Malgré l’instauration du scrutin paritaire, seules 6% à 9% des assemblées seront dirigées par des femmes à l’issue de l’élection des présidents ce jeudi.
Ce jeudi soir, elles seront six. Neuf dans le meilleur des cas. A l’issue du «troisième tour», celui de l’élection des président(e)s des conseils départementaux, les femmes seront écartées du poste dans plus de 90 départements. Les mandatures se suivent et se ressemblent donc. Un comble, alors que pour la première fois les assemblées départementales sont paritaires. 50% d’élues mais toujours 6 à 9% de patronnes.
«On peut partager les places, sans partager le pouvoir», se désole Réjane Sénac, présidente de la commission parité au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Les habitudes ayant la vie dure, la loi s’en est mêlée et a imposé un mode de scrutin inédit pour faire entrer massivement les femmes dans les assemblées départementales : des binômes femme-homme qui siègent au même rang. Le progrès dont toute la classe politique a fait mine de se féliciter est spectaculaire : de 13,9% d’élues en 2011 à la moitié depuis dimanche. Il va s’arrêter au pied des fauteuils de président(e)s.
Patience. Grande gagnante du scrutin, la droite, qui l’a emporté dans 67 à 70 départements, ne revendiquera, ce jeudi, que quatre femmes à la tête d’exécutifs. La liste est si courte qu’on peut se permettre l’exhaustivité : Martine Vassal (Bouches-du-Rhône), Christine Bouquin (Doubs), Valérie Simonet (Creuse) et l’UDI Nassimah Dindar à la Réunion, seule sortante. La gauche qui détient moitié moins de départements fait jeu égal, avec entre deux et cinq présidentes pressenties. Pas de quoi non plus fanfaronner. Le PS présente Nathalie Sarrabezolles dans le Finistère (lire ci-contre) et reconduit Hermeline Malherbe dans les Pyrénées-Orientales. Pour le reste, rien n’est encore sûr. La Lozère, à condition qu’elle bascule à gauche (lire page 5), devrait revenir à une femme, Sophie Pantel. Dans le Lot, l’élection de Geneviève Lagarde n’est pas acquise. Pas plus que celle de Josette Borel-Lincertin en Guadeloupe. Tous bords confondus, les présidentes seront à peine plus nombreuses que les cinq sortantes (hors Paris).
Qu’est-ce qui plombe les femmes ? Leur inexpérience, de l’avis des responsables de partis. «Il est rare de devenir présidente ou président quand on vient d’être élu(e)», avance Christophe Borgel, chargé des élections au PS. Avec la loi du 17 mai 2013 créant les binômes, «il y a eu un grand renouvellement des élus. C’est bien car cela nourrit un vivier pour la suite, mais il faut aussi de la stabilité, des gens qui connaissent la maison», justifie Virginie Duby-Muller, secrétaire nationale de l’UMP à la parité. En gros, les partis en appellent à la patience. Et prient les femmes de faire leurs armes. La prochaine fois sera la bonne…
L’argument est un peu court au regard de la sous-représentation féminine à la tête d’autres exécutifs (mairies, régions) issus de scrutins imposant la parité depuis déjà plusieurs mandats. Dans les villes de plus de 1 000 habitants, les conseils municipaux élus en 2014 sont féminins à 48,2%, mais seules 12,9% de femmes sont maires. Et une seule, Marie-Guite Dufay en Franche-Comté, est présidente de région sur les 22 que compte la métropole. «L’argument du vivier ne tient pas, conteste Réjane Sénac, auteur de l’Egalité sous conditions (Presses de Sciences-Po). Des vice-présidentes, des maires adjointes, des militantes qui ont de la bouteille, qui détiennent le capital politique, les réseaux, il y en a. Mais les hommes choisissent de préférence des candidates novices. Pour eux, la prime au sortant, pour elles, une prime… au renouvellement.»
Loi phallique. A droite, on dénonce aussi les résistances des états-majors. «L’arbitrage pour les présidences est lié à des négociations partisanes, souligne la sénatrice (UDI) Chantal Jouanno. C’est à la commission des investitures des partis que cela se joue. Et les femmes qui en sont rarement membres sont exclues des négociations.» Côté gauche, on renvoie la balle à la base. «Ce n’est pas un problème d’appareil parisien, défend Christophe Borgel. Au PS, ce sont les militants qui désignent les têtes de liste aux élections. Et s’ils ne choisissent pas des femmes…» Dans le Lot pourtant, l’élection de Geneviève Lagarde, désignée chef de file par les militants PS, est menacée par des querelles au sein de la majorité de gauche et la contestation du socialiste sortant.
La loi ne peut pas tout face aux réflexes machistes. Lesquels s’engouffrent dans la moindre brèche. Le législateur a d’ailleurs revu plusieurs fois sa copie. En imposant par exemple la parité au sein des vice-présidences des conseils régionaux et départementaux. Ce qui n’empêche pas les élus masculins d’hériter en général des dossiers les plus stratégiques. Dans les Pyrénées-Atlantiques, le futur président prévoit ainsi de confier aux hommes les finances et l’aménagement du territoire, aux femmes les ressources humaines et le social. «Nous sommes un pays de loi phallique, les hommes considèrent illégitime que les femmes exercent le pouvoir, c’est profondément ancré dans l’imaginaire collectif», regrette la députée PS Sandrine Mazetier. Sa collègue socialiste Chantal Guittet complète : «C’est une question d’éducation. Si les pères participent activement à la vie des enfants et créent une cellule familiale paritaire, tout le monde trouvera normal que la vie politique le soit aussi.» Il fallait une loi, il faudra une révolution culturelle.