Aharon Appelfeld : Un rapport libre à l’écriture

 

 

On garde le souffle court à la lecture de « Le garçon qui voulait dormir *». Aharon Appelfeld y décrit avec une grande pudeur une existence arrachée au cours normal des choses. Celle d’Erwin, jeune garçon qui ne peut retourner dans le jardin de son enfance que par les songes. Au sortir de la guerre, il se retrouve près de Naples, au cœur d’un groupe de réfugiés apatrides. Il a tout perdu : père, mère, langue, environnement familier, et émerge peu à peu du sommeil auquel il a recours pour faire revivre tout un pan de sa vie désormais anéanti. Enrôlé avec d’autres jeunes gens de son âge par un émissaire de l’Agence juive, il se prête à l’apprentissage intensif de l’hébreu et à l’entraînement physique, quasi militaire, que celui-ci leur impose chaque jour pour les préparer à une nouvelle vie dans l’État d’Israël sur le point de naître.

Cette histoire est un peu celle de l’auteur. Né en Roumanie, il a huit ans quand éclate la guerre. Sa famille est enfermée dans un ghetto. Sa mère est assassinée, et il est déporté avec son père dans un camp de Transnistrie. Le jeune garçon s’en évadera, seul, en 1942. L’œuvre Aharon Appelfeld est riche d’une quarantaine de livres tous relatifs à sa vie mais l’écrivain de la Shoah comme on l’a surnommé, s’est toujours gardé de mettre en avant son moi. Fait plutôt étonnant pour un auteur qui reçu le Prix Médicis Etranger en 2004 pour « Histoire d’une vie ». Cette distance est consubstantielle à son travail qui aborde sa vie en prenant le temps et en s’attachant au concept d’objectivité affective.

« Pourquoi le prince Félix a-t-il été exilé ? » demande l’enfant à Mlle Christina  qui lui apprend à lire et à écrire. « Pour qu’il devienne plus fort et soit capable d’affronter les méchants ». « On ne peut pas devenir plus fort chez soi ? » « Il faut croire que non », dit Christina dans un sourire qui dévoile ses belles dents ». Avec justesse, Appelfeld porte la voie de l’intelligence universelle pour que les gens apprennent à vivre ensemble.

Jean-Marie Dinh

* Le garçon qui voulait dormir, éditions de l’Olivier, 21 euros.

Voir aussi : Rubrique Littérature, rencontre Yishaï Sarid, rubrique Israël,