Le verbe de l’écrivain américain, mort il y a trente ans, se déploie dans « I Am Not Your Negro », issu du film de Raoul Peck. Christiane Taubira l’a entendu.
ls sont six autour d’un journaliste et d’une table ronde : trois Afro-Américains et trois Américains blancs. Symétrie fortuite ou délibérée. L’écrivaine Toni Morrison observera plus tard que « dans ce pays, Américain signifie Blanc, toute autre personne a besoin d’un trait d’union » (par exemple : Afro-Américain, Sino-Américain, Italo-Américain, etc.). Ce soir-là, aux côtés de James Baldwin (1924-1987) se tiennent Marlon Brando, Joseph Mankiewicz, Harry Belafonte, Sydney Poitier et… Charlton Heston. Nous sommes le 28 août 1963, cent ans après la Proclamation d’émancipation des esclaves, publiée au mitan de la guerre de Sécession. Les grandes figures de résistance à l’esclavage et de la Civil War, Harriet Tubman, Crispus Attucks, Edward Hector, Austin Dabney, Lemuel Haynes… sont encore peu connues.
Ce mois d’août 1963 est fébrile. Plusieurs organisations ont appelé à marcher sur Washington pour l’emploi et la liberté, « jobs and freedom. NOW ! ». Martin Luther King en est le leader incontesté. Trois ans plus tôt, Abbey Lincoln et Max Roach ont maçonné cet album de jazz crissant, We Insist ! Freedom Now Suite. Aux premiers rangs de la foule immense et ardente qui ondule sur le mall du Lincoln Memorial, ces six-là, de Belafonte à Brando, désignés avec ou sans trait d’union, solidaires, ont choisi de croire au rêve que, dans une fulgurance clairvoyante et généreuse, Mahalia Jackson a demandé au pasteur King de partager avec cet essaim vibrant. « I have a dream. » Mais ils insistent, c’est « NOW ! » L’émission, qui a tourné autour de « Negro question, Negro problem », touche à sa fin. Baldwin est invité à conclure. « I’m not a Negro. I never called myself one. » (« Je ne suis pas un Nègre,…
Source Le Monde des livres 29/11/2017