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Dès l’ouverture de la réunion du groupe de contact, le chef de la diplomatie italienne, Franco Frattini, a affirmé que le pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi « touch[ait] à sa fin » : le groupe semble insister sur l’après-Kadhafi, pourquoi cette évolution ?
Les enjeux ont évolué parce que les bombardements durent depuis des semaines et le colonel Kadhafi est toujours au pouvoir. Le fait que la plupart des protagonistes qui participent à la réunion affirment leur volonté de faire partir Kadhafi du pouvoir marque une évolution importante. En effet, cet objectif n’est pas contenu en tant que tel dans la résolution de l’ONU qui avait pour unique motif la protection des populations civiles. En revanche, on ne connaît pas les modalités envisagées pour ce départ : Kadhafi doit-il être tué, extradé et à l’abri de poursuites internationales ou encore traduit devant la Cour de justice internationale ?
Au même moment, la coalition intensifie ses frappes : assiste-t-on à un changement stratégique de l’OTAN ?
Si l’on est obligé d’intensifier les bombardements et de les diversifier par les types d’armes utilisés, cela prouve que l’objectif de faire partir Kadhafi est très difficle à atteindre. C’est un signe de faiblesse politique. Si la coalition sentait que le président libyen allait se rendre, il n’y aurait pas d’intensification des bombardements.
L’OTAN essaie actuellement de reproduire ce qui s’est passé en Serbie où après plus de deux mois de bombardements intensifs, Milosevic avait été obligé d’accepter les conditions qui lui avaient été imposées. Mais la Libye n’est pas la Serbie et la reproduction d’un tel schéma est très incertaine.
Quel est l’état des forces de Kadhafi ?
C’est un pouvoir extrêmement réduit. En termes géographiques d’abord, parce qu’il ne contrôle plus qu’une partie de son territoire. Politiquement ensuite, car la configuration des opérations militaires l’empêche d’exercer réellement son pouvoir. Récemment, la mise en œuvre de moyens militaires différents par la coalition avec l’intervention d’hélicoptères de combat a permis de mieux cibler les objectifs. Mais Kadhafi bénéficie encore de soutiens en Libye. Il y a le jeu des tribus d’abord, mais aussi des familles qui lui sont restées fidèles. Il y en a d’autres qui, idéologiquement, sont convaincus qu’il faut résister à l’impérialisme. C’est un mélange hétérogène mais cela montre qu’il n’a pas perdu tous ses appuis intérieurs.
Du point de vue militaire, beaucoup de matériel des forces loyales à Kadhafi a été détruit ou rendu inopérant. Mais il est important de rappeler que dès le départ, après les premiers jours d’insurrection, les troupes de Kadhafi avaient effectué un mouvement rapide et étaient sur le point de faire tomber Benghazi : il y avait donc une capacité réelle, militaire et politique de réagir aux manifestations. Depuis, les troupes de Kadhafi ont été obligées de reculer, mais en bon ordre : ses forces ne sont pas disloquées. Certes, il y a eu quelques démissions d’officiers mais ce n’est pas significatif.
On sait que les forces loyales à Kadhafi se déplacent quasi exclusivement dans des camions, des pick-up, qui sont moins facilement atteignables. Ce qui explique que ces forces résistent. Et Kadhafi n’est pas fou : il a compris que la seule façon d’essayer de s’en sortir, c’est de rester au milieu des centres urbains, des populations civiles et au milieu de ceux qui lui sont restés fidèles. Il tient encore.
Dans ces conditions, assiste-t-on à un essoufflement de l’action de la coalition?
Non, l’intervention coûte cher mais la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis avec leurs drones sont tout à fait en capacité militaire, matérielle et financière de continuer les frappes pendant des semaines encore. Il n’y a pas de troupes au sol, par conséquent, il n’existe pas le problème de dimension psychologique. Quand il y a l’annonce d’un mort français en Afghanistan, cela suscite une réflexion : cette intervention est-elle légitime ? Mais en Libye, les aviateurs ne prennent pas de risques, il n’existe donc pas de critique formalisée à ce jour. Il n’y a donc aucun obstacle politique, psychologique ou financier à continuer cette opération.
Il existe en revanche une dimension que la coalition ne veut pas considérer, à tort : le retour de bâton du point de vue des relations entre « le monde occidental » et « le monde arabo-musulman ». Si le monde arabe ne se dresse pas contre l’intervention en Libye, il existe en revanche une sorte de réprobation. Rappelons-nous qu’après le début des interventions, le secrétaire général de la ligue des Etats arabes, Amr Moussa, avait critiqué les modalités d’intervention. Certains considèrent que cette opération s’éternise.
Le coût politique n’est donc pas immédiat et l’on parle, heureusement, moins de « choc des civilisations ». Mais cela peut ressurgir. Nous avons tout intérêt à déployer des partenariats, des coopérations [avec le « monde arabe »] mais cela n’est pas facilité par l’intervention libyenne.
La Russie a dépêché un émissaire à Benghazi mardi mais nie toute tentative de médiation : quel est le rôle de ce pays dans une éventuelle sortie de crise ?
La Russie est dans une situation de contradiction. Comme la Chine, avec son abstention au vote du Conseil de sécurité, elle avait permis l’adoption de la résolution 1973. Mais ces deux pays sont aujourd’hui plus critiques sur la modalité de l’opération militaire et l’objectif affiché par les Français, les Britanniques et les Américains de faire partir Kadhafi. La Russie a eu la sensation de se faire avoir en acceptant de s’abstenir sur le vote de la résolution. Cependant, elle souhaite éviter le massacre des populations civiles. On peut donc parler d’une tentative de facilitation. Il s’agit de trouver la moins mauvaise des solutions pour sortir de la crise : par la politique et la diplomatie.
Propos recueillis par Flora Genoux Le Monde
Voir aussi : Rubrique Méditerranée, rubrique Lybie, On Line, http://www.inversalis-productions.eu/blog/2011/04/libye-un-conseil-de-transition-neoliberal/,