Aurélie Filippetti : « Frédéric Mitterrand regardait les trains passer ; moi, je les aiguille »

"Une vision dogmatique, sans réflexion, ni dialogue" : un an après la passation de pouvoir Rue de Valois, Frédéric Mitterrand s'est répandu dans la presse pour critiquer sa successeur, Aurélie Filippetti (ici à l'Assemblée nationale, le 14 mai 2013). « Une vision dogmatique, sans réflexion, ni dialogue » : un an après la passation de pouvoir Rue de Valois, Frédéric Mitterrand s’est répandu dans la presse pour critiquer sa successeur, Aurélie Filippetti (ici à l’Assemblée nationale, le 14 mai 2013). | AFP/ERIC FEFERBERG

« Une vision dogmatique, sans réflexion ni dialogue », un « manque d’impartialité » : un an après la passation de pouvoir Rue de Valois, Frédéric Mitterrand est sorti de sa réserve et s’est répandu ces derniers jours dans la presse pour critiquer sévèrement les évictions de sa successeure au ministère de la culture, Aurélie Filipppetti : Jean-François Colosimo, du Centre national du livre (CNL), Eric Garandeau, du Centre national du cinéma (CNC), Olivier de Bernon, du Musée Guimet, Jean-Marie Besset, du Centre d’art dramatique de Montpellier. Tous ces départs ont « choqué » M. Mitterrand. Dans un entretien au Monde.fr, Mme Filippetti répond à ces attaques.

Ces derniers jours, votre prédécesseur, Frédéric Mitterrand, a fortement critiqué votre action à la tête du ministère de la culture. Qu’avez-vous à lui répondre ?

C’est une attaque politicienne et de bas étage pour défendre quelques intérêts privés. Jamais depuis un an nous n’avons entendu Frédéric Mitterrand parler des grands sujets de politique culturelle. Il n’a pas été présent, contrairement à Jacques Toubon, Jean-Jacques Aillagon, ou Renaud Donnedieu de Vabres (tous anciens ministres de droite de la culture), par exemple, sur le débat pour le maintien de l’exception culturelle. Je suis consternée par son inélégance et son incohérence.

Frédéric Mitterrand n’a pas laissé la trace d’un ministre qui avait un quelconque pouvoir pour imprimer sa marque sur une politique culturelle, ni en matière de nominations, ni en matière de réformes structurelles. Il a laissé un certain nombre de dossiers importants sous le tapis : le numérique, l’audiovisuel, les intermittents du spectacle. Venant de quelqu’un qui n’a pas un bilan flamboyant, ses critiques sont nulles et non avenues. Il dit dans un entretien au Point qu’il regardait les trains passer lorsqu’il était au ministère ; moi, je les aiguille.

Frédéric Mitterrand estime que vous avez une vision « dogmatique »

C’est insupportable. Insupportable de la part de quelqu’un qui était membre d’un gouvernement qui a rétabli la nomination par le président de la République des patrons de l’audiovisuel public. Le 24 juillet je présenterai à l’Assemblée nationale une loi qui va redonner ce pouvoir de nomination au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), mais surtout qui va renforcer considérablement l’indépendance du CSA en associant, pour la première fois dans l’histoire, l’opposition parlementaire à la désignation des membres du CSA. C’est un grand pas démocratique ; c’est tout le contraire du dogmatisme et surtout tout le contraire d’un pouvoir de nomination arbitraire tel qu’il s’exerçait à l’ère Sarkozy et que jamais Frédéric Mitterrand n’a critiqué.

Quant aux autres nominations dans les établissements, j’ai renouvelé un grand nombre de personnes. Mais j’ai surtout mis en place des commissions et des procédures transparentes qui vont garantir enfin un certain renouvellement à la tête des institutions culturelles et une féminisation. Je souhaite faire bouger les lignes. Beaucoup trop de gens ont pris l’habitude de voir le monde culturel fonctionner avec des coteries, un petit monde qui vit dans l’entre-soi : ça c’est terminé. La culture, c’est le mouvement, ce n’est pas l’immobilisme. Personne n’est propriétaire à vie de son mandat.

Le projet de loi de finances pour 2014 réduit le budget de la mission culture de 2,8 %. Où vont se faire les économies ?

Je présenterai mon budget début octobre, comme l’année dernière. Mais, pour l’heure, le budget culture n’a pas été mis davantage à contribution que ce qui avait été décidé l’année dernière dans le budget triennal. Certains ministères ont eu des économies supplémentaires à faire dans le triennal, mais, pour la culture, le président de la République et le premier ministre ont jugé que l’effort fait était suffisant. Les lignes budgétaires de la création – qu’il s’agisse du spectacle vivant ou des arts plastiques – sont sanctuarisées. Tous les crédits d’intervention dans les régions sur ces domaines seront préservés ainsi que tout ce qui concerne l’enseignement supérieur (écoles d’architectes, d’art, de photo).

En novembre 2012, vous disiez, à propos des réductions budgétaires : « Nous avons montré notre sens des responsabilités, mais on ne me refera pas ça deux fois. »

Les chiffres annoncés correspondent au triennal fixé en 2012. Notre budget n’a pas été aggravé par rapport à ce qui avait été prévu.

Vous estimez donc que votre budget n’est pas mauvais…

On participe, et c’est normal, à l’effort commun pour redresser les finances publiques. C’est un effort difficile, mais c’est en même temps notre mission de montrer que la politique culturelle est responsable et exigeante.

Que pensez-vous de l’éviction de Delphine Batho du gouvernement ?

Delphine est une amie. Je suis triste de voir partir une amie. Voilà, c’est tout.

Où en est la négociation sur la convention collective du cinéma, qui a été étendue le 1er juillet mais qui sera mise en œuvre le 1er octobre ?

Avec le ministre du travail, Michel Sapin, nous avons le souci d’avoir une convention collective pour le seul secteur culturel – le cinéma – qui n’était pas couvert. J’avais demandé une prise en compte plus importante de la diversité des films et de la préservation des films économiquement fragiles. Nous constatons qu’il y a des points de convergence, des efforts ont été faits des deux côtés – partenaires sociaux et producteurs. Ils n’ont pas encore réussi à trouver un terrain d’entente, mais je pense que la réconciliation est possible. Nous ne sommes pas loin d’un accord. La convention sera appliquée au 1er octobre. Quant aux films tournés cet été, ils se feront dans les conditions dans lesquelles ils ont été programmés, prévus et financés.

Craignez-vous que le climat social pèse sur l’édition 2013 du Festival d’Avignon ?

Non. Les choses sont claires en ce qui concerne les intermittents du spectacle. Michel Sapin et moi-même sommes déterminés à préserver une indemnisation spécifique de ces emplois qui sont des métiers plus précaires que les autres par nature. Maintenant c’est aux partenaires sociaux d’ouvrir la discussion à l’automne.