Que s’est-il passé exactement, hier midi, sur la place Tiananmen ? Difficile de le savoir, car les autorités chinoises ont immédiatement bouclé la zone, et ont rapidement repris en main l’Internet. Les journalistes de l’AFP, qui ont essayé de s’approcher des lieux ont été refoulés et les clichés que contenaient leurs appareils photos effacés. Les visiteurs de la Cité interdite ont été priés de quitter les lieux.
D’après des informations officielles, une voiture aurait blessé 38 piétons, principalement des touristes, avant de s’encastrer dans un pont. Deux d’entre-eux auraient trouvé la mort ainsi que les trois occupants du véhicule. Accident ou attentat ? Une chose est certaine : les faits se sont déroulés dans l’un des endroits les plus symboliques du pouvoir chinois, et les plus quadrillés par la police. C’est là que se trouve le grand portrait de Mao, incarnation de la République populaire fondée en 1949. C’est aussi sur cette place qu’avait eu lieu, en 1989, le plus grand soulèvement démocratique qu’ait connu la Chine populaire dont le souvenir hante les mémoires sans qu’il soit, encore aujourd’hui, possible d’en parler ouvertement.
Tensions à tous les étages
L’impressionnant déploiement policier qui a suivi les faits est typique des poussées de stress du régime. Au moment des révolutions arabes, le quartier pékinois de Wangfujing, lieu de ralliement potentiel des contestataires chinois, était devenu tout simplement impossible d’accès pour les Occidentaux. Plusieurs journalistes avaient été interpellés pour avoir tout simplement tenté de s’en approcher.
Selon le « Global Times », un quotidien chinois réputé pour son nationalisme, c’est actuellement la piste ouïgoure qui serait privilégiée par la police, avec une action des séparatistes musulmans du Xinjiang, dans l’est de la Chine. Le journal explique que la police aurait envoyé, hier soir, un message aux hôtels de la capitale afin que ceux-ci les aident à identifier d’éventuels « clients suspects » depuis le début du mois d’octobre. La police aurait identifié deux habitants du Xinjiang.
A quelques semaines d’un congrès du Parti communiste que chacun présente comme déterminant pour l’avenir du pays, ce très probable attentat apparaît dans tous les cas comme le révélateur des tensions que connaît la Chine aujourd’hui. Tensions à la base, où les motifs de frustration sont nombreux. Ils peuvent être identitaires mais également économiques, puisque le renchérissement des prix de l’immobilier complique la donne pour les classes moyennes. Ils peuvent être sociaux ou même juridiques, dans un système dépourvu de contre-pouvoirs et surtout de recours pour les plus faibles.
Tiananmen : le feu et la censure
Mais tensions également au sommet de l’Etat. La période est en effet marquée par deux tendances contradictoires. D’un côté, un discours réformiste sur le plan économique, qui peine à se concrétiser mais dont les optimistes espèrent qu’il se traduira dans les faits lors du prochain congrès du parti. Et de l’autre, une reprise en main musclée d’Internet et la mise à l’écart des voix les plus indépendantes face au pouvoir. L’événement de la place Tiananmen apparaît comme la matérialisation de ce contexte tendu, qui sera l’un des facteurs déterminants du prochain congrès. Sachant qu’il pourra apporter de l’eau au moulin des conservateurs, partisans d’une ligne dure devant toute forme de dissidence, autant qu’il donnera des arguments à ceux qui pensent nécessaire de changer le système pour lui redonner de la légitimité.
Source Les Echos : 29/10/2013
Voir aussi : Rubrique Chine