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Ils « n’y croient pas une seconde » parce qu’ils le « connaissent bien », parce que « c’est un ami de trente ans », parce que « pourquoi il aurait fait ça ? » Ils se rassurent en disant que la justice américaine est violente. Tout ce que les amis de DSK disent – les Badinter, les BHL, les lieutenants –, les proches de Karim, Benoît ou Roger, détenus à la maison d’arrêt de Fresnes, et qui eux aussi ont une famille et un emploi, le disent aussi.
En France, tout est identique, mais on ne le montre pas
La peine encourue, plus de soixante-dix ans, serait d’une cruauté inouïe. A 62 ans, DSK aurait-il été rassuré de n’encourir « que » vingt ans comme la loi française le prévoit ? En France, tout est identique, mais on ne le montre pas. Ce qui est insupportable, ici comme là-bas, ce n’est pas qu’il puisse être innocent. C’est de traiter les êtres humains de cette façon-là : ne pas les laisser se raser, se changer – coupable ou pas. C’est la toute-puissance du magistrat, son pouvoir de ne pas respecter le principe énoncé par la loi (la liberté pendant l’instruction) – coupable ou pas. C’est le système qui brise, qui broie, coupable ou pas. C’est qu’il ne s’en remettra pas – coupable ou pas. Ce qui est insupportable, c’est que ça se passe tous les jours en France, pour Karim, pour Benoît, qu’ils soient coupables ou pas.
En France, DSK aurait sans doute été remis en liberté
Il est vrai qu’en France, on ne les filme pas. Mais l’indignation ne réside-t-elle que dans l’image ? Ce qui est insupportable, est-ce de les maltraiter, ou de le montrer ? Ce que les commentateurs de l’affaire de DSK jugent insoutenable, c’est qu’ils assistent à une vie qui bascule en un rien de temps. La vie des prévenus de France a aussi basculé en moins de temps qu’il n’en faut pour respirer. Une bagarre qui dégénère, un service rendu à un mal connu, une pulsion non maîtrisée.
Les principes n’existent que dans les livres, que la présomption d’innocence n’est pas un rempart devant la dérive, qu’elle n’existe ni pour les puissants, ni pour les misérables. C’est bien la seule égalité – l’égalité devant l’inapplication de la loi – dont on ne se réjouit pas. Aux Etats-Unis, ils disent que le traitement est le même pour tout le monde, puissant ou pas. En France, DSK aurait sans doute été remis en liberté, éventuellement sous contrôle judiciaire, mais pas Karim, ni Benoît ou Roger.
En France ils sont sales, ils puent, sont débraillés
En France, les individus restent plus longtemps en garde à vue, dans des cages d’une indéfinissable puanteur avec des barreaux et un banc en pierre. Ils sont déférés au juge d’instruction, exactement comme DSK devant la cour criminelle de New York. Ils sont sales, ils puent, sont débrailles, totalement déboussolés. L’avocat a accès au dossier, ce qui est une différence majeure avec les Etats-Unis. Cependant, dans le délai très bref entre la fin de la garde à vue et la comparution devant le juge, une défense au fond ne peut être esquissée.
Le juge notifie les charges à celui qu’il met en examen, puis, dans la foulée, se tient un débat devant le juge des libertés et de la détention (JLD), pour savoir quel sort lui sera réservé pendant la procédure, un contrôle judiciaire ou la détention provisoire. On plaide sur les garanties de représentation – comme aux Etats-Unis –, le fond de l’affaire n’étant considéré qu’au regard du trouble à l’ordre public.
DSK a de la chance
Quoi qu’il en soit, la procédure à l’encontre de DSK ne va durer que quelques mois. Il a de la chance. S’il avait été détenu en France, il aurait dû attendre plusieurs mois avant d’être interrogé par le juge d’instruction. Le juge lui aurait signifié « un délai d’achèvement de la procédure de dix-huit mois » et aurait reporté d’autant ce délai six mois après. DSK est de nouveau convoqué vendredi, son sort pourrait changer en moins d’une semaine.
En France, accusé de tentative de viol, DSK aurait été placé sous mandat de dépôt criminel d’une durée d’un an. Il aurait pu solliciter sa mise en liberté à tout moment mais n’aurait pas eu le droit de le demander à haute voix, en s’expliquant devant le JLD, qui ne l’aurait revu qu’au bout d’un an. En France, au cours d’une instruction, l’octroi ou le rejet d’une demande de mise en liberté se fait sans débat.
Violente la procédure américaine ? Si le mis en examen fait appel du rejet de sa demande, il a droit à ce que l’on appelle une « comparution » devant la chambre de l’instruction que la pratique a bien raison de ne pas appeler « un débat ». La chambre de l’instruction demande aux avocats de plaider « par observations », et coupe la parole aux détenus qui s’expriment plus de trois minutes, parce que c’est trop long.
Aux Etats-Unis on voit. En France, on ferme les yeux
Si le détenu fait appel une seconde fois, le président use souvent de son pouvoir de « filtre » et ne l’extrait pas de la maison d’arrêt pour l’audience : sa demande est évoquée uniquement en présence de l’avocat. A Paris, la chambre de l’instruction est surnommée la « chambre des confirmations » ou la « chambre des enregistrements ». A un magistrat à qui je faisais remarquer qu’il se trompait de dossier, mon client étant mis en examen dans deux affaires distinctes, le président m’a répondu : « Peu importe de quoi on parle. »
Violente la justice américaine ?
A ce stade-là de la procédure, la seule véritable différence de traitement entre les deux pays, c’est qu’aux Etats-Unis, on voit. Et quand on voit, on cautionne. Et quand on ferme les yeux, on fait quoi ?
Laure Heinich-Luijer, Avocate Rue 89
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