Reportage.
Ils sont de plein droit sur le sol français. C’est leur pays et pourtant l’envie d’être heureux leur est refusée par la loi. C’est ainsi qu’ils ont rejoint le collectif pour la défense du droit à une vie familiale des couples mixtes, initié par la Cimade de Montpellier sous la bannière évocatrice Les Amoureux au Ban public. Seize d’entre eux, époux et épouses français de sans papiers, ont pris le train mercredi pour la capitale, direction le Sénat et l’Assemblée nationale. L’idée d’une intervention collective des conjoints auprès des parlementaires donne une autre portée à la démarche. « Et puis au moins on sait qu’ils ne risquent pas de se faire ramasser à la descente du train », précise le responsable régional de la Cimade, Jean-Paul Numez.
Dans le TGV qui les conduit à Paris où les députés débattent du nouveau projet de loi sur l’immigration, les langues se délient. « Je connais mon mari depuis 2003. Il est entré légalement. Nous sommes mariés depuis 14 mois. Ca n’a pas été facile, ils sont venus l’arrêter à domicile deux jours avant notre mariage. Le tribunal administratif a annulé l’arrêter de reconduite à la frontière. Mais la préfecture refuse de lui délivrer un certificat de long séjour, explique Delphine. En juillet dernier, la police a multiplié les descentes, nous avons dû nous éloigner. On vit dans la peur, les enfants ne comprennent pas. »
Beaucoup font état des exactions commises par l’administration française dans leur vie personnelle. D’autres regardent le paysage qui défile en silence, conscients du durcissement qui se joue à l’Assemblée, alors qu’ils se trouvent déjà en prise à des embûches kafkaïennes. Plus que la colère, c’est l’incertitude ravageuse qui se lit sur les visages. Celle d’une situation qui rend tous ces amoureux vulnérables, à la merci d’une administration suspicieuse régie par l’arbitraire.
Vivre dans la peur
La loi exige que les maires saisissent le procureur de la République de tous les mariages mixtes. Celui-ci demande systématiquement une enquête de police ou de gendarmerie pour évaluer la capacité au mariage mais sans plus de précision. « On doit se justifier. C’est très humiliant quand la police fouille dans vos sentiments, confie une femme de 35 ans. Ils m’ont demandé où vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ? Mon mari est libraire. A la papeterie, ai-je répondu. Quelle est le nom de cette papeterie m’ont-il demandé, et là, je ne sais pas pourquoi, j’ai eu un trou. Le dossier a été rejeté. » Le plus souvent les refus ne sont pas justifiés. Il n’y a pas de critères objectifs. « Je suis mariée depuis quatre ans, mon mari est algérien, il est entré en France avec un titre de plein droit. Nous nous sommes mariés, il a obtenu une carte de 4 mois. Nous n’avons jamais reçu sa carte d’un an. Au bout de deux ans, je suis allée à la préfecture pour savoir pourquoi. La gendarmerie est venue faire une enquête à la maison. Ils ont constaté qu’il n’y avait pas de photo de nous sur les murs. Que nous n’avions pas d’enfant et pas de compte commun et ont conclu au mariage de complaisance ! J’ai attaqué devant le tribunal administratif qui a suspendu la décision. Mais nous sommes toujours coincés. Nous attendons les papiers. »
Quitter la France
« Vous ne cherchez pas la situation, elle vient vers vous. » témoigne un cadre financier à la retraite. Il a choisi d’être du voyage pour soutenir sa fille. « Elle était dans une école internationale. Il y avait de fortes chances pour qu’elle rencontre un étranger, constate-t-il. Magali a rencontré un Tunisien. Ils s’aiment et comptaient se marier en juin. Quitte à le faire dans un pays qui accepterait leur union, mais ma fille a trouvé un poste à responsabilité à Cannes. Du coup ils sont passés dans la clandestinité parce que la préfecture refuse de renouveler le visa de mon futur beau-fils. C’est absurde et inacceptable. Et je sais bien qu’il existe des situations beaucoup plus difficiles. Moi je vais les encourager à quitter la France. »
Préoccupante réalité
Le train des amoureux arrive à la gare de Lyon. Direction l’Assemblé nationale où les Montpelliérains et les Nîmois rejoignent d’autres conjoints parisiens. Françoise de la Cimade de Marseille explique qu’une arrestation a retenu les Marseillais sur place. Aux abords de l’Assemblée, le groupe se scinde en deux, sous le regard vigilant du service de sécurité. Une partie des amoureux prend la direction du Sénat où ils seront reçus par le groupe PS en charge de l’immigration. L’autre rencontrera le député UMP Etienne Pinte qui s’est distingué de son groupe sur cette question et le député PCF Patrick Braouzec qui souhaite défendre un amendement dans l’après-midi. Devant les parlementaires attentifs, chacun prend la parole succinctement pour expliquer sa situation et les humiliations vécues. Les membres de la Cimade ponctuent les explications de courts commentaires techniques sur les dossiers. L’opération ne vise pas à régler les dossiers individuels mais à informer les élus sur la préoccupante réalité du terrain.
Il est déjà l’heure de quitter les palais de la République pour le retour. A l’Assemblée, les débats se poursuivent. Tout est ficelé. Tard dans la nuit, le projet de loi sur l’immigration, le plus régressif et radical depuis les années les plus sombres de la France passe comme une lettre à la poste. Seuls 45 députés ont voté contre le retour du droit du sang. Les amoureux au ban public se séparent en gare de Montpellier « Je sais que je ne suis pas plus avancée sur mon dossier, dit Audrey dont l’aimé est coincé au Maroc, mais cette journée m’a redonné du punch. » On promet de se revoir très bientôt.
Jean-Marie Dinh
Voir aussi : Rubrique Société, citoyenneté, rubrique Politique de l’immigration,