIS, sont au cœur d’un des derniers câbles publiés en août par WikiLeaks sur l’Algérie. A l’origine de cet intérêt porté à ces trois personnalités islamistes par la diplomatie américaine, des entretiens qu’ils ont tous trois accordés à la presse en août 2006, où ils exprimaient leur soutien au président Bouteflika et à la charte pour la réconciliation nationale.

 «Dans leurs interviews, ces dirigeants islamistes ont pris soin d’éviter les critiques contre le président Bouteflika, estimant apparemment qu’il n’est pas approprié de mordre la main qui les nourrit», est-il noté dans ce câble. L’intérêt de ce mémo réside justement dans les commentaires faits par le diplomate qui souligne son incompréhension de voir Mezrag, qui vit en Algérie, «libre de donner des interviews à la presse sur des questions politiques, tout en étant au courant des restrictions de la charte et des mises en garde que les responsables gouvernementaux ont eues envers Mezrag et les autres. Le diplomate interprète ainsi le comportement de ces trois hommes comme une tentative de repousser les limites des hommes politiques en place».

Le câble fait également référence à «des commentaires de responsables FLN qui révèlent l’incertitude qui persiste dans les rangs du gouvernement sur la façon de gérer ce genre de comportement», à l’époque de la rédaction de ce câble (septembre 2006).    

Voir aussi :  rubrique Algérie, rubrique LivreAlgérie, Lounis Aggoun : 200 ans d’inavouable, Laurent Mauvignier une déchirure qui remonte,

La difficile émergence d’un « islam de France »

Les appels récurrents, à droite comme à gauche, pour faire émerger un « islam de France » sont-ils condamnés à demeurer des discours incantatoires ? Oui, si l’on s’en tient au bilan des diverses initiatives et institutions lancées par les pouvoirs publics ces dernières années, qu’il s’agisse de la représentation des musulmans, du financement des mosquées ou de la formation profane des cadres religieux.

Mohammed Moussaoui, qui sera reconduit dimanche 19 juin à la tête du Conseil français du culte musulman (CFCM), conserve les rênes d’une institution à la légitimité de plus en plus contestée sur le terrain. Cette instance « représentative », voulue par les gouvernements successifs depuis une vingtaine d’années, a été créée aux forceps en 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, afin de promouvoir un « islam de France », que les responsables politiques souhaitaient implicitement « modéré ». Le CFCM, miné par les guerres intestines, est aujourd’hui maintenu à flot par la volonté de son successeur, également chargé des cultes.

En huit ans, le CFCM s’est certes imposé dans le paysage institutionnel, aux côtés des autres confessions. Mais, en matière de gestion du culte, et en dépit d’avancées au niveau régional, son bilan est proche de zéro. Surtout, le CFCM, censé faire cohabiter les diverses expressions de l’islam, a échoué à atténuer les luttes d’influence entre les organisations musulmanes proches des pays d’origine (Maroc et Algérie) ou de courants particuliers de l’islam (Union des organisations islamiques de France, UOIF).

Les élections du 5 juin ont donné lieu à des clivages jamais égalés. Deux des trois principales fédérations, celle de la Grande Mosquée de Paris et l’UOIF, ont boycotté le scrutin, et le CFCM a encore perdu en crédibilité.

Autre essai avorté : la rationalisation du financement des mosquées, que les pouvoirs publics auraient aimé voir sortir du giron étranger. Imaginé comme un outil de transparence, la Fondation des oeuvres de l’islam, installée en 2007, n’a pas su mobiliser les énergies musulmanes pour collecter et mutualiser des fonds.

Enfin, alors que l’émergence d’imams et de cadres religieux musulmans formés à la laïcité est une priorité des ministres de l’intérieur successifs, la formation emblématique de ce projet s’essouffle après seulement quatre ans d’activité. Soutenu par le gouvernement, un nouveau dispositif est prévu en octobre.

Ces ratés institutionnels n’empêchent pas l’islam de s’inscrire dans le paysage français. Sans l’aide du CFCM ou d’une quelconque Fondation, des mosquées sont construites sur tout le territoire, financées en grande partie par les fidèles et, dans certains cas, par des aides venues de l’étranger. Portées par des musulmans nés ou élevés en France, des initiatives émergent pour l’organisation du marché halal, la « lutte contre l’islamophobie » ou l’ouverture d’écoles coraniques dans les mosquées. C’est peut-être là, plus que dans les structures officielles, qu’il faudra bientôt chercher l' »islam de France ».

Editorial Le Monde 19/06/11

Voir aussi : Rubrique Religion

Le dalaï-lama prépare sa succession politique

le-dalai-lamaLe dalaï-lama annonce, jeudi, qu’il prévoit de renoncer à sa fonction de chef du gouvernement tibétain en exil, estimant que le temps était venu de laisser sa place à un nouveau dirigeant « librement élu ». « Mon désir de transmettre l’autorité n’a rien à voir avec une volonté de renoncer aux responsabilités », a déclaré le dalaï-lama durant un discours à Dharamsala, dans le nord de l’Inde où vivent les Tibétains en exil. « C’est pour le bien à long terme des Tibétains. Ce n’est pas parce que je me sens découragé », a-t-il ajouté. Le chef des Tibétains en exil, âgé de 75 ans, Prix Nobel de la paix, a ajouté qu’il demanderait un amendement lui permettant de renoncer à ses fonctions au cours de la prochaine session du Parlement tibétain en mars. Un porte-parole du dalaï-lama avait déjà annoncé en novembre son intention de quitter sa fonction de chef du gouvernement tibétain en exil pour alléger sa charge de travail et réduire son rôle officiel, sans toutefois abandonner son rôle spirituel.

Voir aussi : Rubrique religion,

Russie: l’Eglise orthodoxe censure un conte anticlérical de Pouchkine

conte-russeUn conte anticlérical du célèbre poète russe du XIXe siècle Alexandre Pouchkine a été censuré par l’Eglise orthodoxe, un synode régional ayant édité une version adaptée supprimant le personnage du « pope », a-t-on appris auprès du patriarcat. Le synode de la Sainte-Trinité d’Armavir, dans la région de Krasnodar (sud), a publié une version « historique » du « Conte du Pope et de son serviteur Balda », où le prêtre a été remplacé par le Marchand, a indiqué à l’AFP le porte-parole du Patriarcat, Vladimir Viguilanski. Le conte, écrit par Pouchkine en 1830, fut adapté trois ans après sa mort par son maître spirituel, le poète Vassili Joukovski, qui cherchait à contourner la censure religieuse en Russie impériale, a rappelé M. Viguilanski.

C’est la version de Pouchkine racontant les mésaventures d’un pope tourné en ridicule par son serviteur débrouillard qui était au programme scolaire sous le régime soviétique, farouchement athée. La version de Joukovski, importateur du romantisme dans la pensée russe, « ne contredit pas les idées de l’Eglise orthodoxe », a estimé sur la chaîne NTV le père Filip, à l’origine de la publication de la version de Joukovski tirée à 4.000 exemplaires. Pouchkine, dont l’attitude anticléricale se manifeste dans ses oeuvres de jeunesse, « a évolué pendant des années vers une réconciliation avec l’Eglise à la fin de sa vie », a souligné le porte-parole du patriarcat. Les enfants russes ont le droit de « connaître les deux versions » du conte, a-t-il estimé. En septembre 2006, le théâtre d’opéra et de ballet de la république russe de Komi, dans le Grand Nord, avait déjà annulé une première de l’opéra « Le conte du Pope et de son serviteur Balda », faute de bénédiction de l’Eglise. L’Eglise orthodoxe russe connaît une période de renaissance depuis la disparition de l’URSS fin 1991.

AFP

Voir aussi : Rubrique Littérature russe,