Chine : Vers l’abandon de l’enfant unique ?

Une publicité vantant les mérites de la politique de l'enfant unique, à Guangzhou dans le sud de la Chine, en 2002. REUTERS

Ces jeunes Chinoises qui ne veulent plus de la politique de l’enfant unique

Quand on demande à Ran si elle a des frères et sœurs, la jeune Chinoise répond, lapidaire: «Non: politique de l’enfant unique.». A Pékin, où elle est née il y a 23 ans, ses parents ont dû se soumettre au «planning familial» strict mis en place par l’Etat à partir de 1979. Au grand regret de sa mère: «Elle rêvait d’une maison remplie d’enfants, mais cela lui aurait causé trop de problèmes.»

Malgré les effets pervers récemment soulignés par de grands démographes chinois (vieillissement de la population, déséquilibre à la naissance du ratio garçons-filles en faveur du sexe masculin), le président Hu Jintao a annoncé le 27 avril dernier que la politique de contrôle des naissances actuelle serait conservée. Ainsi que les moyens pour la faire respecter, comme les amendes pour les familles concevant un enfant «surnuméraire».
«Grosses sommes»

«Il s’agissait déjà de grosses sommes à l’époque», se souvient Ran. «Ma famille n’aurait jamais pu les payer». En plus de ces pénalités, ils auraient pu y laisser leur emploi. « Quand on travaille dans le service public en Chine, l’administration vérifie régulièrement le nombre d’enfants des employés. Si on découvre que vous avez fait un enfant en plus, ils peuvent vous renvoyer.»

Pendant deux ans, Ran a étudié le journalisme en France: «Ici, la plupart des gens ont des frères et sœurs. Je n’avais pas l’habitude car tous mes amis sont enfants uniques en Chine. J’avoue que ça m’a fait envie.» A la fin de l’été, Ran sera diplômée. Elle retournera en Chine, où elle compte faire sa vie…et des enfants. «J’en aimerais deux», confie-t-elle.

En tant que fille unique, Ran pourra bénéficier d’un régime particulier. En 1997, le gouvernement chinois a assoupli sa politique en permettant aux couples composés de deux enfants uniques d’avoir un second bébé. «Quand j’ai appris ça, j’ai été rassurée.»

Autre possibilité pour Ran: payer. Depuis 2002, il est possible d’avoir un enfant «hors quota» légalement, mais il faut pour cela verser 5 000 yuans (près de 550 euros). Une somme à ramener à un salaire moyen urbain mensuel avoisinant les 1200 yuans. «C’est énorme», commente Ran. «D’autant qu’il est déjà très cher d’élever un enfant dans les grandes villes chinoises», précise-t-elle.
«Hors normes»

«Quand on vit en Chine, c’est vrai qu’on ne se pose pas ce genre de questions», témoigne Lulu, 30 ans. «Avoir un seul enfant, c’est normal, c’est comme ça, surtout en milieu urbain.» Cette jeune chinoise a vécu à Shanghai jusqu’a ses 20 ans, avant de s’installer en France. «La jeune génération chinoise voyage plus, et se rend compte de la relativité de cette politique», analyse-t-elle.

Il y a un an, Lulu a épousé un Français. D’ici un an,  ils iront vivre en Chine. «Evidemment, on a  abordé la question des enfants. On y a réfléchi ensemble. Et on s’est dit qu’on en voulait deux», confie-t-elle. Non négociable. Et tant pis pour les regards réprobateurs. «Quand j’étais petite, je me souviens d’une fille à l’école qui nous a raconté qu’elle avait un petit frère. Tout le monde était étonné: « Ah bon, comment ça se fait? Comment vous avez fait? » Ensuite, elle a été considérée comme quelqu’un de bizarre. Cela voulait dire que sa famille n’avait pas respecté la législation chinoise, qu’elle était hors norme».

Selon la presse officielle chinoise, la politique de l’enfant unique aurait évité 400 millions de naissances depuis 1980. «C’est quand même une bonne chose pour le développement durable de la société chinoise», affirme Cheng, 24 ans. Originaire d’un petit village de la province du Henan (Est de la Chine), Cheng n’est pas fille unique. «J’ai un petit frère, pour lequel mes parents ont payé l’amende, même si la politique est moins stricte dans les campagnes», raconte-t-elle. Pourtant, cette jeune femme  fera probablement le choix de la raison: «J’aurais bien aimé avoir plusieurs enfants, mais si la politique ne change pas d’ici là, je crois que je m’arrêterai à un

Lulu, elle, ne compte pas sacrifier ses envies sur l’autel de la politique chinoise. Quitte à user du système D. «Avec mon mari, on s’est dit qu’on rentrerait en France pour mon second accouchement. Comme ça, mon enfant échappera à la législation chinoise

Jeanne Fernet, Libération

L’abandon de l’enfant unique ?

La politique de l’enfant unique est devenue néfaste… et il est d’ailleurs probable qu’elle n’a servi à rien depuis son lancement, voilà trente ans. Tel est le point de vue tranché d’un groupe de démographes issu des universités les plus prestigieuses de Chine. Ji Baocheng, président de l’université du Peuple de Pékin, préconise l’abolition pure et simple de cette politique draconienne. «Il faut supprimer la politique de l’enfant unique le plus vite possible», plaide également Wang Feng, de l’université Qinghua. «A l’heure actuelle, pour des raisons économiques, la population n’est pas incitée à avoir beaucoup d’enfants. Si on persiste à contrôler les naissances de manière aussi extrémiste que par le passé, le vieillissement de la population va encore s’accélérer. Réduire davantage la population est inutile et portera préjudice à l’économie», explique Wang Feng à Libération, en évoquant les pénuries de main-d’œuvre chroniques qui touchent depuis un an les bassins industriels du pays.

Main-d’œuvre.

Le tout dernier recensement, réalisé en 2010 et publié il y a deux semaines, semble donner raison à ces audacieux démographes. Selon ces derniers chiffres officiels, la population chinoise, qui est passée de 1,27 milliard en 2000 à 1,34 milliard en 2010, est en train de vieillir à un rythme accéléré : 13,3% des Chinois ont plus de 60 ans, alors qu’ils n’étaient que 10,3% en 2000. Le taux de fertilité, qui comptabilise le nombre moyen d’enfants par femme en état de procréer, n’est plus que de 1,4 : c’est nettement moins que le seuil de remplacement des générations (2,1). La réserve de main-d’œuvre a considérablement décliné : les moins de 14 ans sont passés de 23% à 17%. «En 1987 en Chine, 26 millions d’enfants sont nés, mais il n’y en a plus que 15 millions en 2010 – soit 10 millions de moins ! constate le démographe. Quand une courbe de natalité baisse aussi rapidement, l’impact sur la main-d’œuvre disponible est considérable… Cela signifie que l’export massif de produits bon marché fabriqués par une main-d’œuvre abondante et sous-payée ne sera bientôt plus possible.»

Commentant les résultats du recensement, le président chinois, Hu Jintao, a vaguement reconnu qu’il fallait «améliorer» les orientations du planning familial, «mais tout en maintenant un taux de naissances bas». Autant dire statu quo. «Les dirigeants ont une compréhension trop lente de la réalité des changements sociaux, et sont très vieux jeu, commente le démographe. Ils ont peur d’une soudaine explosion démographique et se comportent comme s’ils avaient un gros nuage noir au-dessus de leur tête.»

La nébuleuse bureaucratie mise en place depuis 1980 pour appliquer la politique de l’enfant unique, souvent de manière très brutale, n’est pas encline à se dissoudre. La Commission d’Etat du contrôle des naissances emploie un demi-million de fonctionnaires à temps plein, auxquels s’ajoutent 6 millions d’employés à temps partiel. Elle est en grande partie financée par les sanctions pécuniaires infligées aux familles qui ont des enfants hors quotas. Une autre partie de ce revenu alimente les caisses des gouvernements locaux, qui n’ont pas intérêt à voir disparaître ces ressources. Mais c’est à Pékin que se prennent les décisions, au sein du bureau politique du Parti communiste : celui-ci n’écoute-t-il pas les recommandations des démographes ?

Forbans.

C’est la Commission d’Etat du contrôle des naissances qui a l’oreille des dirigeants, déplore un démographe, accusant celle-ci de recourir à des méthodes de forbans : «Certains officiels de la commission agissent de manière irresponsable. Ils présentent depuis des années aux hauts dirigeants des chiffres et des informations trompeuses.» Et de citer un exemple : «Affirmer comme ils le font dans la presse officielle que leur politique a permis d’éviter 400 millions de naissances depuis 1980 est totalement faux. Ça n’a pas la moindre base scientifique.» Pour Wang Feng, le contrôle des naissances semi-volontaire instauré à partir de 1970 (encouragement au mariage tardif, diffusion de moyens contraceptifs) a été «efficace et utile». En revanche, la politique de l’enfant unique qui lui a succédé en 1980 n’aurait pas servi à grand-chose. D’autres pays de la région, tels l’Indonésie et Taiwan, ont enregistré une baisse identique du taux de fertilité en rendant tout simplement les contraceptifs plus faciles d’accès. «La Thaïlande, où le niveau de vie est comparable à celui de la Chine, et où il n’y a pas de politique de l’enfant unique, constate Wang Feng, est arrivée au même résultat : leur taux de natalité est exactement identique au nôtre.»

Philippe Grangereau Libération

Voir aussi : Rubrique Chine