Paul Nizon un vagabond des rues dans les grandes villes
« Ecrire une histoire ça ne m’intéresse pas. J’aime bien écrire sur tout et sur rien à partir de quelque chose qui me concerne. » C’est en ces termes que l’écrivain suisse exilé à Paris, Paul Nizon, évoque son travail, dans le cadre des Grands entretiens. Colette Fellous, qui le connaît bien, le lance sur la musique de sa prose. « Mon premier talent c’est la musique. J’ai été élevé dans cet univers, ma sœur était pianiste. Il y avait tout le temps de la musique chez nous. J’ai toujours travaillé avec des règles musicales. Je ne suis pas un narrateur. Je suis attentif au rythme. Je me situe entre des mouvements longs, courts, et des silences… »
Parallèlement à ses livres Paul Nizon consigne depuis plus de quarante ans ses réflexions au jour le jour. Les journaux de l’écrivain ont été édités. Ils témoignent de la profusion des sources d’inspirations de l’artiste. Le quatrième volume Les carnets du coursier coure sur la période 1990-1999. Il vient d’être traduit en français. C’est une forme de radiographie du processus de l’écrivain où apparaît certains motifs de son roman Chien (Actes Sud 98) . « Les journaux sont comparables aux esquisses d’un peintre, explique Nizon, là où se mêle le regard intérieur et extérieur, sur un milieu, une réflexion philosophique, un déplacement, une lecture, l’apparition d’un personnage comme celui du clochard noté du coin de l’œil en sortant de chez moi qui deviendra un personnage important dans le livre. »
L’écrivain défend un idéal de liberté qui le rend volontiers subversif. Bien avant le faux débat sur l’identité nationale, en 1990, il consigne dans son journal : « A propos du phénomène patrie, je songeais récemment que l’élément décisif, pour que la patrie ne constitue pas un fardeau et une obligation, c’est le sentiment d’appartenance. La vraie patrie d’un écrivain de mon genre c’est le trottoir » ajoute-t-il aujourd’hui. « Le sujet d’un livre n’a aucune importance si l’œuvre se fonde sur une véritable vision artistique. Le mot clé pour moi, c’est le quotidien. Le mystère de la vie se cache derrière le quotidien. Là, il y a victoire où défaite. »
Jean-Marie Dinh
Les Carnets du Coursiers , éditions Actes Sud, 23 euros.
L’écrivain et homme politique espagnol Jorge Semprun est mort à Paris à l’âge de 87 ans, a-t-on appris auprès de son petit-fils Thomas Landman. Il sera inhumé « dans la plus stricte intimité » dimanche en Seine-et-Marne « dans le drapeau républicain espagnol », a annoncé Thomas Landman. « Mon grand-père sera inhumé dans le drapeau républicain espagnol comme il l’avait souhaité. Il reposera au côté de sa femme, Colette, décédée en 2007 » dans le village de Garentreville, où il avait une maison de campagne, a-t-il ajouté. Il n’y aura pas de cérémonie religieuse.
Jorge Semprun avait confié un jour vouloir être enterré dans ce même drapeau à Irun, ville du nord de l’Espagne depuis laquelle il franchissait pendant la clandestinité la frontière franco-espagnole, raconte Thomas Landman. Par ailleurs, samedi un hommage public a été rendu à Jorge Semprun au prestigieux lycée Henri-IV, où l’écrivain avait été pensionnaire, avec son frère Gonzalo, quand il était arrivé à Paris à la fin des années 1930.
Jorge Semprun est un de ces hommes qui a autant marqué le 20ème siècle que le siècle l’a marqué. Communiste qui a lutté contre le fascisme en Espagne, il s’exile en France où il rentre dans la résistance. Capturé, il est déporté à Buchenwald. Il y est marqué du sceau de la mort. Il lui faudra le suicide de Primo Levi, parmi les « déclics », pour écrire L’écriture ou la vie. Il devra se détacher du communisme et admettre l’horreur de Staline. Il servit l’Espagne, comme ministre de la culture.
Le premier rideau s’ouvre sur un autre qui s’ouvre sur un autre…, jusqu’à la chambre royale. Œdipe au lit regarde sa femme la reine de Thèbes dont il ne sait pas encore qu’elle est sa mère. Au centre, Jocaste savoure son bonheur tout en craignant de le perdre. Il tente de la rassurer. Pour lui, le rapport charnel, la force de l’amour éprouvé, les joies partagées avec leur quatre enfants, sont de ceux qui résistent au temps. La tragédie commence.
La metteuse en scène Gisèle Sallin opère un travail juste, restant fidèle au texte. Simple et subtile, la féminité souvent discrète ou hyper affirmée dans la tragédie antique, dévoile un autre monde, et cette autre réalité affirme sa puissance. « La remise en question des dieux et l’affirmation de la suprématie de l’amour humain sur la fatalité sont plus que nécessaires et font gravement défaut dans le théâtre moderne » souligne Gisèle Sallin.
Nancy Huston conserve les événements déroulés par Sophocle, mais déplace le regard en sortant Jocaste de deux mille ans d’oubli. Dans une toute autre démesure que celle d’Oedipe, on suit le vertige de la reine en tant que femme, mère, et amante. Le pari de conserver le cadre en déplaçant l’angle de vue fonctionne. Sur scène l’unité de jeu est au rendez-vous. Jocaste Reine donne le pendant à Œdipe Roi ouvrant sur une approche féminine du mythe ; dans le rapport de Jocaste aux autres, à la liberté, à l’éducation et à la violence des hommes. Jocaste exècre les oracles qui appuient leurs pouvoirs sur la crédulité humaine. A travers le Coryphée qui fait pont avec notre époque, Nancy Huston bouscule aussi le mythe freudien. Pour la petite histoire, le roi de la psychanalyse rebaptisa sa femme Anna Antigone…
Jean-Marie Dinh
Le texte de Nancy Huston vient de paraître chez Actes Sud.