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Sur les traces de 68
Quand on cherche les soixante-huitards, on trouve d’abord ceux qui ont réussi mieux que les autres, dans les médias, la politique ou le business, suivis des pragmatiques, une armée, souvent médiocre, qui campe jalousement sur les postes clés en bloquant l’ascenseur social. Puis, la troupe d’anciens combattants désabusés qui grognent devant le JT. Viennent enfin, les générations qui suivent. Nuées d’oiseaux sans ailes dont tout l’héroïsme consiste à ne pas se faire radier des stats du chômage. C’est la génération qui ne peut comprendre parce qu’elle n’y était pas.
Le livre des Glucksmann (1) père et fils, qui ont choisi de soutenir la campagne présidentielle de Sarkozy, a le goût cynique de cette désillusion. « Sans Mai 68, Sarkozy n’existerait pas. Les soixante-huitards ont du mal à l’admettre, je les comprends, mais ils sont les parrains de sa victoire. Pour épicer son ouverture provocatrice, Nicolas Sarkozy, aurait pu, en toute honnêteté, les remercier. » L’intérêt du livre est qu’il s’intéresse à la gauche de près. Les flèches du cupidon déraciné (le père) touchent au cœur du surmoi gauchiste. Ce livre s’ouvre aussi en creux sur le problème générationnel qui s’illustre dans le rapport d’affectueuse domination père-fils. Sur le même sujet, on se reportera à l’essai de Virginie Linhart, « Le jour où mon père s’est tu » (2). Dans lequel, la fille du mao Robert Linhart, fondateur de l’Union des jeunesses communistes marxistes-léninistes, confie que 68 est un mythe qui lui a valu « l’absence de toute vie familiale ». Le plus pathétique pour la génération d’après 68 est de toujours se considérer comme produit de ce déterminisme historique, sans pouvoir créer avec le présent.
Outils non exploités
Une déshérence qui ne doit rien au manque d’outils, si l’on considère la solidité théorique de la génération de philosophes qui bouillonnait à l’époque. Sartre, Lacan, Althusser, Foucault, Deleuze, Derrida… Alain Badiou leur consacre son « Petit panthéon portatif » (3). Beaucoup plus instructif que la marée de témoignages privés qui noie le poisson dans une mare de nostalgie aussi insipide qu’égocentrée. La mise à la fosse commune de toutes ces œuvres au profit des philosophes médiatiques, laisse leurs héritiers prisonniers d’une terrible subjectivité collective.
Panorama général
On trouvera plein de bons conseils pour le président dans le « Dictionnaire de Mai 68 » (4) réunissant une cinquantaine d’auteurs. Sous la direction de Jacques Capdevielle et Henri Rey, l’ouvrage dresse un panorama sur ce qu’il faudrait « liquider une bonne fois pour toutes » . Le dictionnaire ambitionne – il y réussit partiellement – de faire le point sur cet événement dans l’histoire contemporaine dont il aborde les facettes politique, culturelle, sociale et surtout internationale.
Vision internationale
On nous rappelle ce qui se passait ailleurs. A Prague par exemple, ou à Medellin où le IIème espiscopat latino américain, aborde la question de la violence en lien avec les thèmes de justice et de paix, et développe avec la théologie de la libération une lecture évangélique dans une perspective sociologique et politique. Dix ans plus tard le nouveau pape Jean Paul II mettra un coup d’arrêt retentissant. Grande leçon de rupture. Ce dictionnaire se révèle aussi un outil pratique. Si le lancement du dernier album de Carla fait un bide, le président pourra toujours suivre l’exemple bien inspiré du préfet du Gard qui, en juillet 1968, interdit la représentation, à Villeneuve-lez-Avignon, de la pièce d’un jeune auteur : La Paillasse aux seins nus.
Jean-Marie Dinh
(1) Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy, éd. Denoël, 18 euros. (2) Le jour où mon père s’est tu, ed. du Seuil, 16 euros. (3) Petit panthéon portatif, ed. La Fabrique, 10 euros.(4) Dictionnaire de Mai 68, ed. Larousse 22 euros.
Voir aussi : Rubrique Essai Alain Badiou Organiser une critique de la démocratie,