Vu du Québec. Emmanuel Macron, le frère siamois de Justin Trudeau

Justin Trudeau et Emmanuel Macron.  PHOTO CHARLY TRIBALLEAU/NICHOLAS KAMM/AFP

Justin Trudeau et Emmanuel Macron. PHOTO CHARLY TRIBALLEAU/NICHOLAS KAMM/AFP

La ressemblance entre le Premier ministre canadien et Emmanuel Macron est frappante, estime le correspondant à Paris du Devoir : jeunes, ils ont une foi indéfectible dans le progrès et sont adeptes d’un monde ouvert. Même s’ils semblent parfois déconnectés du réel.

Dans leur jeunesse, Justin Trudeau et Emmanuel Macron ont tous deux étudié chez les jésuites et fait du théâtre. Alors que le Premier ministre canadien a fait de l’improvisation, le futur candidat à la présidence française se passionna à ce point pour les planches qu’il… épousa son professeur ! Au lycée privé La Providence, à Amiens, il interpréta La Comédie du langage de Jean Tardieu, une réflexion souvent absurde sur le rôle de la parole.

Simple analogie ? Pourtant, entre le Premier ministre de 45 ans et le candidat [devenu président] de 39 ans, il y a plus qu’une communauté de génération. En France, on n’hésite pas à dire qu’Emmanuel Macron est le Justin Trudeau français. Comment ne pas être frappé, en effet, par leur commune décontraction et cette “coolitude” que rien ne semble pouvoir contrarier ?

Cette douce jovialité, à une époque pourtant unanimement qualifiée de déprimante, est un des secrets de leur popularité. Les deux hommes ne s’en cachent pas, cet optimisme rassurant prend sa source dans le “progressisme” qu’ils affichent et revendiquent sans scrupule. Cette conviction que l’Histoire a un “sens” et qu’elle va nécessairement dans la direction du Progrès leur donne ce sentiment que les difficultés ne seront jamais que temporaires. Ils ne croient guère au caractère tragique de l’Histoire. L’assurance se transforme parfois même en inconscience. Sur le coup, Justin Trudeau n’avait rien compris à l’importance de l’attentat du Bataclan. Il n’est pas sûr non plus que le candidat d’En marche !, pressé de fêter sa victoire, ait compris la gravité d’un second tour l’opposant à Marine Le Pen.

Certes, Emmanuel Macron a fait des études avancées alors que Justin Trudeau n’a pas dépassé le niveau du baccalauréat. On ne peut pas non plus imaginer Justin Trudeau dans le rôle d’assistant éditorial du philosophe Paul Ricœur. Il n’en demeure pas moins que l’un et l’autre accordent souvent plus d’importance aux images qu’aux mots.

C’est pourquoi ils sont de piètres orateurs. Si Justin Trudeau n’a pas atteint le niveau de français du cégep, Emmanuel Macron se complaît dans des formules vagues et technocratiques. Quand il ne parsème pas son vocabulaire de “start-up”, de “helpers” et d’“open spaces”. Ces éternels jeunes premiers sont par contre de véritables maîtres de la gestuelle et des poses. C’est pourquoi le premier a fait de l’égoportrait sa marque de commerce. Quant au second, phénomène nouveau en France, il adore terminer ses assemblées en rock star, hurlant les bras levés comme un preacher américain. “La politique, c’est mystique”, dit-il. Quand elle ne vire pas au burlesque !

Loin du “sang, de la sueur et des larmes”

Ces deux enfants issus de milieux bourgeois personnifient parfaitement ces “gens de n’importe où” (“people from anywhere”) que décrit le brillant essayiste britannique David Goodhart dans son dernier livre, The Road to Somewhere [Hurst & Co, 2017, non traduit en français]. Le fondateur de la revue Prospect estime que nos sociétés sont traversées par une contradiction profonde entre ceux qu’il appelle les “gens de n’importe où” et les “gens de quelque part”, qui sont à l’origine de la révolte du Brexit et de l’élection de Donald Trump. Macron et Trudeau symbolisent à leur manière la superbe des gagnants de la mondialisation qui ne jurent que par la mobilité, la flexibilité, la technologie, la suppression des frontières et l’ouverture.

Le dernier-né d’une dynastie et l’audacieux banquier de chez Rothschild sont tous deux arrivés au pouvoir sans véritable expérience. Sauf qu’ils avaient des réseaux exceptionnels. Pour eux, il n’y a guère de problème qui n’ait de solution économique. C’est pourquoi ils ne savent pas trop quoi dire du terrorisme islamique, et encore moins à ces ouvriers de Whirlpool, à Amiens, dont l’usine a déménagé en Pologne. Ni l’un ni l’autre n’arrive à imaginer une mondialisation qui ne soit pas heureuse. Loin du “sang, de la sueur et des larmes”, ils ne sont entrés en politique ni pour résister ni pour changer le monde, mais pour l’aider à aller encore plus vite là où tout le pousse déjà et où il doit inévitablement aller, croient-ils. Vers ce Progrès perpétuel qui est au fond leur religion commune.

Il y a longtemps que Trudeau se vante de diriger le “premier État postnational” du monde. Sans franchir le Rubicon, Macron n’a-t-il pas fait un pas dans cette direction en dénonçant la clause Molière, qui force à l’utilisation du français sur les chantiers, et en affirmant qu’“il n’y a pas une culture française. Il y a une culture en France. Elle est diverse” ? Quitte à provoquer la colère de son allié le plus proche, François Bayrou.

Mais ces frères siamois ne se contentent pas d’être libéraux en économie, ils sont aussi libertaires en matière de mœurs. La grande œuvre du premier mandat de Justin Trudeau pourrait être la légalisation de la marijuana. Emmanuel Macron propose de la dépénaliser. Aux côtés de Daniel Cohn-Bendit, il n’hésite pas à se revendiquer de Mai 68. J’imagine avec impatience leur première poignée de main à Ottawa. Si le cœur leur en dit, ils pourront bientôt se prendre en égoportrait en fumant un joint dans les jardins de Sussex Drive [devant la résidence du Premier ministre, à Ottawa].

Christian Rioux
Source : Le Devoir Montréal 10/05/2017