Fiction et documentaire : Entretien avec Jean-Pierre Rhem

documentaire1 Le dernier volet de la manifestation Raymond Depardon est présenté à Montpellier jusqu’au 31 janvier. On peut découvrir le travail photographique de l’artiste au Pavillon populaire ainsi qu’au Carré Ste-Anne, ses documentaires sont présentés au cinéma Diagonal. Cette manifestation se complète d’un cycle de conférences dont la première s’est tenue mardi au Musée Fabre sur le thème Documentaire : comment ça va avec la fiction ? avec Jean-Pierre Rhem le délégué général du Festival international du Documentaire (FID) de Marseille. Entretien.

En quoi l’intitulé de votre intervention rejoint-il le travail de Depardon ?

Si Raymond Depardon est un représentant imminent du documentaire, c’est aussi un artiste qui passe d’une écriture à l’autre. Il ouvre des portes. Son travail a fécondé d’autres pratiques, d’autres façons d’approcher le documentaire.

Vous semblez prôner l’abolition des frontières entre le documentaire et la fiction, ce qui soulève le rapport complexe qu’entretiennent les deux genres avec la réalité…

Il n’existe pas de règle ou d’impossibilité. Le film documentaire, comme la fiction ont un rapport au réel. La fiction n’est pas un moyen de se détourner du réel. Cette opposition est stérile. Fiction et documentaire sont deux moyens différents d’aborder la réalité. Le film de fiction relève d’une construction élaborée des auteurs, le film documentaire implique un autre type de construction tout aussi élaboré. Des auteurs comme Flaubert, Poe ou Joyce puisent abondamment dans le réel pour nourrir leur fiction romanesque.

En tant que programmateur, comment observez-vous la dimension politique de la production documentaire ?

Dans mon travail de sélection, je suis attentif à la dimension politique qui n’échappe pas à la sphère de la représentation simplement parce que l’espace que nous partageons collectivement se situe dans l’espace politique. Mais il n’y a pas une façon unique de poser cette question. Brandir un drapeau ne certifie pas aujourd’hui la présence de la cause défendue.

Après le militantisme des années 70, observez-vous l’émergence de nouvelles formes de résistance ?

Le ton n’est plus le même. Les films ne sont pas le miroir de convictions préétablies et simplificatrices. On observe un regain de films qui sont le reflet d’un certain engagement. D’une militance qui n’a plus peur de la complexité. Depardon en est un exemple. L’approche tenace du monde rural, que l’on perçoit dans ses films, n’est pas dénuée de conscience sociale. Même si le cinéaste utilise cette forme d’engagement pour produire du romanesque.

Comment choisir ce qui fait événement dans l’immensité de la production documentaire mondiale ?

Il existe une forme de langue universelle du documentaire. Ce qui permet, entre autre, de distinguer les films qui sortent de l’ordinaire. Faire événement, c’est produire une synthèse indépendante d’un contexte tout en restant dépendant de ce contexte. L’appréciation peut porter sur la forme ou le sujet. Je m’efforce d’évaluer de quel contexte national s’est arraché le film qui fait événement à mes yeux. C’est un long travail. Je fais d’abord appel à mon intuition, à mon expérience, et après je m’informe.

Recueilli par Jean-Marie Dinh

Prochaine conférence mardi 1er décembre Depardon Le moderne, le classique par : Maxime Scheinfeigel (Professeure à l’université Paul Valéry)